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A l’état « Sauvage »

Camille Vidal-Naquet a filmé un garçon « qui offre son corps », joué par le fiévreux Félix Maritaud.

Félix Maritaud : "Je me suis rendu disponible au personnage", dit le comédien.
Félix Maritaud : « Je me suis rendu disponible au personnage », dit le comédien.

« C’est un personnage imaginaire, il a un oubli de lui-même qui est fort, émouvant, mais qui ne correspond pas à ce que j’ai observé, je trouvais intéressant de montrer un personnage qui est en marge d’une marge », assure le réalisateur Camille Vidal-Naquet, à propos du personnage principal de son premier long-métrage, « Sauvage » (sortie le 29 août). Ce personnage, c’est Léo, 22 ans, mais qui en paraît bien dix de plus, un jeune homme seul, camé, prostitué, clochardisé, défoncé au crack, qui fait le trottoir et dort sous les ponts.

Pour ce rôle, le jeune comédien Félix Maritaud a reçu le Prix de la Révélation à la Semaine de la Critique, au Festival de Cannes, et plusieurs autres prix d’interprétation depuis. « C’est un personnage que j’avais en tête depuis longtemps, ce garçon d’une vingtaine d’années, seul au monde, qui cherche l’amour ; j’avais l’idée d’un marginal, au-dessus des règles, attaché à aucune possession matérielle », ajoute Camille Vidal-Naquet, « J’ai voulu savoir si ce que j’avais écrit était conforme à la réalité ». Le cinéaste a donc pris contact avec une association, « Aux captifs, la libération », et s’est plongé en « immersion » au Bois de Boulogne, pendant trois ans. « Les rencontres nourrissaient l’écriture », dit-il.

L’aide de la Région Grand Est et de la Métropole de Strasbourg

« Sauvage » a ensuite été tourné à Strasbourg : « On a eu l’aide de la Région Grand Est et de la Métropole de Strasbourg, et on a décidé de tout tourner là-bas », précise le réalisateur. C’est ainsi dans les rues strasbourgeoises que l’on suit ce Léo dans son quotidien sinistre, d’un client à l’autre, un vieux veuf, un handicapé, un faux docteur, des pervers qui le violentent… Un paumé formidablement incarné par le fiévreux Félix Maritaud, vu dans « 120 battements par minute » ; alors qu’il allait devenir jardinier à Metz, il avait été retenu pour le casting du film de Robin Campillo.

Ici, il prête son physique magnétique à ce garçon « sauvage », qui se laisse manipuler, exploiter, frapper, et survit avec sa « capacité à s’extraire du monde ». « La construction du film est fulgurante, j’ai réussi à capter une essence du personnage à une première lecture, je n’ai pas voulu le mentaliser, ni lui inventer une histoire. Il a une capacité à faire ses propres choix, il est dépendant à sa recherche d’amour mais il y a une espèce de liberté totale de l’être », confie Félix Maritaud.

« Je me suis rendu disponible au personnage, avec une approche très physique, qui est passée par des ateliers de danse, la réactivité du corps avec les émotions, après c’était un truc de concentration, de disponibilité. Dans ce que j’ai pu toucher de ce personnage, il y a une souffrance qui est comme une déflagration de lumière, très dure, mais qui est un épanouissement absolu, c’est beaucoup plus ambivalent que souffrance-bonheur », estime le comédien.

« Un film qui montre la tendresse entre hommes »

Malgré tout ce qu’il endure, on a parfois du mal à avoir de l’empathie pour ce jeune mec, qui se veut indomptable, jusqu’à sa propre perte, tellement il rejette même les gens qui lui veulent du bien, et le film se fait alors glauque, éprouvant. « Pour ce rôle, il fallait une acceptation totale ou pas, il fallait une adhésion absolue, il fallait un don de soi, une intensité. C’est un film âpre, qui affronte véritablement, il n’y a pas de précautions, tout est montré, il y a des scènes assez dures », dit Camille Vidal-Naquet, « Il y a une espèce de sidération que j’ai essayé de retranscrire. On a l’impression d’un monde dont la société s’est complètement retirée, les garçons se débrouillent entre eux, ils vivent dans l’instant, la ligne du temps est très différente de notre perception, c’est ce qui m’a fasciné ».

Il montre donc tout : la violence, la drogue, le sexe, la précarité, les risques du métier… « Les lieux de prostitution sont des lieux dangereux, mais il y a toujours des rumeurs, je n’ai fait que deviner les clients par les récits des garçons », dit le réalisateur, « Le film n’a pas de vertu d’analyse sociale, qui viserait à expliquer les mécanismes de la prostitution, c’est une expérience sensorielle, des sensations liées à l’exclusion ».

Aussi sombre que puisse être « Sauvage », Félix Maritaud joue un être lumineux malgré tout dans la noirceur. « C’est un personnage qui donne son corps, qui offre son corps, il est un peu christique, mais c’est sous-jacent », précise Camille Vidal-Naquet, « Je pense que tout le monde a pu ressentir le rejet amoureux que lui ressent, et les gens peuvent y être sensibles. Il y a très peu de films qui parlent de tendresse entre hommes, c’est un film qui montre cette tendresse-là, il y a quelque chose d’universel là-dedans ».

Patrick TARDIT

« Sauvage », un film de Camille Vidal-Naquet, avec Félix Maritaud (sortie le 29 août).

Ce sont dans les rues de Strasbourg que l’on suit le quotidien de Léo, seul, camé, et prostitué

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