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« L’Assemblée » debout

« Le fondamental, c’était que les gens se parlent et s’écoutent », dit Mariana Otero, qui a tourné un documentaire, place de la République, à Paris, au printemps 2016. Entretien.

Mariana Otero : "Le bordel des uns, c'est la démocratie des autres".
Mariana Otero : « Le bordel des uns, c’est la démocratie des autres ».

C’est un « préavis de rêve » qu’a vécu une foule pacifique, au printemps 2016, tandis que le mouvement Nuit debout s’installait place de la République, à Paris. Citoyenne et cinéaste (« Entre nos mains », « A ciel ouvert »…), Mariana Otero y a filmé 70 heures, et en a tiré un documentaire de 99 minutes, « L’Assemblée » (actuellement en salles), au titre explicite. « C’était important que dès le titre on comprenne que ce n’était pas un film sur Nuit Debout dans sa totalité, ni une tentative d’essayer d’être exhaustif », précisait Mariana Otero, à l’occasion de la présentation de son film au Caméo à Nancy. Interview.

A partir de quel moment vous avez décidé que ce que vous filmiez place de la République deviendrait un film ?

Mariana Otero : A un moment donné, j’ai décidé que juste filmer des petits bouts, papillonner d’une commission à l’autre, ce n’était pas très intéressant, c’était un peu l’image qu’en donnaient les médias, le côté festif, parfois un peu violent. Mais ce qui était intéressant sur cette place, c’était le travail, que des gens essaient vraiment, avec leurs compétences propres, de créer quelque chose. Là, je me suis dit que ce serait nécessaire de faire un film, qu’il fallait vraiment que j’y passe du temps, j’ai commencé à venir tous les jours et j’ai choisi cet angle, de l’assemblée et de la commission démocratie sur la place, pensant que cette partie raconterait peut-être le tout, son questionnement, ses impasses, sa force… C’est ce qui me semblait le plus inédit, le plus incroyable, le plus émouvant, reprendre la parole, essayer de créer un espace politique, ça me semblait extrêmement fort.

« Construire quelque chose ensemble »

Vous avez donc filmé un exercice de libre parole et de démocratie participative en train de se faire…

Tout à fait. Le fondamental, c’était faire en sorte que les gens se parlent, arrivent à prendre la parole, et surtout que les gens s’écoutent, ils ont donc mis en place des règles, avec des signes. Après, à partir de ces paroles singulières, la question c’était comment on peut construire quelque chose ensemble ; comment, à partir de ces différences, pouvoir créer du collectif. C’est une question que je me pose souvent, le collectif, quelle place on laisse à la singularité au sein d’un collectif ; si j’ai commencé à filmer ce n’est pas par hasard, c’est parce que j’y ai trouvé des questions qui m’intéressent.

Le paradoxe, c’est alors que la parole s’ouvre place de la République, elle n’est plus libre dans la véritable Assemblée, puisque Manuel Valls y utilise le 49.3…

Oui, pendant que sur la place il y a un travail de renouvellement démocratique, par ailleurs il y a la répression policière et le 49-3, c’est-à-dire deux exemples de déni de démocratie. Au début, j’allais aux manifestations sans les filmer, mais ça m’a semblé important de le faire, pour justement montrer à quel point il y avait à l’œuvre à la fois un exercice démocratique et par ailleurs un écrasement de cette démocratie.

Et aux manifs, vous avez vous aussi subi gaz lacrymogènes et hostilité ?

J’étais complètement mélangée aux manifestants, les CRS ne faisaient pas du tout la différence, et voire même étaient plus sévères avec les journalistes et les gens qui filmaient. Je me suis même fait arrêter le 5 juillet, devant l’Assemblée nationale, tout le monde était considéré à la même enseigne face à la violence policière, qui était très forte. Souvent, on faisait croire que c’étaient les casseurs qui étaient responsables de la violence policière, alors qu’on voit dans le film que c’est tout à fait autre chose.

La presse n’a pas toujours été la bienvenue, place de la République, comment étiez-vous perçue ?

