Arnaud Mercier, Université Paris 2 Panthéon-Assas
Au moment du bilan d’une année de communication du Président Macron apparaît une tension dialectique faite de beaucoup de contradictions et d’évolutions plus ou moins ordonnées. Dans sa relation aux médias, le chef de l’État a fait successivement ou « en même temps » contre les journalistes en les critiquant vertement, sans les journalistes en les mettant à distance et en privilégiant les réseaux socionumériques, mais aussi avec les journalistes dès lors qu’il s’était convaincu qu’il n’avait pas d’autre choix ou que cela était bénéfique au contrôle obsédant de son image.
Et puisqu’il alterne actes de communication symbolique et solennelle et mises en scène intimistes et décalées, il est difficile de restituer une stratégie cohérente.
Contre les journalistes
Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron a, comme beaucoup d’autres candidats, surfé sur une vague de défiance vis-à-vis des journalistes, en ayant néanmoins pris soin d’utiliser Paris Match pour faire de sa romance inhabituelle avec sa femme, un atout charme. Fort de son analyse que François Hollande avait terni sa crédibilité personnelle en abusant des confidences aux journalistes et que Nicolas Sarkozy avait dégradé la fonction présidentielle en jouant l’hypermédiatisation, il a promis qu’il ne s’abîmerait pas dans « une présidence bavarde ».
Cela semblait annoncer qu’il renouerait avec une parole rare et précieuse théorisée par l’ancien conseiller des présidents Mitterrand et Chirac, Jaques Pilhan. Celui-ci préconisait de « passer d’une gestion réactive de la demande des médias à une volonté d’imposer votre choix et votre rythme propres, votre écriture médiatique », en pointant que « si je me tais pendant un moment, le désir de m’entendre, compte tenu du fait que je suis président de la République, va s’aiguiser. »
Pour Emmanuel Macron, les journalistes politiques poussent au bavardage et ne feraient que du commentaire au détriment du fond. Selon Olivier Bost, de RTL, il considère que « les questions de journalistes n’intéressent que les journalistes. » On le perçoit bien dans plusieurs piques qu’il a adressées à la profession depuis un an, car Emmanuel Macron n’hésite pas à rabrouer les journalistes, spécialement quand ils l’interrogent sur des sujets ou d’une façon qui lui déplaît.
Lors d’un déplacement dans le Limousin, le 9 juin 2017, il affirma ainsi qu’il voulait ne pas être amené à parler de ce vers quoi les journalistes l’entraîneraient : « Quand je viens sur un sujet que j’ai choisi, je parle du sujet que j’ai choisi. Je ne fais pas des commentaires d’actualité. »
Interrogé par un journaliste du magazine de France 2 « Complément d’enquête », le 4 septembre 2017, sur sa relation distante aux médias, sa réponse cinglante fuse : « Les journalistes ont un problème. Ils s’intéressent trop à eux-mêmes et pas assez au pays. Parlez-moi des Français ! Ça fait cinq minutes que vous me parlez et vous ne me parlez que des problèmes de communication et de problèmes de journalistes, vous ne me parlez pas de la France. » Critique forte qui remet en cause la fonction même de médiateurs des journalistes.
A une autre journaliste qui lui demandait, lors d’une conférence de presse à l’ONU le 20 septembre 2017, pourquoi il avait choisi de s’exprimer sur la chaîne américaine CNN plutôt que dans un média français, il commença par ironiser : « Je vous remercie pour cette question de fond », puis il révéla son jugement très critique de la presse hexagonale : « Peut-être parce que les médias français s’intéressent trop à la communication et pas assez au contenu. Je m’exprimerai devant les médias français, mais quand je vois le temps passé, depuis quatre mois, à ne commenter que mes silences et mes dires, je me dis que c’est un système totalement narcissique. »
A distance des journalistes
Fort de toutes ces considérations critiques vis-à-vis de ce qu’il considère être le fonctionnement du journalisme politique en France, Emmanuel Macron a décidé de mettre la presse à distance.
