Xavier Hollandts, Kedge Business School
Vendredi 1er juin, Phil Hogan, le commissaire européen à l’Agriculture, a présenté les grandes lignes de la réforme de la politique agricole commune (PAC). Un projet qui aura réussi à faire l’unanimité contre lui, si l’on en croit les réactions des principaux acteurs français et notamment du ministre Stéphane Travert.
Le budget européen consacré à l’agriculture – qui représentait le premier budget de l’Union (avec 43 %) – devrait en effet connaître une baisse très sensible, de l’ordre de -15 à 20 %, selon les estimations de nombreux experts. Il passera ainsi de 408 milliards d’euros pour la période 2014-2020 à 365 milliards pour 2021-2027.
Décryptage des enjeux et des conséquences de cette réforme cruciale pour l’avenir de l’agriculture européenne et française.
Un pilier de la construction européenne
Déployée dès 1962, la PAC a constitué l’une des premières réalisations tangibles d’une politique réellement européenne. Ses objectifs initiaux étaient ambitieux : augmentation de la compétitivité, sécurité des approvisionnements, stabilisation des marchés et revenus décents pour les paysans.
La PAC s’est construite autour d’une définition européenne de règles d’orientation de l’agriculture, de respect de l’environnement et des volumes à produire. La politique de quotas agricoles a longtemps symbolisé la dimension interventionniste de cette politique.
Des quotas annuels étaient définis au niveau européen et ventilés ensuite par pays puis par exploitation agricole. Ces mécanismes offraient aux paysans une certaine visibilité et une relative stabilité des prix. Cette régulation européenne qui consistait à encadrer volumes et prix a peu à peu été démantelée et les quotas ont officiellement disparu en 2015. Depuis, les pays et les exploitations se trouvent en prise directe et en concurrence frontale pour trouver des débouchés à leurs produits agricoles.
Dans les faits, la PAC est depuis le départ articulée autour de deux piliers essentiels. Le premier concerne les aides directes aux agriculteurs et représente les trois quarts du budget européen. Chaque exploitant agricole doit réaliser une déclaration (Telepac en France) qui lui permet de bénéficier d’une subvention européenne de base indexée sur la surface totale de l’exploitation.
Cette subvention de base peut être complétée par des aides additionnelles soumises aux respects de certaines conditions. En moyenne, les subventions européennes représentent 267 euros/hectare, ce qui constitue dans certaines filières la première source de « revenus » de l’exploitation. En France, 91 % des exploitations touchent une aide de la PAC (avec un montant moyen de 27 000 euros). En général, les subventions ne sont pas conditionnées au volume produit mais bien à la surface de l’exploitation afin de ne pas encourager la surproduction et ses effets délétères pour les paysans.
Le second pilier concerne l’aide au développement rural ; il ne représente qu’un quart du budget européen. Il permet de soutenir des projets de développement, l’aide à l’installation de jeunes agriculteurs ou de financer des projets de reconversion, notamment en bio.
Quelles évolutions avec la nouvelle PAC ?
Pour le dire simplement, la politique agricole commune n’a plus rien de… commun !
En effet, plusieurs décisions mises bout à bout vont conduire à une renationalisation des politiques agricoles. Là où l’Europe arrivait à définir, parfois au prix de tractations difficiles, des objectifs communs, la nouvelle PAC se contente de définir 9 objectifs généraux – niveau de prix, rémunération des producteurs, environnement, orientation bio, etc. – dans lesquels les États pourront « piocher » pour composer leur propre politique agricole nationale.
Qui plus est, les pays pourront aussi orienter 15 % de leur budget européen dédié entre les deux piliers alors que ce n’était pas le cas auparavant. Ainsi, ils auront la main à la fois sur les objectifs mais également les montants alloués entre les deux piliers, pouvant soit décider d’encore plus soutenir leurs agriculteurs ou bien au contraire mettre l’accent sur le développement rural.
Autre conséquence directe, la baisse du budget global va mécaniquement induire une baisse des subventions pour les agriculteurs. Les estimations font état d’une baisse de 25 euros/hectare et par an. La surface moyenne des exploitations françaises étant de 55 hectares, ce sont, en moyenne, près de 15 000 euros que les paysans vont perdre.
