Florent Baarsch, Potsdam Institute for Climate Impact Research; Bill Hare, Potsdam Institute for Climate Impact Research et Michiel Schaeffer, Wageningen University
Le 21 juin, Météo France a placé 67 départements en vigilance orange pour la canicule. Selon les données de l’institut, les températures de cette semaine sont « une douzaine de degrés supérieur » aux normales saisonnières.
La température moyenne au cours de ce mois de juin est de l’ordre de 19 à 19,5 °C (pour l’ensemble des cellules couvrant la France selon le modèle climatique NCEP). Ces températures sont largement supérieures à celles observées en moyenne au cours de la période 1956-2005 (utilisée ici comme période de référence), habituellement comprises entre 16,5 et 17 °C. Cependant, même si ces températures sont largement au-dessus de la moyenne, elles restent encore très inférieures à la température moyenne mesurée au cours en juin 2003 au-dessus de 21 °C.
Depuis 2003, les conséquences des vagues de chaleur sont essentiellement observées et craintes à la lueur de leurs conséquences sanitaires. Avec plus de 14 800 morts, les températures très élevées des mois d’été 2003 ont particulièrement marqué les esprits et affecté l’ensemble du territoire français.
Mais au-delà de ces conséquences humaines et sanitaires, les vagues de chaleur ont également un effet néfaste très important sur l’activité économique ; elles peuvent ainsi être mesurées au niveau de la croissance du produit intérieur brut (PIB). Une estimation préliminaire pour l’effet de la canicule du mois de juin 2017, situerait la réduction entre 0,25 et 0,54 point de croissance du PIB pour ce mois-ci.
Un effet macroéconomique difficile à évaluer
Au cours des dernières années, de plus en plus d’économistes ont commencé à s’intéresser aux conséquences macroéconomiques de la température (et de son augmentation) et des aléas climatiques.
Quelques semaines avant la conférence de Paris, fin 2015, trois chercheurs californiens ont publié dans la revue scientifique Nature une étude montrant les effets du réchauffement climatique sur les revenus des habitants au niveau global.
Ils indiquent ainsi que d’ici à la fin du siècle, le PIB par habitant pourrait être environ 23 % plus faible dans un scénario de fort réchauffement (à savoir le scénario RCP8.5 établi par les experts du GIEC) que dans un scénario sans changement climatique. Plus récemment, en 2017, des chercheurs de l’Université de l’Arizona du Nord, utilisant une méthode statistique relativement différente, ont estimé des conséquences sur la production économique potentiellement plus élevées.
Avec la chaleur, l’économie à la peine
Les mécanismes à l’œuvre contribuant à cette décroissance de la production ne sont encore que partiellement compris. Il existe cependant quatre points principalement étudiés que sont la productivité du travail, la production agricole, la santé et l’énergie.
• Les effets sur la productivité du travail
Avec de telles températures, la capacité physiologique à travailler et à se concentrer s’estompe ; les pauses, notamment pour s’hydrater, deviennent plus fréquentes et plus longues. Pour certaines professions s’exerçant en extérieur – on pense aux travaux du bâtiment ou publics –, la chaleur intenable empêche le déroulement normal des activités. Bien que temporaires, ces micro-effets, une fois accumulés, sont mesurables au niveau du PIB.
• Les effets sur la production agricole
Les périodes de grande chaleur, principalement en période de germination et de croissance, peuvent avoir des conséquences majeures sur la production agricole. Une étude menée aux États-Unis montre qu’une journée avec des températures approchant les 40 °C pourrait conduire à une réduction de 7 % des rendements du maïs. Une étude sur la France montre que le rendement du blé est également très négativement influencé par les vagues de chaleur dans la plupart des départements français.
• Les effets sur la santé
La canicule de 2003 a causé la mort prématurée de plus de 14 800 personnes, principalement parmi les personnes âgées. Bien que les pouvoirs publics aient pris des mesures pour éviter de telles conséquences sur la population française, ces effets sont toujours possibles. Une étude a mesuré pour les États-Unis a montré, qu’au cours de la période allant de 1968 à 2002, les journées de forte chaleur étaient associées avec une surmortalité.
• Les effets sur le secteur énergétique
Le risque est ici double. Il s’applique tant à la demande qui augmente rapidement du fait des besoins, notamment en climatisation, qu’à la baisse de capacité de production – créant potentiellement des tensions sur le réseau d’approvisionnement. Une étude sur l’Europe montre qu’à l’horizon 2050, dans un scénario de fort réchauffement, l’effet cumulé de l’augmentation de la température des eaux et de sa disponibilité pourrait réduire la capacité de production des centrales hydroélectriques et thermoélectriques françaises de 10 à plus de 15 % par rapport à un scénario sans changement climatique.
