David M. Pritchard, Université de Strasbourg
Combien devrions-nous investir dans les Jeux olympiques ? À l’approche de Rio 2016, la question se pose une fois encore. Les pays occidentaux continuent à dépenser des sommes faramineuses pour leurs équipes olympiques. Par exemple, le Royaume-Uni a dépensé 340 millions d’euros pour son équipe lors des JO de Londres, et investit encore plus pour 2016 dans l’espoir de remporter autant de médailles d’or. Les contribuables britanniques paient aujourd’hui 4 fois plus pour leurs sportifs olympiques que pour l’éducation physique à l’école.
Qui doit financer les équipes olympiques nationales ?
L’Australie est un autre exemple de soutien financier massif de sportifs de haut niveau par l’État. Le pays ne représente qu’un tiers de la population du Royaume-Uni, et pourtant le gouvernement australien a dépensé la somme incroyable de 240 millions d’euros pour son équipe lors des JO de Londres. Les 7 médailles d’or remportées en 2012 représentent son palmarès le plus bas depuis les Jeux de Montréal. Chaque médaille d’or a coûté 34 millions d’euros aux contribuables australiens, et l’État investit encore plus pour Rio dans l’espoir d’améliorer son score, en dépit de coupes franches dans les budgets de l’éducation et de la santé.
Même l’Allemagne se met à dépenser des montants impressionnants pour le sport d’élite, après avoir refusé pendant des décennies de subventionner les athlètes olympiques en raison des pratiques excessives de l’Allemagne de l’Est. Pourtant, le gouvernement a changé de tactique suite aux mauvais résultats des JO de Londres et ouvre de nombreux instituts sportifs de style est-allemand, dont la pièce maîtresse est l’école Werner-Seelenbinder de Berlin, considérablement agrandie.
Ce financement par l’État des équipes olympiques est fortement débattu. Dans chaque pays, le Comité national olympique affirme qu’il est crucial de s’assurer les avantages « évidents » apportés par les médailles d’or, mais de nombreuses personnes sont tout autant convaincues que ces avantages sont illusoires. Pour ces dernières, ces subventions sont contraires à l’éthique en ces temps d’austérité budgétaire. Elles absorbent des fonds publics, déjà limités, qui seraient plus utilement dépensés pour des médecins ou des professeurs d’éducation sportive.
Les bénéfices d’une médaille d’or
Comment pouvons-nous faire avancer le débat ? Par exemple, en analysant les bénéfices réels d’une médaille d’or olympique. Les Grecs de l’époque antique ont concouru aux Jeux olympiques pendant 1 000 ans, et avaient une conception bien précise des avantages de la victoire. En étudiant leur opinion sur le sujet, nous pouvons obtenir une vision plus claire de ce que les médailles d’or peuvent représenter pour nous.
Par exemple, les Grecs auraient été horrifiés de notre financement des équipes olympiques. Ils ne gaspillaient pas l’argent public pour envoyer des athlètes aux Jeux. Ces derniers étaient à même d’y participer car leur famille avait payé les cours particuliers d’un professeur d’athlétisme, et les athlètes payaient leur voyage et couvraient leurs propres frais durant les JO.
Pourtant, les Grecs accordaient bien plus de valeur aux victoires olympiques que nous. Chaque polis (cité-État) offrait à ses vainqueurs la gratuité des repas et les meilleures places aux événements sportifs, à vie. Ces distinctions étaient les plus élevées, et sinon réservées uniquement aux généraux victorieux. Le fait qu’elles aient été accordées aux champions olympiques montre que les Grecs étaient persuadés que ces vainqueurs apportaient un avantage significatif à leurs cités-États.
La célébrité comme trophée
Les Comités nationaux olympiques peinent à expliquer ce que constitue cet avantage, mais les Grecs y excellaient : par exemple, le discours au sujet d’une victoire athénienne à la course de chars, au cours des JO de 416 avant J.-C. Le fils du vainqueur y explique que son père faisait partie de 7 équipes, un nombre sans précédent, car il comprenait l’avantage politique que la victoire apporterait à Athènes. Il savait que « les cités-États des vainqueurs deviennent célèbres ». Il affirmait que les champions olympiques représentaient leur polis. Leurs victoires étaient remportées « au nom de leur cité-État, devant la Grèce entière ».
Ce qui rendait une victoire olympique si importante sur le plan politique était la publicité qui l’entourait : en effet, les JO étaient l’événement public le plus important du monde grec, et le stade olympique pouvait accueillir jusqu’à 45 000 spectateurs. Par conséquent, tout ce qui se produisait au cours des Jeux était connu de tout le monde grec, rapporté par les ambassadeurs, les athlètes et les spectateurs à leur retour chez eux.
Les archéologues allemands ont découvert que les Grecs exploitaient ce phénomène sans vergogne. Il était connu de longue date que les Grecs installaient des trophées à l’extérieur du stade afin de rappeler leurs victoires militaires et, lors des JO de 1936, Adolf Hitler utilisa ses fonds discrétionnaires pour y organiser des fouilles. Ces dernières ont révélé des dizaines de milliers d’armes, provenant des trophées que les cités-États grecques avaient installés dans les gradins du stade.
Les jeux et la guerre
Grâce au nombre important de spectateurs assistant aux Jeux, l’ensemble du monde grec était informé de la victoire d’une polis à travers l’un de ses sportifs. Ces victoires sportives apportaient à des cités-États mineures une renommée internationale et, à celles qui étaient des pouvoirs régionaux, la preuve incontestable de leur supériorité par rapport à leurs rivales.
L’unique autre moyen qu’avait une polis de s’élever dans le classement international était de battre une polis rivale lors d’une bataille. Or l’issue d’un combat est toujours incertaine, et pouvait coûter la vie à plusieurs milliers de guerriers. Par conséquent, une cité-État grecque estimait qu’un citoyen victorieux aux Jeux olympiques méritait les plus grands honneurs publics, car il avait accru la renommée de la cité sans verser le sang de ses compatriotes.
Nous considérons toujours les champions olympiques comme nos représentants, et faisons toujours partie d’un système international de concurrence entre États. Par conséquent, nous pouvons tirer des enseignements des JO antiques et admettre que les succès sportifs internationaux rehaussent le prestige des États, un phénomène plaidant en faveur du subventionnement des équipes olympiques.
Toutefois, nous ne pouvons pousser trop loin la comparaison : pour le meilleur ou pour le pire, nous ne sommes pas des Grecs antiques, et la compétition internationale n’est plus confinée au sport et à la guerre. De nouveaux organismes comme le G20, l’OCDE et l’ONU classent également les États d’après l’éducation et la santé, et nous ne conserverons notre place dans ce nouvel ordre mondial que si nous investissons également dans la médecine et dans l’éducation sportive.
David M. Pritchard, Research fellow à l’Institut d’études avancées (USIAS), Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.