Céline Pulcini, Université de Lorraine
Onze vaccins, au lieu de trois actuellement, seront obligatoires pour les enfants à partir du 1er janvier 2018, a confirmé la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn le 31 août sur CNews.
Au début de l’été, le gouvernement avait annoncé son intention de rendre obligatoires l’ensemble des vaccins essentiels chez les enfants de moins de deux ans. Un texte de loi doit être présenté dans ce sens devant le Parlement à la fin de l’année. L’an dernier, la Concertation citoyenne sur la vaccination avait proposé plusieurs scénarios pour améliorer le taux de couverture de la population, dont celui de rendre obligatoires les vaccins chez les enfants.
Le choix du gouvernement avait soulevé une polémique sur le bien-fondé de l’obligation vaccinale. Mais il est un point qui n’a pas suscité de questions et mérite pourtant que l’on s’y arrête. La mise en place de l’obligation chez les enfants risque en effet, par ricochet, de faire baisser les taux de vaccination chez les adolescents et les adultes, pour lesquels les vaccins seront « seulement » recommandés. Or dans la protection contre les maladies infectieuses, tout ne se joue pas avant deux ans – pour parodier le titre d’un best seller sur l’éducation des enfants.
Pour mémoire, la décision d’obligation vaccinale chez les enfants de moins de deux ans porte sur les vaccins protégeant contre les onze maladies suivantes : diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, infections à Haemophilus influenzae type B, hépatite B, infections à pneumocoques, infections à méningocoques de type C, rougeole, oreillons et rubéole. Les trois premiers sont déjà obligatoires.
Des effets pervers possibles liés à la distinction par âge
Si la décision du gouvernement est finalement entérinée par le Parlement, il y aura donc à terme deux catégories de vaccins. Ceux qui seront obligatoires chez les moins de deux ans, et les autres, qui seront recommandés chez les plus de deux ans. Cette distinction par âge peut induire certains effets pervers.
Parmi les 11 vaccins qui deviendraient obligatoires, seuls 6 d’entre eux (contre les infections à Haemophilus influenzae type B, l’hépatite B, les infections à méningocoques de type C, la rougeole, les oreillons et la rubéole) protègent de manière prolongée. Ceux-là ne nécessitent donc pas de rappel après l’âge de deux ans. Les enfants de plus de deux ans ont cependant besoin de recevoir des rappels de vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche pour être protégés.
Selon les autorités de santé dont les instructions figurent ici et là, certains enfants doivent également être vaccinés contre la grippe, notamment s’ils présentent de l’asthme, du diabète, ou en cas de baisse de leur immunité. Les adolescentes doivent être vaccinées si l’on veut qu’elles soient protégées plus tard, au cours de leur vie sexuelle, contre les papillomavirus humains. Avoir ses vaccinations à jour est également important pour les adultes de tout âge, ce qui implique des rappels de vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite. Il est important aussi d’être vacciné contre la grippe ou le zona pour les personnes de 65 ans ou plus, toujours selon les autorités de santé.
Ainsi, l’ensemble des rappels et vaccins « seulement » recommandés chez les enfants de plus de deux ans, les adolescents ou les adultes, apparaît tout aussi capital que les 11 vaccins sur lesquels porterait l’obligation dans la petite enfance. Et il faudra que le gouvernement prenne la peine de le faire savoir, s’il veut éviter que sa décision entraîne une baisse de la vaccination après l’âge de deux ans.
Si l’on regarde ce qui se passe hors de France, on constate que les politiques vaccinales varient beaucoup, dans leurs détails, d’un pays à l’autre. Les choix reposent sur les mêmes connaissances scientifiques mais s’adaptent à l’histoire et la culture du pays ou de ses habitants, ainsi que l’organisation du système de santé. Ainsi, l’Italie a décidé récemment de mettre en place, comme la France, l’obligation vaccinale pour les enfants. La limite d’âge pour recevoir les injections a été fixée à 6 ans.
La mesure prise en Italie s’explique par des taux de vaccination insuffisants dans ce pays et une recrudescence de cas de maladies infectieuses pouvant être prévenues par la vaccination, comme la rougeole. Il n’y a en revanche aucun vaccin obligatoire chez les petits Britanniques, par exemple, probablement car la couverture de la population y est excellente.
« Recommandés » donc… moins importants ?
Déjà aujourd’hui, la coexistence de trois vaccins obligatoires et d’autres simplement recommandés est source d’incompréhension. En 2014, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) écrivait dans son avis : « Le dispositif public de vaccination actuel est complexe, illisible et inégalitaire ». Plusieurs études ont montré que les citoyens, et même des professionnels de santé comme les médecins généralistes, avaient tendance à considérer comme moins importants les vaccins « seulement » recommandés. Avec le risque que la population, au final, soit insuffisamment vaccinée pour ceux-là. Cet effet pourrait être renforcé par le passage annoncé à 11 vaccins obligatoires chez les moins de deux ans.
Si l’on veut éviter que le message se brouille davantage avec la future obligation vaccinale, il sera nécessaire d’expliquer aux citoyens pourquoi les vaccins recommandés chez les plus de deux ans ne doivent pas être négligés. Les autorités de santé et les professionnels de santé devront s’impliquer dans cette opération. Le rapport de la Concertation citoyenne sur la vaccination soulignait d’ailleurs l’importance des actions de communication des autorités sanitaires pour aider les professionnels et restaurer la confiance des Français.
Céline Pulcini, Professeur de médecine, infectiologue, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.