John Read, University of East London
Entendre des voix que les autres n’entendent pas
est une expérience significative. De la même façon que les rêves, ces voix font partie intégrante de l’histoire personnelle des personnes concernées. Pourtant, dans les services de santé mentale, le modèle dominant veut que les soignants ne se préoccupent que de la présence ou de l’absence des voix, et pas du tout de leur sens.
Quand on se réfère aux bibles des diagnostics psychiatriques,le DSM-5 américain ou l’ICD-10 de l’Organisation mondiale de la santé, les hallucinations auditives sont décrites comme les symptômes d’une maladie mentale, la schizophrénie. La plupart des spécialistes pensent que les voix sont dues à des facteurs génétiques et biochimiques, et ne les envisagent jamais comme des réponses pleines de sens à certains événements de la vie, dans certains contextes. Bien que moins d’1 % de la population soit diagnostiquée comme « entendant des voix », des enquêtes internationales menées sur différentes populations dans le monde montrent qu’une personne sur huit a déjà expérimenté une hallucination auditive au moins une fois dans sa vie.
Je fais partie des personnes qui ont eu une telle expérience une seule fois dans leur vie (enfin, une seule fois pour le moment). Le jour qui a suivi la mort d’un de mes amis dans un accident de voiture, il y a des années de cela, il m’a parlé. Bien que j’aie travaillé pendant des années comme psychologue clinicien, aidant les autres à interpréter les voix qu’ils entendaient, mon premier réflexe a été de penser que je devenais fou. Et puis, je me suis rendu compte qu’il était simplement venu me dire au revoir, et que le fait que ce soit le fruit de mon imagination avait peu d’importance.
Hormis la question de la fréquence des voix, il en existe aussi de mille et une sortes. Certaines personnes n’entendent que de « méchantes » voix. D’autres n’ont affaire qu’à des voix sympathiques, qui les soutiennent et les rassurent. Beaucoup entendent alternativement les unes ou les autres. Pour certains, les voix sont celles de personnes qu’ils connaissent. D’aucuns entendent une seule voix quand d’autres en entendent une foule. Les voix apparaissent parfois dans l’enfance, un peu comme des amis imaginaires, tandis que d’autres entendent leur première voix plus tard dans leur vie.
Mais les entendeurs de voix ont un point commun, cependant : la plupart d’entre eux, quand on leur pose la question, attribuent un sens aux voix et rejettent l’idée selon laquelle elles ne seraient que la manifestation d’un déséquilibre biochimique dénué de sens. De nombreuses études prouvent que la plupart des personnes âgées de plus de 60 ans qui perdent leur partenaire de vie l’entendent peu de temps après sa disparition : c’est le cas le plus courant et le plus connu de voix associées à un sens évident.
Les voix négatives, quant à elles, sont souvent associées à des événements difficiles. Quatre études menées sur des adultes soignés pour une maladie mentale ont prouvé qu’au moins la moitié des voix qu’entendent les personnes qui ont été maltraitées ou abusées sexuellement sont en lien avec leur agression. On a découvert en étudiant les dossiers psychiatriques de personnes ayant subi un inceste l’exemple d’un homme et d’une femme qui avaient été abusés sexuellement dans leur petite enfance, et qui entendaient des voix les accusant de se comporter bizarrement. D’autres études font mention de voix qui sont celles des agresseurs. L’une de ces recherches évoque quelqu’un qui subissait les agressions sexuelles d’une personne de sa famille, et qui entendait la voix de ce parent lui intimer l’ordre de se suicider. Dans ce genre de situation, il est généralement bien plus efficace de demander aux personnes ce qui leur est arrivé plutôt que de balayer la voix du revers de la main en disant qu’elle n’est que le symptôme vide de sens d’une maladie mentale.
Il existe, à travers l’histoire, une multitude de récits qui attribuent du sens aux voix entendues – Jésus et Jeanne d’Arc en font partie, pour ne citer que les deux plus célèbres. En fait, l’idée que les voix sont les manifestations hasardeuses d’un cerveau malade, vides de sens, est un concept récent, propre aux cultures où domine le modèle médical dans le traitement de la souffrance humaine.
Un élément ordinaire de la vie
Dans beaucoup de cultures, entendre des voix est complètement naturel. Quand je vivais en Nouvelle-Zélande, un des mes collègues maori a réalisé des entretiens avec 80 maoris pour comprendre dans quelles circonstances les gens entendaient des voix. Pour eux, c’était là un élément tellement ordinaire de la vie que les questions de mon collègue leur semblaient absurdes. L’une des personnes interrogées lui a dit ainsi : « Pour moi, entendre des voix, c’est comme dire bonjour à ma famille le matin. Cela n’a rien d’étonnant. »
Il est enthousiasmant de constater qu’un peu partout dans le monde au cours des deux dernières décennies, des groupes de soutien entre entendeurs de voix ont vu le jour, notamment en France. Les membres de ces groupes ont beaucoup à apprendre aux professionnels de santé, en particulier quant à la façon dont nous pouvons les écouter avec respect et les aider à trouver le sens de leurs voix plutôt que de considérer leurs expériences comme les symptômes d’une maladie imaginaire et d’essayer de supprimer ces expériences avec des psychotropes.
Les voix, de même que les rêves, sont des messagers qui nous permettent de repérer un problème à résoudre, comme par exemple quand on a vécu un traumatisme. Il serait temps que les professionnels de la santé mentale demandent un peu plus souvent « Que disent vos voix ? », et comme le dit l’entendeuse de voix britannique Eleanor Longden dans une conférence TED, ils devraient aussi demander : « Que vous est-il arrivé ? ».
John Read, Professor of Clinical Psychology, University of East London
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.