Les conséquences prévisibles
Même si cette nouvelle PAC pourrait faire l’objet d’arbitrages ou de tractations dans les mois à venir, les grandes lignes semblent posées, conduisant à plusieurs évolutions majeures clairement identifiables.
Pour la première fois, la PAC, première politique européenne mise en œuvre, va peu à peu être dissoute au profit des politiques agricoles nationales, variant d’un pays à l’autre. C’est l’abandon de l’idéal européen et de la volonté de construire une destinée agricole commune.
La définition de politiques nationales va priver l’Europe de moyens d’arbitrage au niveau communautaire puisque chaque pays pourra définir des objectifs potentiellement en compétition avec ceux de ses voisins. La concurrence intra-européenne s’en trouvera exacerbée.
Seuls les acteurs privés seront en mesure d’avoir des projets à dimension européenne, à grand renfort de rachats et fusions/acquisitions. Le politique n’interviendra plus à ce niveau, mais seulement au niveau des filières nationales.
La baisse des subventions risque de fragiliser un nombre croissant d’exploitations agricoles, notamment familiales. L’enveloppe annuelle de la France passera ainsi de 9,4 à 8,5 milliards dans la prochaine PAC. Il en résultera une baisse du nombre d’exploitations (La France compte 450000 exploitations contre 1,6 million en 1970).
Mécaniquement, on assistera à une concentration des fermes et le renforcement des entreprises agricoles et des méga-fermes. Peu à peu, la figure tutélaire de la ferme familiale cèdera la place à l’entreprise agricole, comme l’a documenté le sociologue François Purseigle dans son ouvrage Le nouveau capitalisme agricole. Seules les petites exploitations en circuit direct risquent de subsister à terme.
Les enjeux oubliés
Cette réforme laisse de côté trois enjeux essentiels pour l’agriculture nationale et européenne.
Les filières agricoles sont aujourd’hui caractérisées par un déséquilibre majeur dans la répartition de la valeur entre trois acteurs essentiels : les producteurs (exploitants agricoles), les industriels/transformateurs, la grande distribution. Dans la plupart des filières agricoles, l’essentiel de la valeur est captée par les industriels et les distributeurs. Cet enjeu, qui fut au cœur de certains travaux conduits dans le cadre des récents États généraux de l’alimentation, est curieusement absent de la réforme.
La réforme ne se prononce pas non plus sur le protectionnisme de certains États (USA) et des conséquences du CETA. En effet, la nouvelle PAC ne définit pas de politique européenne en termes d’échanges avec le reste du monde, de tarifs douaniers ou bien encore de règles d’importation des produits agricoles venant d’autres zones du monde. En creux, cela indique que la nouvelle PAC s’inscrit délibérément dans un marché mondialisé (et dérégulé) des produits et matières premières agricoles.
Enfin, la réforme ne se prononce pas sur une éventuelle spécialisation des pays par type de productions. Il est en effet dommageable que l’ensemble des pays se retrouvent en concurrence sur la filière laitière. Chaque pays étant libre d’orienter sa production agricole, il manquera inévitablement une politique régulatrice à ce niveau et rien ne garantit que les marchés agricoles pourront absorber les sur ou sous-productions de chaque filière.
De nouvelles marges de manœuvre
La réforme de la PAC constitue pour beaucoup un recul, une sorte de retour à une étape antérieure qui privilégierait une définition nationale des politiques agricoles. La PAC change également de nature en passant d’une PAC universelle à une PAC plus protectrice, mais moins généreuse. En revanche, la relocalisation des possibilités d’arbitrages au niveau national peut permettre d’assurer une proximité et une acceptabilité plus grande vis-à-vis des agriculteurs.
Paradoxalement, cette réforme à venir peut offrir des marges de manœuvre budgétaires inespérées au gouvernement qui aura ainsi la possibilité de mieux connecter les réformes issues des États généraux de l’alimentation avec les moyens nécessaires à sa politique agricole.
Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.