Philippe Ciais, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay; Anna Peregon, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay et Cathy Nangini, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
Les villes concentrent l’activité économique, et la consommation d’énergie pour les logements, les transports, les infrastructures. Il en résulte que les villes ont de très fortes émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent le climat. En regroupant 50 % de la population mondiale, les métropoles contribuent en effet pour plus de 70 % des émissions de CO₂ au niveau planétaire.
L’urbanisation se poursuit à un rythme accéléré, en particulier dans les pays en voie de développement mais aussi avec l’expansion de territoires urbanisés en Europe et en Amérique du Nord. En 2030, les zones urbaines – et particulièrement les mégalopoles qui regrouperont 75 % de la population mondiale – devraient émettre 76 % des émissions de CO₂.
Premier pays émetteur de gaz à effet de serre, la Chine et son 1,3 milliard d’habitants, a ainsi connu une urbanisation spectaculaire au cours des dernières décennies. Entre 1978 et 2016, le pourcentage de la population urbaine a augmenté de 18 à 57 %. On estime qu’un milliard de Chinois résideront dans une ville en 2030.
Les migrations massives que nous observons actuellement, depuis les espaces ruraux vers les villes, s’accompagnent d’une transformation sociale et d’une expansion des surfaces urbanisées. Les émissions de CO2 d’un pays sont donc concentrées dans les villes ; et, dans un futur proche, elles dépendront non seulement de l’accélération de l’urbanisation, mais aussi de l’évolution des formes urbaines, des structures économiques, des infrastructures de transport, et de la consommation en énergie des logements et des bâtiments commerciaux.
Dans les pays émergents, l’urbanisation s’accompagne souvent du développement à proximité des agglomérations d’industries rejetant des gaz à effet de serre (et des polluants) dans l’atmosphère. En général, pour ces pays, la consommation en énergie, et les émissions de CO2, par habitant est bien plus élevée dans les villes que dans les zones rurales.
De fortes disparités entre villes
Il existe toutefois de grandes disparités entre villes, et ce même au sein d’un même pays, concernant le niveau des émissions de CO2 ; ceci reflète des choix d’infrastructures urbaines et des politiques de développement différentes. Un habitat plus dense et des transports alternatifs à l’utilisation de véhicules individuels favorisent par exemple une économie d’émissions par habitant.
Les villes ont un rôle majeur à jouer dans les futurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre adoptés fin 2015 via l’Accord de Paris ; l’objectif est de l’Accord de Paris est en effet extrêmement ambitieux : une réduction d’un facteur deux des émissions de gaz à effet de serre tous les dix ans, afin d’atteindre une neutralité globale en CO2 à la fin du XXIe siècle. Cet objectif ne pourra être atteint qu’avec une transition énergétique et sociale profonde, en particulier dans villes ou résidera la majorité de la population.
La plupart des grandes métropoles ont pris des engagements de réduction volontaire de leurs émissions. De tels engagements peuvent faire la différence.
Par exemple, le plan « Climat air énergie » de la ville de Paris propose de réduire les émissions de gaz à effet de serre du territoire parisien de 75 % en 2050 par rapport à 2004 ; un engagement sur du plus long terme que l’objectif européen de réduction des émissions de 40 % en 2030 par rapport à l’année 1990 (soit 41 % de moins qu’en 2004). Ce plan prévoit des actions dans de multiples domaines : déplacements, habitat, urbanisme, gestion des ressources et des déchets, alimentation.
La qualité des données
Le défi est de rassembler et d’interpréter de données fiables sur les émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre des centres urbains, d’une qualité suffisante pour intégrer les engagements volontaires des villes aux efforts nationaux de réduction des émissions ; et comprendre ainsi comment elles vont contribuer concrètement aux trajectoires futures des émissions.
