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Comment les « digital natives » sont-elles devenues les entreprises les plus innovantes du monde ?

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Le nouveau campus d’Apple, à Cupertino, Californie.
Shutterstock

Sébastien Tran, Pôle Léonard de Vinci – UGEI

Il ne se passe pas un jour sans que l’innovation ne soit au cœur de l’actualité des entreprises. Le cabinet Boston Consulting Group (BCG) établi d’ailleurs, depuis 2005, un classement des 50 entreprises les plus innovantes. Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) et NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) en occupent depuis plusieurs années les premières places, et on les retrouve souvent en tête des autres classements également. Qui plus est, leur offre de services ne cesse de s’élargir, et menace désormais les acteurs traditionnels. Ainsi Uber propose maintenant des services de livraison de produits à domicile, tandis qu’Amazon ouvre des magasins physiques très novateurs, devenant de ce fait l’épouvantail de la grande distribution…

Comment ces entreprises sont-elles devenues les plus innovantes du monde, en l’espace de quelques années seulement pour certaines d’entre elles ? La réponse est peut-être à chercher du côté de leur nature : sept des dix premières entreprises du classement du BCG sont considérées comme « digital natives ».

Les entreprises les plus innovantes de 2018 selon le BCG.
Rapport du BCG

Raisonner en écosystème

Une des forces des « digital natives » est d’avoir su dépasser la notion de produits ou de services pour penser en termes d’écosystèmes. Cette approche nécessite une culture organisationnelle particulière. En effet, ces entreprises raisonnent en création de valeur à partir d’une logique « user-centric » : besoins, attentes et caractéristiques propres aux utilisateurs finaux sont pris en compte à chaque étape du développement d’un produit. La dimension servicielle est poussée à l’extrême. Ainsi, Apple n’est plus un simple fournisseur de matériels (ordinateurs, tablettes, téléphones, etc.) mais est devenu aussi un fournisseur de contenus (musiques, séries, logiciels…). Au point même que la dimension servicielle sera sans doute prédominante dans les prochaines années : le développement d’Apple Pay peut être interprété comme la première brique d’un positionnement en tant que futur acteur du secteur bancaire par exemple.

Cette stratégie de création et de maîtrise d’un écosystème entier se retrouve aussi chez d’autres acteurs tels qu’Airbnb. La célèbre plateforme de réservation de logements a noué de nombreux partenariats avec des acteurs proposant à ses clients des services connexes mais très complémentaires (conciergerie, réservation de moyens de transport, services d’immersion avec participation à des soirées, etc.). La capacité à nouer des partenariats et des alliances avec d’autres acteurs, parfois même dans une logique de coopétition, constitue une compétence distinctive des organisations qui réussissent le mieux à innover. L’étude du BCG montre ainsi que les joint-ventures ont augmenté de 60 % sur les 4 dernières années. De nombreuses autres formes de partenariats sont également possibles, jusqu’à des stratégies d’acquisition lorsque cela s’avère nécessaire.

Identifier finement les besoins

L’approche par écosystème se traduit donc par une logique de co-construction de l’offre. L’entreprise innovante s’associe à des acteurs spécialisés dans des secteurs parfois très éloignés de son cœur de métier, afin d’accroître la valeur de son offre centrale en agrégeant autour d’elle des produits et services qui correspondent aux besoins concrets et immédiats de divers microsegments. Ceux-ci sont ciblés et mieux identifiés grâce à la collecte de données (data).

Cette tendance est donc considérablement renforcée par la digitalisation des processus et des réseaux, qui permet de mettre en place une offre rapidement et à moindre coût. Elle s’amplifie dans tous les secteurs, y compris dans l’industrie, où la valeur créée provient de plus en plus des services digitaux autour des produits. C’est par exemple le cas du développement des services de géolocalisation qui permettent de proposer de nouveaux services autour des véhicules, tels que les appels d’urgence automatiques en cas d’accident, la localisation de son véhicule grâce à son smartphone, une assurance « pay as you drive » etc.

