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Les sœurs « Carnivores »

« Le faire à deux c’était un vrai plaisir », assurent les frères Renier, Yannick et Jérémie, qui ont coréalisé ensemble un thriller psychologique. Interview.

Yannick et Jérémie Renier : "On est tous les deux acteurs mais on a eu des parcours professionnels différents".
Yannick et Jérémie Renier : « On est tous les deux acteurs mais on a eu des parcours professionnels différents ».

Deux sœurs. L’une a tout (carrière, enfant, mari, argent…), l’autre rêve d’avoir tout ça, elle galère mais est « tellement parfaite », tellement dévouée. Leïla Bekhti et Zita Hanrot joue ces deux frangines, Mona et Sam, dans « Carnivores », un film tourné par deux frères, Yannick et Jérémie Renier (en salles depuis le 28 mars). C’est le premier film réalisé par ces deux acteurs, l’un connu l’autre moins, qui ont imaginé une histoire de rivalité, de jalousie, entre des sœurs toutes deux comédiennes. Interview des frères, lors de la présentation du film à l’UGC Ciné Cité de Ludres.

Est-ce que votre plus grande satisfaction dans cette expérience est d’avoir réalisé quelque chose, un film, ensemble ?

Jérémie : C’est la plus grande partie, mais elle est très importante, l’envie de réaliser un film ensemble part de l’envie déjà de travailler ensemble, et après est né le film, on y a réfléchi, de le faire à deux c’était un vrai plaisir.

Yannick : Oui, ça fait partie de la fierté que j’ai eue d’avoir fait le film avec Jérémie, et d’avoir fait une sorte de pied de nez à notre histoire, d’avoir pris notre relation comme point de départ, comme terreau d’une histoire et d’en avoir créé une fiction, un thriller psychologique, et d’avoir été au-delà de la comparaison que les gens peuvent faire de nous, je suis très fier de ça.

Dès le début, vous aviez décidé de transposer cette histoire de fraternité par l’intermédiaire de deux sœurs ?

Yannick : Non, le projet a eu diverses formes, on est passé de la comédie dramatique au thriller psychologique, à un moment donné on a pensé jouer dans le film, et chaque fois qu’on s’est détaché d’une trop grande proximité avec nous deux, ça nous donnait plus de liberté. En même temps, on allait à chaque fois dans quelque chose de plus profond, de plus métaphysique.

Jérémie : On est partis d’abord de notre histoire, et très vite on a eu envie d’aller plus loin, de dépasser ça, de se projeter dans une espèce de fantasme, on s’est rendus compte que le thriller psychologique le permettait, on pouvait s’amuser avec les codes de départ et les pousser dans l’extrême, la violence, le désir, la frustration.

Yannick : Avant que le film ne prenne un tournant plus dramatique, il y avait quelque chose qui nous faisait rire, c’était très anecdotique, les petites humiliations, là où on peut en rire mais où ça fait mal quand même, la douleur pour Mona de sentir qu’on lui a volé quelque chose, et la douleur pour Sam de porter la culpabilité d’avoir la réussite, c’était intéressant à explorer.

« On voit toujours ce qu’il y a de mieux chez son voisin »

Mona a un côté mante religieuse, puisqu’elle vole tout à sa sœur, son mec, son fils, son métier…

Jérémie : Il y a de ça, mais elle le fait parce qu’elle estime que sa sœur, d’une certaine manière, a la place qu’elle aurait dû avoir. Abel et Caïn, ou le mythe des frères ennemis, c’est l’idée qu’on voudrait être aimé tel que notre frère ou notre sœur est aimé par les parents. On a l’impression que la place qu’on devrait avoir a été usurpée par quelqu’un d’autre, c’est quelqu’un de blessé qui vit un sentiment d’injustice, comme ça arrive souvent dans les fratries.

