Stéphane Viville, Université de Strasbourg
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr
Chacun peut désormais faire décrypter son génome à partir d’un peu de salive. Ce type de test est disponible, pour moins de 100 euros, via Internet et très facile à réaliser. Son utilisation a permis tout récemment à Arthur Kermalvezen, un homme de 34 ans conçu grâce à un don de sperme, de retrouver celui qui, de manière anonyme, avait fait ce don. D’autres personnes ont affirmé publiquement avoir entrepris la même démarche.
La disponibilité de ces tests ADN bouleverse la question de l’accès aux origines pour les personnes conçues d’un don de gamètes (ovocytes ou sperme), d’un accueil d’embryon ou nées d’une mère ayant accouché sous X (sans révéler son identité). Ce sujet s’est imposé dans le débat public avec les États généraux de la bioéthique et notamment la consultation en ligne qui s’est tenue au premier semestre 2018.
En France, la loi ne permet pas encore que les personnes conçues dans ces conditions puissent, à leur majorité, connaître l’identité de leurs géniteurs.
Les choses pourraient toutefois changer, puisque dans son avis n°129 sur la loi de bioethique à venir, rendu public mardi 25 septembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souhaite
que soit rendu
possible la levée de l’anonymat des futurs
donneurs de sperme, pour les enfants issus
de ces dons. Les modalités de cette levée
d’anonymat devront être précisées et
encadrées, dans les décrets d’application,
notamment en respectant le choix du
donneur.
Une majorité de pays ont déjà choisi d’autoriser l’accès aux origines : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, la Suisse et la Grande-Bretagne. Le moment est venu d’examiner, un à un, les arguments avancés dans notre pays par les défenseurs du statu quo et de les confronter aux faits, établis par des études solides.
Pas de désertion des donneurs au Royaume-Uni
Il y a peu de temps encore, le principal motif avancé par ceux qui ne souhaitent pas voir la loi changer était le risque d’une désertion des donneurs de gamètes. Selon eux, ces derniers seraient effrayés à l’idée de voir les personnes conçues à partir de leur don se manifester un jour auprès d’eux. Or le cas du Royaume-Uni, bien documenté, montre la tendance inverse.
Dans ce pays, comme en attestent les statistiques de l’autorité britannique en charge de cette activité, le nombre des donneurs de sperme et d’ovocyte a doublé suite à la levée de l’anonymat en 2005. La même tendance est observée en Suède et aux États-Unis, où les donneurs peuvent choisir de rester anonymes ou non et s’orientent de plus en plus vers la possibilité d’être identifiés. On entend donc moins l’argument de la « désertion des donneurs », de fait devenu caduc.
C’est maintenant le système suédois, autorisant l’accès aux origines depuis 1984, qui est présenté comme catastrophique et aboutissant à une pratique dévoyée du don de gamètes. Cette vision semble être celle de nombreux responsables des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), les 23 institutions publiques installées dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU) et chargées de gérer les dons.
Les défenseurs du statu quo pointent d’abord, dans ce pays, une évolution du profil des donneurs. Dans une tribune publiée le 19 janvier dans Le Monde, Jean‑Philippe Wolf, professeur à la faculté de médecine Paris Descartes et responsable du CECOS de l’hôpital Cochin à Paris, affirme que « les donneurs habituels, pères de famille, se sont abstenus de donner leur sperme ». Il ajoute que « cela n’était pas très grave, car d’autres donneurs sont apparus, des jeunes essentiellement épris d’altruisme, comme le sont les jeunes d’aujourd’hui, qui volent au secours de la planète ou des migrants ». On assisterait donc à une fuite des « pères de famille », expression ô combien connotée renvoyant aux « bons pères de familles » de la bourgeoisie du XIXe siècle. Passons sur le jugement de valeur.
Les articles publiés dans les revues scientifiques de référence, par exemple cette étude suédoise, font état de la tendance inverse : on trouve moins de jeunes et, s’il faut employer ces mots, plus de « pères de famille ».
Des couples suédois qui fuiraient vers le Danemark ?
Jean‑Philippe Wolf pointe encore, dans sa tribune comme dans l’émission du 18 janvier sur BFM TV, « une fuite massive des parents en demande de don de sperme vers le Danemark voisin ». Au Danemark, en effet, les couples peuvent choisir que le donneur reste anonyme, ou pas. Le professeur émérite de biologie de la reproduction à l’université Paris Descartes et ancien président de la Fédération des CECOS, Pierre Jouannet, a avancé le même argument le 2 février lors du débat sur le thème « anonymat et gratuité des dons de gamètes et d’embryons », pendant le Forum européen de bioéthique à Strasbourg.
Qu’en est-il vraiment ? En Suède comme ailleurs, il est impossible de chiffrer ce que l’on appelle le « tourisme procréatif ». Cependant, aucune baisse d’activité n’est apparue au sein des centres spécialisés dans la fertilité suite au changement de la loi en 1984. En admettant que ce « tourisme procréatif » soit conséquent, cette stabilité suggère qu’il ne s’est pas intensifié. Il est à noter qu’avant 2016, la Suède n’autorisait pas la procréation médicament assistée (PMA) pour les femmes célibataires ni pour les couples homosexuels. Ces femmes allant chercher ailleurs ce qu’elles ne pouvaient pas trouver chez elles, le phénomène expliquait une bonne part du « tourisme procréatif », indépendamment de la question de l’anonymat des donneurs.