Adopter une orientation « data analytic »

La montée en puissance des entreprises « digital natives » dans les classements des entreprises les plus innovantes s’expliquent par leur capacité à être dans une logique de capteurs de données, aussi bien internes qu’externes. Leurs organisations sont adaptées à des logiques d’exploration et d’identification fine des tendances en matière de comportements de consommation et de transformation des usages. C’est ainsi que Netflix a innové en mettant à disposition de ses abonnés tous les épisodes d’une série en une seule fois, ou que Spotify a proposé une offre de musique en ligne dans une logique d’accès et non plus d’achats avec propriété des albums.

Les principes sur lesquels s’appuient ces nouveaux acteurs sont la vitesse, la « scalabilité » des activités créées (capacité à changer d’échelle, à développer massivement le volume d’activité) et la production de valeur. Néanmoins, cette logique de captation des données n’est pas suffisante en elle-même. Elle est très souvent complétée par un investissement dans de nouvelles ressources et compétences en matière d’analyse et de traitement des données collectées : data scientists, spécialistes de l’intelligence artificielle, architectes big data etc.

Pratiquer le « test and learn »

La seconde caractéristique partagée par les « digital natives » est la culture du « beta test », qui consiste à faire tester par les futurs utilisateurs du produit fini des produits ou services encore en développement. Cette pratique des tests de pré-versions est systématique. Elle est facilitée par la possibilité de proposer rapidement et à moindre coût des plateformes de services (Airbnb, Spotify, Netflix, etc.). Les organisations les plus innovantes ont donc naturellement mis en place des processus orientés sur le « minimum viable product » (MVP, version simplifiée du produit) et un « time to market » (durée requise pour construire et commercialiser son offre) beaucoup plus court que celui de leurs concurrents, ce qui leur permet d’être plus rapide qu’eux.

Qui plus est, les données collectées (auprès des communautés de lead users – utilisateurs précoces à l’avant-garde d’une tendance – ou sur des plateformes de crowdsourcing etc.) peuvent être utilisées quasiment en temps réel par les entreprises dans leur processus d’innovation. GE (General Electrics) a par exemple développé un programme baptisé Fastworks. S’inspirant des pratiques des start-up, ce programme vise à mettre en place des procédés permettant de mieux apprendre de l’environnement et être plus efficace dans le tri des idées qui émergent, pour être capable d’en tester un maximum rapidement et ne garder que celles qui ont du potentiel. Objectif : s’adapter vite au marché.

S’ouvrir à l’extérieur et sortir des silos

Ce type d’approche suppose une culture facilitant l’intégration d’idées ou de solutions externes dans les organisations. Il s’agit de dépasser le fameux syndrome NIH (Not Invented Here), qui se traduit par le rejet des technologies externe et constitue l’un des principaux freins à l’innovation. Il permet aussi de casser les fameux « silos organisationnels ». Au final, avec la mise en œuvre de méthodes agiles, la digitalisation des processus modifie donc également le processus de conception innovante.

Enfin, les entreprises digital natives ont été aussi précurseurs dans la création ou la mise en place de partenariats avec des structures telles que des incubateurs, des accélérateurs, des espaces de coworking, etc. Elles entretiennent ainsi leur capacité d’exploration de domaines connexes à leur cœur de métier, et favorisent la mise en concurrence régulière de leurs équipes de R&D internes.

The ConversationActuellement, la France ne compte que trois représentants dans le baromètre du BCG (Orange, Renault et Axa). Elle rêve d’être le prochain pays où naîtront les futurs champions économiques mondiaux du digital. Pour y parvenir, elle multiplie les initiatives : création du label FrenchTech, représentation au CES de Las Vegas etc. Nul doute que l’analyse approfondie des pratiques et de la culture des « digital natives » l’aidera également à atteindre son objectif.

Sébastien Tran, Directeur de l’École de Management Léonard de Vinci (EMLV), Pôle Léonard de Vinci – UGEI

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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