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Partager des histoires avec ses enfants pour les préparer à la lecture

Par le jeu des intonations, le parent aide l’enfant à se repérer dans l’histoire qu’il lui raconte.
Shutterstock

Samantha Ruvoletto, Université de Lorraine

Quand un parent décide de partager un album ou un recueil de contes avec un très jeune enfant, il ne se contente pas de lui lire un texte à voix haute. Au fil du récit, il va souligner par le jeu des intonations les moments importants de l’histoire ou expliquer le sens de certains mots nouveaux. Et, même si le livre présente des illustrations éclairant l’histoire, on voit bien que ce rituel place la langue écrite au centre de l’attention de l’enfant en âge pré-scolaire.

Cette pratique qui, au premier abord, peut paraître exclusivement « ludique » a en fait une forte incidence sur le développement du langage et sur l’apprentissage de la lecture qui se mettra en place au CP.

Tout d’abord, la fréquence de ces lectures partagées à la maison influence le développement de certaines compétences liées à la langue écrite. À partir des renseignements réguliers glissés lors de cette activité, les enfants peuvent renforcer les bases essentielles aux pratiques de lecture et d’écriture mises en place à l’école.

Une des compétences est celle qu’on appelle « sensibilité à l’orthographe ». Il s’agit d’une aptitude précoce permettant à l’enfant de comprendre les caractéristiques et l’organisation de la langue écrite. Cela anticipe ce qui sera ensuite explicité pendant la scolarisation. Pour donner des exemples, c’est ce qui permet de reconnaître que la langue écrite française est « linéaire », qu’elle se développe de gauche à droite, et, qu’entre deux mots écrits, il y a un espace blanc.

Associer des signes au sens

Ces caractéristiques peuvent apparaître évidentes. Mais elles doivent être maîtrisées avant de pouvoir pour aborder une nouvelle modalité de communication complètement différente de l’oral, et à laquelle un enfant n’est pas du tout familier.

La sensibilité à l’orthographe ne comprend pas seulement des jugements sur les régularités orthographiques de la langue, mais aussi des compétences comme la capacité d’associer une suite de lettres à un sens. Pendant l’acquisition de la langue orale, un enfant d’environ 20 mois peut déjà associer un objet présent dans la situation de communication à la séquence de sons qui le désigne – par exemple appeler « chat » un chat qu’il est en train de voir à un moment donné).

Associer un sens à une séquence de signes sur le papier est une tâche bien plus complexe, pour plusieurs raisons. D’abord parce que cette séquence évoque un élément absent de l’environnement immédiat de l’enfant. De plus, cette suite de lettres manque d’iconicité : cela veut dire que, contrairement à un dessin, elle ne reflète pas forcément les caractéristiques de l’objet qu’elle désigne.

Dans les activités de lecture partagée, l’adulte aide l’enfant à établir et à consolider le lien entre une séquence écrite et un sens, mais également à faire la différence entre un dessin et une production écrite. Cette pratique anticipe une compétence nécessaire pour apprendre à lire et à écrire en primaire : comprendre qu’un mot écrit est porteur d’une signification et que le rapport avec cette signification n’a pas la même nature que ce qui a lieu avec un dessin.

Enrichir son vocabulaire

De plus, au fil de ces lectures, l’enfant va fréquemment rentrer en contact avec des mots qu’il n’a jamais entendus précédemment, et qui correspondent à des réalités parfois bien éloignées de son quotidien – comme le mot « requin », dans un livre sur les animaux de la mer). L’adulte, en explicitant le sens de ce mot inconnu, aide l’enfant à élargir son vocabulaire. La lecture partagée devient donc aussi un support pour le développement du lexique et ce développement a des conséquences sur les activités de lecture à l’école primaire.

En effet, Cain et collaborateurs (2004) ont montré que les enfants ayant des difficultés à comprendre un texte écrit à l’école primaire sont ceux dont le vocabulaire est très réduit. La lecture partagée devient donc un outil qui permet de façon indirecte aux futurs élèves de mieux réussir dans les tâches de compréhension d’un texte écrit.

Il ne faut pas oublier que, dans ces moments de partage autour d’un livre, l’enfant n’est pas autonome face aux pages écrites. L’enfant doit donc d’abord comprendre les productions orales de l’adulte pour comprendre l’histoire. Plusieurs recherches ont montré que le lien entre compréhension orale et écrite est très fort chez l’enfant, avant et pendant l’école primaire. Ces études ont montré que la capacité de comprendre une histoire racontée à l’oral prédit le niveau de compréhension d’un texte écrit.

Plus un enfant est capable de saisir une histoire racontée à l’oral, mieux il se repérera dans une production écrite quand il se retrouvera seul face à un livre. Ces résultats, comme beaucoup d’autres, rappellent que l’éducation à la lecture commence bien avant le CP, à travers des interactions de la vie quotidienne et des efforts réguliers autour de la compréhension orale.The Conversation

Samantha Ruvoletto, Maître de Conférences, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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