Dernière critique faite au système suédois : « Bon nombre de parents s’abstiennent dorénavant d’annoncer à leur enfant leur mode de conception », affirme-t-on, pour éviter que leur enfant ait l’idée d’aller chercher des informations sur ses origines. Ce n’est pas exact. Dans ce pays, selon une étude publiée en 2012, la majorité des couples prévoient de dévoiler à leur enfant son mode de conception (78 %) ou l’ont déjà fait (16 %). Seule une petite proportion (6 %) n’en a pas l’intention. Les autres études menées dans ce pays trouvent des résultats concordants.
Cette imposante majorité est d’ailleurs peu surprenante, dans la mesure où il apparaît plus aisé de dévoiler à un enfant son mode de conception lorsqu’on ouvre un possible, celui de connaître l’identité du donneur. Dans la situation inverse, la révélation ne lui offre rien, hormis la perspective de le placer face un vide complet quant à ses origines. Il est bien plus simple d’envisager de divulguer le mode de conception quand on est assuré de pouvoir répondre à la première question que l’enfant posera sur le donneur : « Qui est-ce ? »
Sur le fond, comme le montrent les entretiens réalisés par des chercheurs suédois auprès de 30 parents en 2015, la difficulté n’est pas tant de l’annoncer, que d’imaginer quand et surtout comment.
1 à 3 % de Français issus de « fausses paternités »
Un dernier argument, que les tenants du statu quo espèrent décisif, repose sur le fait que « 3 % d’enfants ne sont pas de leur père – du moins pas de celui qu’ils ou elles croient ». Autrement dit, le père qui a déclaré l’enfant à l’état civil n’est pas le géniteur, mais il ne le sait pas. C’est un fait établi qu’environ 3 % de la population est issue de « fausses paternités ». « Ces personnes ignorent qui est leur père, et ne s’en portent pas forcément plus mal », écrit Jean‑Philippe Wolf.
Cet argument apparaît spécieux car, pour commencer, ces personnes n’ignorent pas qui est leur père. Elles ont bel et bien un père, même si elles ignorent qui est leur géniteur. Ensuite, qui peut prétendre savoir que ces personnes vont bien ? Comme a pu le montrer le psychiatre Serge Tisseron, il n’y a pas de secret de famille sans retentissement.
Dans les situations de fausses paternités, le secret de la conception est double : père et enfant sont dans l’ignorance. Ce qui diffère fondamentalement, c’est que dans ce cas le secret relève d’une décision personnelle et privée, celle de la mère ; concernant le don de gamètes, le secret est organisé par l’État. Tout comme dans les dons de gamètes, quand il arrive que le secret de la fausse paternité soit levé, la première question légitimement posée par l’enfant est : « Qui est-ce ? »
L’engouement pour les tests génétiques
Le débat sur l’accès aux origines pour les personnes conçues par un don de gamètes et sur l’anonymat des donneurs pourrait bien être tranché plus vite que prévu. Il est désormais impossible d’occulter un phénomène qui touche la France comme le reste du monde : l’engouement pour les tests génétiques. Commercialisés essentiellement par des compagnies américaines, ils sont proposés, en France, à des personnes qui souhaitent des informations sur leur généalogie ou encore savoir de quelle partie du monde venaient leurs ancêtres. Or plus le nombre de personnes pratiquant ces tests sera important, plus les chances que les individus conçus par don de gamètes identifient leur donneur seront élevées.
En effet, les personnes ayant pratiqué le test sont régulièrement informées par la compagnie de l’arrivée dans leur banque de données de tout individu ayant de l’ADN commun avec elles. Parmi ces apparentés, certains sont susceptibles de les mettre sur la piste de leur donneur, voire de le trouver. Le délai pour l’identifier peut se compter en années, ou bien… seulement en jours, comme dans le cas d’Arthur Kermalvezen.
La future révision des lois de bioéthique est l’occasion d’inscrire, enfin, dans le droit l’accès aux données identifiantes des donneurs de gamètes pour les adultes qui le souhaitent.
Par ailleurs, il faut d’ores et déjà prévoir un dispositif permettant une meilleure prise en charge pour ceux qui découvriraient leur donneur via des tests ADN, comme nous le proposons, la psychanalyste et spécialiste de bioéthique Geneviève Delaisi de Parseval et moi-même, dans notre tribune publiée le 19 janvier dans Le Monde. Ce sont actuellement des rencontres « sauvages » qui se profilent, sans préparation ni pour les personnes conçues par don de gamètes, ni pour les donneurs. Si rien n’est fait, la situation risque de devenir rapidement explosive.
Stéphane Viville, Biologiste, professeur à la faculté de médecine, Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.