Premier bilan pour cette canicule 2017
L’Insee a produit une estimation de l’impact de la canicule du 2003 qui aurait « amputé la croissance entre 0,1 et 0,2 point de PIB […], ce qui représente entre 15 à 30 milliards d’euros ».
Il est difficile de mesurer les effets macroéconomiques de la toute récente vague de chaleur, pour des raisons de données et de méthodes statistiques. Cependant, en ayant à l’esprit les limitations méthodologique et statistique liées à un tel exercice, nous pouvons fournir une estimation préliminaire, simplifiée et indicative présentée dans la figure ci-dessous. Le coût de la vague de chaleur qui vient de toucher la France pourrait ainsi se chiffrer entre 0,25 et 0,54 point de croissance pour le mois de juin 2017 seul, soit entre 4,7 et 12,2 milliards d’euros environ (sur la base du PIB de 2016 de 2 228,9 milliards d’euros).
Il faut insister sur le fait que ce calcul est à vocation illustrative et qu’il demeure très dépendant des hypothèses utilisées. Ces estimations pour la vague de chaleur actuelle fournissent cependant une première impression des risques économiques induits par les aléas climatiques et de la vulnérabilité de la société française.
Que faire ?
Si pour faire face aux vagues de chaleur, respecter les mesures de précaution préconisées par les pouvoirs publics est essentiel, sur le plus long terme, il apparaît nécessaire de s’y adapter. Un article publié en 2017 dans la revue scientifique Nature Climate Change évoque à ce propos diverses pistes : la végétalisation des toits, l’installation de revêtements reflétant mieux la chaleur, etc.
Une étude très récente sur les vagues de chaleur mortelles dans 164 villes de 36 pays montre que le réchauffement climatique entraînera une très rapide augmentation de ces épisodes à moins que le réchauffement ne soit gardé bien en dessous de la limite de 2 °C de hausse. Ce risque posé par le changement climatique sur les villes est de mieux en mieux appréhendé au niveau politique, un exemple notable en est le développement du C40 (91 villes représentant 25 % du PIB global) dirigé par la maire de Paris, Anne Hidalgo. Très engagé, le C40 a adopté une position visant à atteindre l’objectif de limiter l’augmentation des températures globales à 1,5 °C tel que disposé dans l’Accord de Paris.
Incontestablement, une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre – dont la concentration dans l’atmosphère provoque une hausse des températures et des événements climatiques extrêmes – est l’approche la plus sûre contre les effets sociaux, économiques et sanitaires des vagues de chaleur et du changement climatique sur le moyen et long terme.
Ainsi, le respect et la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat, visant à « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C », apparaît comme l’assurance la plus efficace contre les effets de ces épisodes caniculaires rendus plus fréquents par le changement climatique.
Note méthodologique sur le calcul
En utilisant les coefficients de l’étude de Burke et coll., le risque économique additionnel lié à l’augmentation de la température moyenne pour les mois de juin 2003 et 2017 est calculé par rapport au mois de juin de la période de référence (ici 1956-2005). Dans la mesure où notre estimation préliminaire pour le mois de juin 2003 est plus élevée que celle établie par l’Insee pour la canicule de 2003, la réduction pour juin 2017 est ajustée sur la base des estimations de l’Insee. Pour cet ajustement, il est assumé que seuls les mois de juin et d’août 2003 ont contribué à la réduction du PIB mesurée par l’Insee, et cela de manière égale. Ainsi, la réduction pour juin et août 2003 aurait été comprise entre 0,6 et 1,2 point de croissance. Sur la base de cette fourchette, les estimations utilisant les coefficients de l’étude de Burke et coll. sont ajustées. Pour la vague de chaleur actuelle, une possible réduction du PIB entre 0,25 et 0,54 point de croissance est mesurée, soit environ moins que la moitié de l’effet mesuré pour 2003.
Florent Baarsch, Economist, Climate Analytics (Berlin), PhD candidate, Potsdam Institute for Climate Impact Research; Bill Hare, Director, Climate Analytics (Berlin), Adjunct Professor, Murdoch University (Perth), Visiting scientist, Potsdam Institute for Climate Impact Research et Michiel Schaeffer, Science Director, Climate Analytics (Berlin), Guest member Environmental Systems Analysis Group, Wageningen University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.