Dès la mi-mai à l’occasion de son premier voyage officiel à l’étranger, au Mali, le ton était donné. Le service de presse de l’Élysée souhaitait que ce ne soit pas forcément les journalistes accrédités à la présidence de la République qui le suivent. Cela a heurté les médias. Une quinzaine de rédactions ont aussitôt protesté par une lettre ouverte, le 18 mai 2017 : « Ce n’est pas au président de la République, ou à ses services, de décider du fonctionnement interne des rédactions, du choix de leurs traitements et de leurs regards. […] Alors que la défiance pèse de plus en plus sur l’information, choisir celui ou celle qui rendra compte de vos déplacements ajoute à la confusion entre communication et journalisme, et nuit à la démocratie. »
Afin d’éteindre l’incendie, un communiqué a été envoyé à l’association Reporters sans frontières pour expliquer l’origine du hiatus. On y apprend que le chef de l’État « très attaché au traitement de fond des sujets, souhaite ouvrir l’Élysée aux journalistes sectoriels qui portent sur l’action présidentielle un autre regard. C’est dans cet esprit qu’il a été proposé aux rédactions d’élargir aux journalistes spécialisés Défense ou Diplomatie le voyage officiel auprès des forces armées. » S’exprime en creux sa défiance vis-à-vis des « journalistes politiques » qui s’intéresseraient plus aux vicissitudes de la vie politique et à la forme qu’au fond des sujets. Devant le tollé, il a dû néanmoins reculer.
Mais la mise à distance n’en a pas moins perduré, avec par exemple le choix de ne plus reproduire le cérémonial des grandes conférences de presse de son prédécesseur et que le général de Gaulle avait initiées.
De façon générale, Sibeth Ndiaye, la responsable du service de presse de la présidence, après l’avoir été pour le candidat Macron, tient l’agenda médiatique d’une main ferme, et les journalistes à distance, en les triant au besoin. C’est ainsi qu’est refusé un accès automatique de tous les médias à tous les évènements élyséens. Et le 14 février 2018, Sibeth Ndiaye a annoncé le projet de transfert de la salle de presse hors du palais présidentiel, ce qui implique que les médias soient moins en capacité de croiser de façon plus ou moins informelle les conseillers du prince. Selon l’association de la presse présidentielle « ce déménagement hors les murs de l’enceinte principale du palais constitue pour les journalistes une entrave à leur travail. » Crispation expliquée à l’Élysée par le fait qu’il « y a des privilèges qui tombent. » Cette formule en dit long : la proximité serait un privilège par rapport à une mise en retrait qui serait la bonne distance.
De tout ceci, le Président Macron s’en ouvert franchement, le 3 janvier 2018, lors de ses vœux à la presse : « Votre travail […] ce n’est ni la confidence dont la France a le secret […] ni la connivence. Et donc cette saine distance ne facilite peut-être pas votre travail ou des habitudes qui avaient été prises […] mais elle est à la base de l’exigence que nous partageons. »
Des réseaux sociaux pour essayer de se passer des médias
Il se permet d’autant plus cela qu’il possède avec les réseaux socionumériques un puissant outil de désintermédiation journalistique, ses comptes lui permettant de diffuser directement aux Français (une obsession chez lui) ses propres images tant des événements à l’intérieur de l’Élysée que des visites extérieures.
Les Facebook live (pour ses plus de 2 millions d’abonnés) sont réguliers, tout comme les tweets (presque 3 millions d’abonnés). Tout le monde se souvient de sa petite vidéo mondialement virale, morigénant Donald Trump pour sa décision de sortir les États-Unis des accords de Paris sur le climat, par une formule qui fit mouche : « Make our planet great again ». Il obtint alors plus de 100 000 coups de cœur.
Avec les médias pour parfaire son image
Le Président Macron sait néanmoins utiliser les médias pour sa scénographie politique personnelle, en important souvent des éléments de mise en scène à l’américaine très inspirées de Barack Obama, visiblement un modèle pour lui.
Ainsi, sa signature face caméra des lois sur la moralisation de la vie politique, le 15 septembre 2017, pour leur promulgation au Journal officiel, et d’autres depuis. Il a tenu également à mettre en scène sa présidentialité par de nombreuses images symboliques : arrivée théâtrale au pied de la pyramide du Louvre le soir de victoire, remontée des Champs-Élysées en véhicule militaire le jour de sa prise de fonction, traversée de la galerie des Batailles du Château de Versailles en compagnie de Vladimir Poutine…
Pour s’assurer d’une production d’images valorisantes, Emmanuel Macron a aussi choisi une photographe attitrée, Soazig de La Moissonnière, qui l’accompagne dans tous ses déplacements et jouit d’accès privilégiés. Elle distille régulièrement ses clichés sur son compte Twitter, en noir et blanc. On y voit l’envers du décor, des plans inédits et la symbolique politique à l’œuvre. Les contre-plongées et les jeux de profondeur de champ sont mis au service de la grandeur présidentielle.
