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Un an après : Comment la FIAC est parvenue à s’imposer dans l’art contemporain

Helene Delacour, Université de Lorraine and Bernard Leca, ESSEC

Un an après, Rémi Malingrey a porté un regard graphique et personnel sur cet article. A ce jour, la question du statut de la FIAC reste d’actualité. Pour conserver sa position dominante, la FIAC n’a pas hésité à se renouveler et à diversifier ses formats, en parallèle de l’exposition centrale qui se tient au Grand Palais. Cependant, ses tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès, comme en témoigne l’annulation de la FIAC Los Angeles qui aurait du se tenir en février 2017 ou encore l’arrêt d’OFFICIELLE, foire satellite de la FIAC dédiée à la jeune création, après seulement deux éditions.

image-20161020-8845-12lr801Malgré ces récents échecs, la FIAC doit continuer à se développer et à innover, sous peine de voir son rôle diminuer sur la scène mondiale et de laisser le champ libre à d’autres évènements qui permettraient de mieux intégrer la scène émergente. C’est d’ailleurs ce qu’elle tente de faire en proposant, cette année, un nouveau format, « On site », pour mettre en valeur certaines œuvres en les exposant, non pas sur leurs stands mais dans le décor du Petit Palais. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Le 22 octobre, s’ouvre à Paris la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain). Événement secondaire voire régional au début des années 2000, cette foire parisienne est devenue progressivement l’une des références dans le marché de l’art contemporain.
Comment cette foire a-t-elle réussi à tirer son épingle du jeu ?

Pour répondre il faut d’abord rendre compte du rôle dominant de ce type d’événements dans le marché de l’art contemporain, de la vive concurrence qui existe dans ce secteur et des spécificités économiques des foires avant de discuter les raisons du succès de la FIAC dans ce contexte.

Un marché de l’art dominé par les foires et les biennales

Les foires et les biennales sont aujourd’hui les lieux de pouvoir de l’art contemporain, et cela en contradiction avec le fonctionnement de ce champ au XXe siècle où l’art s’exposait dans les galeries. L’un des aspects importants de l’apparition de l’art moderne à la fin du XIXe siècle est la rupture d’avec l’âge des grands événements artistiques, le principal ayant été pendant près d’un siècle le Salon de Peinture et de Sculpture de Paris. Cette exposition qui pouvait durer plusieurs mois, proposait des milliers d’œuvres et attirait plus de visiteurs que Paris ne comptait d’habitants. La réputation, la carrière, la fortune d’un artiste se décidaient au Salon et rien en dehors de celui-ci.

Un Jour de vernissage au palais des Champs-Élysées (1890) par Jean-André Rixens.
Wikimedia Commons

Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, ce système atteint ses limites. Le nombre d’artistes et d’œuvres produites devient trop important pour qu’une proportion significative soit exposée au Salon, ce qui provoqua de la frustration. Le jury devient de plus en plus hermétique à l’innovation et le Salon se replie sur lui-même et sur une définition de l’art académique marquée par l’ancien régime. La révolte gronde et se traduit par la montée en puissance des galeries qui promeuvent un art plus innovant (Réalisme, Impressionnisme, puis Fauvisme et Cubisme). Un autre système de coordination, décentralisé, s’impose alors où ce sont les galeries qui sont considérées comme les principaux intermédiaires.

Ce n’est qu’assez récemment que l’on assiste à un mouvement de recentralisation du marché de l’art contemporain autour des foires et des biennales. Ce mouvement correspond à un développement et une globalisation du marché. Le nombre et l’origine géographique des artistes, des galeries et des collectionneurs rendent le système décentralisé des galeries problématiques. Les collectionneurs n’ont plus le temps d’aller visiter des galeries géographiquement dispersées. Les foires et les biennales permettent alors de proposer un aperçu condensé, en un lieu donné et en peu de temps, de la création contemporaine au travers d’une sélection effectuée par les commissaires d’exposition (pour les biennales) ou par les galeries participantes (pour les foires). Ces événements se sont également imposés comme les lieux de rencontre et de socialisation où se retrouvent les galeristes, leurs collectionneurs, mais aussi les artistes, les critiques, les responsables des musées et des fonds d’acquisition publique. Les galeries, quant à elles, sont devenues dépendantes des foires. Elles sont tenues d’y participer, ce qui représente souvent des budgets conséquents (paiement pour le stand, scénographie, transport et assurance des œuvres, frais liés aux invitations notamment des collectionneurs).