Yannick : Dès le départ, on comprend qu’elle a envie d’être actrice, qu’elle a tout fait pour, elle n’est pas heureuse parce qu’il y a quelque chose en elle qui la freine, une névrose qui fait qu’elle n’y arrive pas. On voit toujours ce qu’il y a de mieux chez son voisin, son frère, son conjoint, il y a toujours une comparaison qui peut nous bouffer. C’est peut-être vrai dans d’autres milieux, mais dans le milieu du cinéma, il y a beaucoup de comparaisons, acteur c’est très aléatoire, au cinéma ça peut être une nature, quelqu’un qui tombe au bon moment.

Est-ce que les rôles de Leïla Bekhti et Zita Hanrot étaient interchangeables ?

Jérémie : Ils auraient pu l’être, très vite on s’est dit que ce serait plus intéressant de proposer l’inverse, Leïla est quelqu’un de volubile alors que Zita est plus discrète, plus introvertie, et justement ça leur plaisait d’aller vers autre chose que leur nature profonde. Tout ce qu’on a comme nature est profondément ancré en nous, ça peut permettre de faire l’opposé, d’être quelqu’un d’exubérant alors qu’à l’intérieur il y a une fragilité, ça rend le personnage plus complexe. Il y a une part de nous qui est là, que ce soit physiquement ou dans notre caractère, qui de toute façon est perçue par le spectateur.

« Il y avait une alchimie entre Leïla et Zita »

Dans votre film, le réalisateur joué par Johan Heldenbergh est manipulateur, vous l’avez été aussi sur le tournage ?

Carnivores
Carnivores

Jérémie : On était plutôt dans la complicité, comme on aime être avec des réalisateurs qui nous dirigent. Quand on a fait le casting et qu’on a eu Leïla et Zita dans les essais, ce qui nous a énormément parlé, c’est la complicité, et l’écoute qu’elles avaient l’une pour l’autre. Dès le départ, on a senti qu’il y avait une alchimie, qu’elles s’entendaient bien, du coup elles pouvaient se lâcher plus, elles ont un rapport conflictuel, difficile dans le film, parfois violent, et malgré tout on avait envie qu’il y ait de l’amour dans tout ça.

Yannick : Il y a une chose dans le titre, Carnivores, c’était le fait de dévorer, d’être dévoré, la proie, la prédatrice. Dans une famille, on a des étiquettes, le bon fils, le rebelle… Mona n’a pas la réussite de sa sœur, mais en même temps elle se complait dans le rôle de la bonne fille, la bienveillante, celle sur qui on peut compter, ça nous intéressait.

Vous dites que le regard porté sur un acteur peut être insoutenable, vous l’avez éprouvé ?

Jérémie : Oui, d’avoir le sentiment de ne plus s’appartenir, d’appartenir à tout le monde et du coup ça t’isole encore plus, je ne suis pas Brad Pitt ou George Clooney, c’est vrai que ça peut être galvanisant parce que les gens nous regardent, nous désirent, nous flattent, et tout ça peut être étouffant ; ça touche au narcissisme, qui peut être dangereux dans le fait qu’il peut nous donner énormément confiance en nous, mais le versant inverse c’est qu’on se sent une merde si on n’est plus regardé, c’est quelque chose qui demande d’avoir des attaches solides.

Jérémie, vous avez incarné Claude François dans « Cloclo », dont ont été célébrés, il y a quelques semaines, les 40 ans de sa mort. Quel regard avez-vous sur la ferveur qui existe encore autour de lui ?

Je n’ai pas été sollicité et je n’ai pas voulu l’être. Je suis très content de ce film, j’adore quand le public vient me voir et me dit qu’il a été touché par le film, que d’une certaine manière Cloclo vit à travers moi et ce film de Florent-Emilio Siri, c’est très agréable. Maintenant, ça fait partie d’un passé que je ne renie pas du tout, je ne suis plus Cloclo, je l’ai été pendant six mois, c’était intense, c’était super.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Carnivores », film de Yannick et Jérémie Renier (en salles depuis le 28 mars).

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