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Amour, grandeur et beauté dans une vallée lorraine

Ludovic et Zoran Boukherma ont tourné là où se déroule le roman de Nicolas Mathieu, « Leurs enfants après eux », dans l’Est de la France. Chronique sociale et de l’adolescence, il y a « du souffle, de l’ambition », du romanesque et de l’émotion dans cette adaptation fidèle du Prix Goncourt.

Paul Kircher, ici avec Angelina Woreth, a reçu le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir au Festival de Venise.

« On s’emmerde », lâche Anthony au début de « Leurs enfants après eux », film de Ludovic et Zoran Boukherma (sortie le 4 décembre). C’est l’été 1992 dans « une vallée perdue dans l’Est », et les ados s’ennuient. Les frangins réalisateurs, trentenaires qui avaient jusqu’alors été remarqués par du cinéma de genre (« Teddy », « L‘année du requin »), signent une adaptation fidèle du Prix Goncourt de l’écrivain nancéien Nicolas Mathieu (Editions Actes Sud). Avec le soutien de la Région Grand-Est, le Département des Vosges, la Communauté d’Agglomération d’Epinal, les frères Boukherma ont ainsi tourné en Moselle, à Epinal, au Lac de Pierre-Percée, au SnowWorld d’Amnéville… en Lorraine, là où se déroule ce roman déjà très cinématographique.

Chronique sociale et chronique de la jeunesse, le récit est situé à Heillange, qui a beaucoup à voir bien sûr avec Hayange en Moselle, avec cette Fensch Vallée autrefois chantée par Bernard Lavilliers, où « le nom des patelins se termine par ange ». Dans ce « Colorado en plus petit », les hauts-fourneaux sont toujours en plein milieu de la ville, mais leurs cheminées ne crachent plus rien, c’est la Lorraine d’après la crise de la sidérurgie.

D’impossibles ailleurs

Ludovic et Zoran Boukherma avaient jusqu’alors été remarqués par du cinéma de genre (« Teddy », « L‘année du requin »).

En quatre étés, de 1992 à 1998, on y suit les aléas d’une histoire d’amour adolescente, entre Anthony (joué par Paul Kircher), grand bénêt un peu timide, prolo boutonneux et maladroit, qui a craqué pour Stéphanie (Angelina Woreth), jolie fille un peu bourge, a priori inaccessible. Repéré dans « Le règne animal » de Thomas Cailley, Paul Kircher donne son physique, sa sensibilité, sa douceur, et sa violence potentielle à son personnage, pour lequel il a reçu le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir au Festival de Venise. Pour aller retrouver Stéph à une fête, Anthony (en polo agrigel !) commet un irréparable sacrilège : emprunter la moto de son père, une 125 Yamaha qui a disparu au petit jour, vol qui va déclencher un enchaînement de violence.

Ce paternel, Patrick, est incarné par Gilles Lellouche, qui avait été sollicité pour réaliser ce film ; trop pris par « L’Amour ouf », il en est resté coproducteur. Et interprète donc de cet homme taciturne, dépressif, alcoolique, épuisant pour les autres, son fils et son épouse Hélène, jouée par Ludivine Sagnier, au look et maquillages très « colorés ». Le film montre une France populaire, dite « périphérique », une vallée où l’autoroute passe au-dessus des cités ouvrières, une vallée que les adultes coincés ne peuvent quitter, et que les jeunes espèrent fuir, s’en échapper, en veulent « plus », même si les ailleurs semblent impossibles pour certains.

« Les fatalités de ce tout petit monde »

Un plan fixe sur les désormais silencieux hauts-fourneaux suffit à évoquer la fin d’un monde industriel (Photos Marie-Camille Orlando).

Malgré l’ombre silencieuse pesante, oppressante, des hauts-fourneaux, un plan fixe sur cette immense ferraille suffit à évoquer la fin d’un monde, et ce film magnifie quand même la Lorraine post-industrielle, abandonnée, meurtrie, brisée, martyrisée. Il y a ainsi « du souffle, de l’ambition », du romanesque, une certaine fureur de vivre, et surtout de l’émotion dans « Leurs enfants après eux », Nicolas Mathieu estimant « bouleversante » la forme donnée à son histoire, qui évoque « la grandeur, la beauté, les fatalités de ce tout petit monde ».

Le film est bourré de références populaires, les 14 juillet avec bal, flonflons et feux d’artifice, une vignette Panini de Michel Platini dans la chambre d’Anthony, ce soir de juillet 1998 où la France black-blanc-beur braillait qu’on était « en finale » grâce au doublé de Lilian Thuram… et une super bande-son, comme dans « L’Amour ouf », avec tubes internationaux et chanson française, d’un touchant « Samedi soir sur la Terre » de Francis Cabrel à « Born to run » de Bruce Springsteen au générique de fin. Toutes ces choses qui font « l’effroyable douceur d’appartenir », dernière phrase du livre « Leurs enfants après eux ».

Patrick TARDIT

« Leurs enfants après eux », un film de Ludovic et Zoran Boukherma, avec Paul Kircher, Ludivine Sagnier, Angelina Woreth, Gilles Lellouche (sortie le 4 décembre).

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