Aujourd’hui, les données relatives aux émissions de gaz à effet de serre reportées aujourd’hui par les villes sont souvent ambiguës et parfois incohérentes, rendant difficile la comparaison des émissions et des facteurs qui les contrôlent, entre différentes métropoles. La collecte de ces données est d’autre part assez lourde et peut facilement représenter des efforts de plusieurs millions de dollars.
Les données les plus robustes existent pour les villes les plus riches et les plus engagées dans la lutte contre le changement climatique, telles que Paris ou Los Angeles ce qui conduit à un biais important dans la qualité des données globales disponibles. Or, les centres urbains qui auront le taux de croissance le plus élevé dans les années à venir sont plutôt les villes de taille moyennes, celles de moins d’un million d’habitant en Asie et en Afrique et le groupe des 47 pays les moins avancés qui possède la plus forte croissance démographique.
Les villes des pays les moins avancés sont aujourd’hui celles qui n’ont pas encore les ressources économiques et les capacités d’infrastructure pour collecter et évaluer systématiquement leurs émissions de CO2. Les données collectées actuellement ne sont donc pas bien adaptées pour pouvoir formuler des solutions de réduction des émissions.
Par exemple, les villes ont besoin de données sur leur parc immobilier pour évaluer l’impact de la modernisation des logements, la consommation en énergie et les types de fuels et de sources d’énergie utilisés par différents habitants (dont le niveau de vie et l’accès aux services peut être très différent) ainsi que l’impact de l’expansion des territoires urbanisés. Les enquêtes sur les déplacements individuels constituent, par exemple, une base insuffisante pour répondre aux défis de la mobilité urbaine.
En outre, des données qualitatives manquent souvent. Certaines des informations les plus pertinentes sur le plan des politiques urbaines et des comportements individuels qui auront un impact sur les émissions futures de CO2 ne sont pas forcément saisies dans des données purement économiques et quantitatives sur les émissions, mais plutôt dans les récits : par exemple, qui, pourquoi et comment les villes font les choses comme elles le font, qui peuvent fournir le contexte et les relations causales des actions au résultat final en termes d’émissions de CO2, qui peut être mesuré par des données quantitatives.
Une collecte qui se structure
Des données plus fiables sur les émissions de gaz à effet de serre, à la fois pour le suivi des efforts de réduction de chaque ville et pour l’analyse systématique des différences entre métropoles, sont cruciales pour la construction de nouvelles connaissances, permettant l’apprentissage interurbain en guidant les politiques d’aménagement et la pratique urbaine.
Surmonter ces problèmes est essentiel pour développer des solutions basées sur les connaissances qui pourront être transposées dans les villes du monde entier tout en respectant leurs différences. Une infrastructure de données harmonisée et à grande échelle est nécessaire pour ouvrir la voie et inclure de manière concrète les efforts de réduction des émissions par les villes dans les objectifs de l’Accord de Paris.
Plusieurs organisations internationales – comme le C40, le R20, ICLEI et le CDP – collectent depuis plusieurs années des données d’émissions des gaz à effet de serre de la part de villes qui ont pris des engagements volontaires.
Pour ajouter à ces premières données sur les émissions de CO2 les variables socio-économiques clés qui permettent de comprendre pourquoi les émissions sont différentes, et d’aider au design de scénarios de réduction des émissions, le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement avec le Global Carbon Project travaillent sur un nouveau jeu de données qui sera rendu public courant 2018 et distribuées librement sur le site du Global Carbon Atlas 2. Sur cette plate-forme, les données annuelles des émissions de CO2 par pays sont déjà disponibles grâce à la contribution de plus de 80 laboratoires de recherche dans le monde.
Philippe Ciais, Directeur de recherche au Laboratoire des science du climat et de l’environnement, Institut Pierre-Simon Laplace, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay; Anna Peregon, Chercheuse dans le domaine du changement climatique, Institut Pierre-Simon Laplace, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay et Cathy Nangini, Data and Data Visualization Scientist, Institut Pierre-Simon Laplace, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.