Une vive concurrence entre événements

Si aujourd’hui les foires et biennales sont dominantes vis-à-vis des galeries, elles se livrent entre elles une concurrence acharnée. Comme les autres événements qui structurent des champs artistiques, elles évoluent dans un champ polycentré et hiérarchisé.

Polycentré parce que ces événements sont de plus en plus nombreux. Il s’organise des foires désormais sur tous les continents. D’année en année, la concurrence s’accroît. Organiser une foire est un moyen de promouvoir une ville, de structurer des marchés nationaux ou régionaux, de mettre en avant une ambition culturelle. Les foires constituent un enjeu important pour les lieux qui les accueillent. Elles sont des événements de prestige qui ont vocation à attirer un public que l’on souhaite fortuné et à faire exister la ville qui l’accueille sur la carte de l’art contemporain.

Art Basel 2104
Waltercolor / Flickr, CC BY-ND

Hiérarchisé parce que tous les événements ne se valent pas. Quelques événements s’imposent comme des références majeures difficilement détrônables. La Biennale de Venise, la Documenta de Kassel parmi les biennales ou encore Art Basel parmi les foires, constituent aujourd’hui les épicentres de l’art contemporain mondial. Les moyens des galeristes et le temps des grands collectionneurs étant comptés, ne peuvent s’imposer comme importantes que quelques foires. Forte de sa domination, Art Basel organise désormais des éditions à Miami et à Hong Kong. C’est la seule foire à couvrir trois continents et si sa domination est contestée par d’autres foires, elle continue à s’imposer.

Les foires comme marchés bifaces

Les foires d’art contemporain peuvent être analysées comme ce que la théorie économique appelle des marchés bifaces, c’est-à-dire des marchés qui associent deux clientèles différentes mais interdépendantes pour les produits échangés. Ces clientèles sont dans le cadre des foires d’une part les galeries, d’autre part les collectionneurs. L’enjeu pour toute foire est de parvenir à attirer d’une part les galeries les plus prestigieuses et les collectionneurs les plus importants.

Les galeries sont ce qui permet de proposer le panorama le plus complet de la création contemporaine globale dans un lieu unique et durant une période limitée et de s’assurer que des œuvres importantes d’artistes reconnus seront proposées à la vente lors de la foire. Les collectionneurs importants sont les acteurs qui attirent les galeries.

L’entrée du Grand Palais, octobre 2012
Camila y el Arte / Flickr, CC BY-NC-SA

Entre les deux, la foire opère comme une plateforme qui met en contact ses deux clientèles. La spécificité de ce type de marché est qu’une clientèle attire l’autre (les galeries attirent les collectionneurs, les collectionneurs attirent les galeries) et une fois qu’une plateforme devient dominante, tous les acteurs ont tendance à converger vers celle-ci, au détriment des autres. Ainsi, quand une foire s’impose en attirant les plus grandes galeries et les plus importants collectionneurs, il est extrêmement difficile de la détrôner. Il est également difficile d’imposer une nouvelle foire d’importance ou de relancer une foire en perte de vitesse. Dans un contexte comme celui-ci, la réussite de la FIAC est remarquable.

Les raisons du succès de la FIAC

Créée en 1973, la FIAC apparaissait il y a quelques années comme une foire vieillissante, accueillant essentiellement des galeries françaises, en décalage avec sa jeune concurrente directe la Frieze de Londres fondée en 2003 qui avait pour ambition de concurrencer à la fois la FIAC à Paris et la Foire de Cologne historiquement dominante en Europe. Alors que Cologne a perdu l’essentiel de sa puissance, la FIAC a su réagir notamment sous l’impulsion de Jennifer Flay, sa directrice, et fait actuellement jeu égal avec la Frieze.

Afin d’éviter, ce qu’on pourrait appeler « le syndrome du Salon » et de finir par devenir, après s’être coupé de l’innovation et du marché, un événement mineur, plusieurs solutions ont été adoptées.