Sur la place, au début, j’étais un peu comme les autres journalistes ou cinéastes. En commissions, ils demandaient aux gens de se présenter, j’expliquais que j’essayais de faire un film, et en fait très vite ils m’ont reconnue, puisque je venais tous les jours.

« Beaucoup de gens se sont politisés »

On voit François Ruffin dans les premières images de votre documentaire, et plus du tout ensuite, pourquoi ce choix ?

Je ne l’ai plus montré parce qu’en fait après il s’est vraiment éloigné du mouvement. C’est à la suite de son appel, à son initiative, qu’il y avait eu une première réunion et une décision collective de faire la première assemblée, après la manifestation du 31 mars, mais au fond ça ne ressemblait pas du tout à ce qu’il voulait. Ce qu’il aurait voulu, c’est une jonction avec les syndicats, et très vite sur la place de la République, ce n’était plus tant la lutte contre la loi El Khomri que le désir de renouveler l’exercice démocratique. Donc, ça ne lui a plus convenu et il s’en est éloigné.

Depuis, il a été candidat aux élections législatives, a été élu, et siège désormais à l’Assemblée…

Je pense que Ruffin a toujours été un homme politique, qu’il a toujours voulu faire de la politique, et que c’est le chemin qu’il avait envie de suivre.

« L’Assemblée » a un point commun avec le film de Robin Campillo, « 120 battements par minute », sur le mouvement Act’up, c’est qu’on y voit l’installation de règles pour communiquer et se respecter ?

C’est ça qui m’a ému au début, ce désir de trouver des moyens pour que les gens s’écoutent et se parlent. Est-ce que c’était la bonne manière, ou pas, l’idée c’était de trouver la méthode pour qu’il y ait une vraie écoute, et que la parole ne soit pas donnée qu’aux professionnels, que d’autres s’en emparent.

Un peu plus d’an après, que reste-t-il de Nuit Debout ?

Je pense que ce qui reste d’abord, c’est que beaucoup de gens se sont politisés, toute une génération, beaucoup sont rentrés dans La France insoumise, d’autres dans des groupes plus radicaux, comme les anarchistes ou les autonomes. Il y a beaucoup de réseaux qui se sont créés, et qui continuent d’être connectés les uns avec les autres. Et je crois que ça a irrigué énormément la campagne présidentielle, tous les thèmes, le revenu de base, la démocratie participative, une nouvelle constituante…
Ce ne fut donc pas jute un moment d’illusion collective ?

Non, il y a eu quelque chose, d’abord ça marque l’époque, c’est un peu une avant-garde. Ce qui a été posé là comme nécessaire, c’est qu’on ne peut plus continuer avec la démocratie représentative et qu’il faut absolument inventer quelque chose. On ne peut pas dire qu’ils aient réussi à mettre en place une nouvelle forme de démocratie, ils se sont posé plein de questions, vote ou pas vote par exemple, qui ont le mérite d’être un outil pour réfléchir, pour continuer ; et je conçois le film un peu comme ça, comme une trace et un outil.

On voit aussi que les débats et discussions tournent parfois un peu en rond ?

Oui, c’est aussi parce que je me suis occupée de cette commission qui avait en charge la forme, ils butent sur des questions de fonctionnement démocratique. La forme est fondamentale, aujourd’hui personne n’est satisfait de la manière dont fonctionne le vote. Les gens ne peuvent pas se satisfaire de voter contre Marine Le Pen et qu’on leur dise après qu’ils ont voté pour Macron, ce n’est pas vrai, il y a bien un truc qui ne marche pas. La forme ce n’est pas anodin, comme le dit très bien quelqu’un dans le film, la forme c’est ce qui fait le pacte social.

Emmanuel Macron a utilisé récemment le mot « bordel », et il y en avait aussi place de la République, du bordel…

Le bordel des uns, c’est la démocratie des autres. C’est sûr que les ordonnances, c’est pas du bordel, c’est efficace, c’est court, c’est tout à fait légal mais tout à fait illégitime.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« L’Assemblée », un documentaire de Mariana Otero (actuellement en salles).

Nuit debout au printemps 2016, place de la République, un exercice de démocratie participative.
Nuit debout au printemps 2016, place de la République, un exercice de démocratie participative.
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