Le moindre étudiant en droit connait la différence entre la loi et le décret : la loi relève du Parlement et donc théoriquement de la volonté du peuple dans sa diversité. Le décret n’est le fait que des Ministres, nommés par le seul Président qui, dans cette 5° république pas vraiment parlementaire, a tendance à décider de tout et tout le temps.
Par Christian Eckert
Si la constitution et sa jurisprudence précise ce qui relève de la loi et ce qui se peut se traiter par décret, une observation des pratiques actuelles montre des abus de plus en plus fréquents, pas forcément au regard du droit, mais à coup sûr, vis-à-vis de l’esprit démocratique et de l’éthique.
Les exemples se multiplient certes, encouragés par l’absence de majorité des marconistes au Parlement, mais leur nombre et leur nature risque d’agrandir la fracture entre les français et la construction de leur société.
À mille lieues des prévisions
Les derniers avatars des finances publiques en sont une première illustration. Comme le veut la règle, le Gouvernement fait adopter (à l’aide du 49/3) une loi de finances fin décembre 2023 pour l’année 2024. Constatant que 2023 a été à mille lieues de ses prévisions, le Gouvernement annonce « annuler » 10 Milliards de dépenses (plus ou moins documentées) par décret. Le Parlement, constitutionnellement en charge des finances, est ainsi court-circuité en règle. On évoque d’ailleurs un deuxième rabot de même ampleur…
Un second exemple laisse pantois : on apprend hier que la nouvelle feuille de route énergétique de la France, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), sera adoptée par voie réglementaire, et non législative. Non seulement c’est le contraire des engagements précédents, mais c’est surtout priver le pays de choisir dans la durée la stratégie dans un domaine essentiel pour son autonomie et la qualité de son environnement. Éviter le débat laisse libre cours à toutes les caricatures et empêche tout consensus.
Convention fiscale entre la France et le Luxembourg
Je ne résiste pas à pointer une singularité plus locale qui sera la risée des écoles de droit public pendant longtemps : le Gouvernement qui a signé une convention fiscale entre la France et le Luxembourg, l’a fait ratifier en bonne et due forme par le Parlement, a renoncé à l’appliquer depuis plusieurs années, même pas par décret ! Une simple note dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques a accompagné un décret…! Deux articles de la Constitution sont ainsi bafoués. La presse vient d’annoncer discrètement, promis juré, que ça sera encore le cas en 2024, mais pour la dernière fois…
Sur ces exemples, il ne s’agit pas de contester les choix qui sont faits, même s’il y aurait beaucoup à dire. Mais il n’est pas normal que sur des sujets aussi majeurs, dans une démocratie qui se veut parlementaire, le Gouvernement de celui qui se revendiquait jupitérien soit seul à décider. L’émergence du RN trouve là en partie une explication.