Avec les médias pour renouer avec les Français
Mais au-delà de cette anthropologie politique de la communication pour incarner la fonction présidentielle, il a rapidement dû revenir vers les médias pour expliquer sa politique. Il s’est rendu compte dès l’été que ses silences sur les mesures impopulaires du gouvernement nuisaient à sa popularité sondagière, que son silence pesant installait l’idée d’un manque de vision. D’où son revirement, que les médias ont immédiatement perçu.
Europe1 évoque, fin août, « le virage à 180° d’Emmanuel Macron sur sa stratégie de communication. » Et, en effet, il a invité, le 24 août, trois journalistes (de L’Obs, Le Monde et Ouest-France) à bord de l’avion présidentiel entre Salzbourg et Bucarest pour parler à bâtons rompus. Ce fut la première rupture avec la règle énoncée du refus du off. Puis il livra, le 31 août, au Point, un « grand entretien » pour exposer son projet pour la France et pour l’Europe sur vingt pages, justifiant toutes ses réformes.
Il a invité les présentateurs du soir de TF1 et LCI dans son bureau (le 15 octobre) pour une interview tristement classique, avant de s’inviter au 13 h de Jean‑Pierre Pernaud (le 12 avril 2018), mais dans une salle de classe de l’école d’un petit village pour rénover la mise en image. Quand est venu le tour de servir France 2, le 17 décembre, Emmanuel Macron a voulu renouveler le style, grâce à une interview ambulatoire dans les salons de l’Élysée. Mais sur le fond, tout le monde a critiqué Laurent Delahousse pour son absence de combativité.
Erreur que ne recommettra pas le Président, le 15 avril 2018, en associant un duo inédit et explosif (Edwy Plenel et Jean‑Jacques Bourdin) choisis pour leur pugnacité. Le public fut servi, Emmanuel Macron boxa avec eux, les accusant même d’être plus militants que journalistes, puisque, irrévérencieux, ils avaient choisi de « casser les codes » d’une interview habituellement « monarchique » selon eux.
Loin donc de rompre avec la « présidence bavarde » de son prédécesseur, Macron se prête aussi au jeu des questions-réponses pour le site pour jeunes et spécialisé dans la pop culture, Kombini ; il répond à l’appel de l’animateur populaire chez les jeunes de la chaîne C8, Cyril Hanouna ; et s’affiche aux côtés des athlètes pour obtenir les Jeux olympiques à Paris, boxant ou jouant au tennis dans un fauteuil pour handisport.
Convaincu qu’il a marqué des points dans sa campagne en allant au-devant des ouvriers de Whirlpool à Amiens, il aime aussi se mettre en scène au milieu des manifestants pour leur apporter la contradiction verbale, montrant face caméras qu’il « n’est pas un planqué ».
Enfin, ce panorama serait incomplet sans évoquer la peopolisation de l’image du couple présidentiel. La production d’images glamour est le résultat d’un partenariat assumé avec Michèle Marchand, patronne de l’agence Bestimage, qui garantit un accès privilégié à des paparazzis triés sur le volet afin d’éviter les risques des images volées, comme le scooter de François Hollande qui dénuda sa vie privée et le fit plonger dans le ridicule du vaudeville.
Une communication pas très cohérente
De toutes ces expériences médiatiques ressort la volonté de trouver un (improbable) point d’équilibre entre un Président jupitérien, un Président proche des Français et au charbon, notamment à l’international, et une personnalité privée cool et moderne, à la Obama.
Si chaque séquence peut s’analyser comme plutôt réussie, l’équilibre global semble plutôt incohérent et guidé par la seule intuition pragmatique d’Emmanuel Macron lui-même. L’an II du quinquennat sera-t-il celui où ces incohérences seront perçues comme des contradictions ?
Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris 2 Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.