La FIAC hors les murs, octobre 2013, Jardins des Plantes : Buffon observant le
Jean-Pierre Dalbéra / Flickr, CC BY
  • Utiliser Paris. Afin d’être en cohérence avec le rôle que veut jouer la FIAC dans le marché de l’art contemporain, cette foire a quitté en 2006 le parc des expositions de la Porte de Versailles où elle se trouvait reléguée pour rejoindre le Grand Palais et la cour carrée du Louvre. L’organisation de la FIAC s’efforce depuis plusieurs années d’exploiter le potentiel de Paris et des espaces d’exposition qui s’y trouvent. L’édition de 2015 propose des lieux répartis dans toute la ville, même si essentiellement concentrés dans les quartiers les plus centraux, les plus prestigieux et branchés qui permettent de répondre aux attentes de sa clientèle fortunée.
  • Sélectionner les galeries. La réorganisation de la FIAC a commencé par une sélection rigoureuse des galeries participantes, passant par l’exclusion de certaines et l’inclusion d’autres jugées plus prometteuses. Un effort important a également été fait afin d’internationaliser la provenance des galeries. Alors que les galeries françaises représentaient 70 % des exposants à la FIAC, elles n’en représentent plus qu’un quart aujourd’hui.
  • Soigner les collectionneurs les plus importants. La théorie des marchés bifaces suggère qu’un moyen d’établir une plateforme est de ‘subventionner’ une des clientèles. En l’espèce, ce sont les grands collectionneurs qui sont choyés. Souvent invités par les galeries, ils bénéficient pour 5000 d’entre eux de programmes VIP et peuvent ainsi profiter de parcours particuliers et d’accès à des collections privées ainsi que des visites privées dans des musées (Palais de Tokyo, Louvre, Centre Pompidou) pendant la durée de la foire de la FIAC.
  • Contrôler le off. Des événements « off », souvent plus avant-gardistes, comprenant de plus petites galeries, existaient en parallèle de la FIAC depuis de nombreuses années. L’organisation a fait son possible pour réintégrer et réguler ces événements hors de la FIAC. Depuis 2014, elle propose (Off)icielle pour accueillir un ensemble de galeries émergentes et ainsi, continuer à être considérée comme très innovante et assurer son renouvellement permanent.
  • Proposer de l’art contemporain et de l’art moderne. En plus d’intégrer le « off », la FIAC s’attache à proposer l’art contemporain et l’art moderne dans le même espace, alors que la Frieze sépare clairement les deux. L’offre est ainsi plus diversifiée et permet d’attirer des collectionneurs prêts pour certains à prendre les risques qu’implique l’art contemporain, mais aussi des collectionneurs ayant une démarche plus patrimoniale attirés par les œuvres d’artistes déjà reconnus.
  • Mobiliser les institutions publiques. Martin Bethenod qui a assuré la direction de la FIAC avec Jennifer Flay de 2004 à 2010 a beaucoup œuvré pour rapprocher la foire des institutions culturelles publiques dont il était issu. Les pouvoirs publics ont de leur côté fait le pari de soutenir la FIAC, que ce soit en lui permettant de s’exposer au Grand Palais ou dans d’autres lieux publics (Louvre, Petit Palais, Jardin des Plantes, etc.), ou encore en devenant acquéreurs lors de la foire. Les parcours réservés aux VIP impliquent également la contribution des musées.
Oeuvre de Latifa Echakhch, Prix Marcel Duchamp 2013
Valdosilasol / Flickr, CC BY-NC
  • Devenir un événement culturel. En plus d’attirer des galeries prestigieuses et des collectionneurs fortunés ainsi qu’intégrer constamment des innovations afin d’être toujours à la pointe, la FIAC cherche à se présenter non pas seulement comme une foire qui permet d’exposer et de vendre mais comme un événement culturel majeur. Elle propose des conférences, des performances, des projections de films. La FIAC essaie de s’associer à des collectionneurs et des musées pour organiser des événements durant la foire. De même, le vainqueur du prix Marcel Duchamp, prix ayant pour but de distinguer chaque année un des artistes les plus novateurs de sa génération, est annoncé durant la FIAC où les œuvres des finalistes du prix sont exposées.

Penser global, agir local ?

Finalement, la FIAC tient une grande part de son succès à la capacité de ses organisateurs à mobiliser des atouts de Paris afin de la réimposer comme une des principales foires mondiales. La FIAC exploite un lieu unique, Paris. Elle s’appuie également sur le passé de la capitale en proposant de l’art moderne, période durant laquelle Paris a joué un rôle bien plus déterminant que pour l’art contemporain. Elle a su obtenir le soutien des institutions publiques, dont l’aide est déterminante, ce qui est aussi une tradition française.

Et c’est là peut-être le paradoxe de la chose. Dans un marché de l’art contemporain globalisé, il semble que ce soit la capacité des organisateurs à exploiter des atouts locaux qui décident ou non du succès d’une foire. Reste à connaître alors le devenir de l’édition de la FIAC à Los Angeles qui devrait être inaugurée en mars 2016. La « French touch » dans ce domaine peut-elle s’exporter comme dans d’autres ?

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Helene Delacour, Professeur en sciences de gestion, Université de Lorraine and Bernard Leca, Professeur en sciences de gestion, ESSEC

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