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Cinq enseignements de ces législatives et une possible comparaison

Le président de la République vote le 11 juin 2017
Le président de la République vote le 11 juin 2017

Arnaud Mercier, Université Paris II Panthéon-Assas

À chaud, il est possible d’exposer un tout premier bilan de cette séquence électorale en soulignant les conséquences du scrutin pour les forces partisanes, en remettant en perspective les résultats avec l’histoire de la Ve République, ou en établissant un parallèle avec la vie politique italienne.

Les législatives, sous-produits de la présidentielle

Comme il est désormais de coutume depuis la réforme constitutionnelle sur le quinquennat votée en 2000, avec l’inversion du calendrier électoral présidentielle-législatives, celles-ci viennent confirmer la présidentielle, et le 2e tour du scrutin législatif est une confirmation du 1er tour mais pas une amplification, comme cela arrive parfois. Tous les appels au sursaut venus de droite comme de gauche, en espérant un retournement de tendance, sont restés lettre morte. Ils tenaient, en réalité, plus du discours obligé au soir du premier tour que d’un discours de mobilisation audible et crédible.

L’abstention au soir du second tour est encore plus forte qu’une semaine avant, entre ceux qui ont perdu leur candidat et ne souhaitent se rabattre sur aucun autre et ceux qui sont découragés devant l’ampleur de la vague macronienne et qui ont baissé les bras. Ceci étant dit, la victoire du mouvement du Président n’est pas aussi large que le laissaient croire les scores du premier tour. Dans une série de circonscriptions, les candidats En Marche n’ont pas réussi (sauf quand ils faisaient face à un candidat Front national) à mobiliser beaucoup de nouveaux électeurs entre les deux tours, alors que leurs adversaires ont réussi des redressements spectaculaires, doublant leur score là où le candidat EM ne progressait que de 10 à 20 %.

Une des explications plausibles de ce phénomène serait le bon report de voix d’électeurs des autres partis vers l’adversaire de celui d’En marche, dans une logique du « tout sauf une hégémonie excessive d’En marche au Parlement ». De plus, tout se passe comme si l’électorat Macron s’était déjà bien mobilisé au premier tour et que la réserve de voix au second tour manquait, alors que les adversaires ayant été punis par l’abstention de leurs électeurs avaient réussi à remobiliser un peu en leur faveur.

PS : encore quelques secondes Monsieur le bourreau

L’oraison funèbre s’approche dangereusement du Parti socialiste tel que François Mitterrand avait réussi à la reconstruire à partir du fameux congrès d’Epinay de 1971. Déjà le score spectaculairement bas de Benoît Hamon à la présidentielle avait été un camouflet, mais la confirmation reçue lors de ces élections législatives lui porte le coup de grâce. Son premier secrétaire, Jean‑Christophe Cambadelis en tire logiquement la conclusion et annonce sa démission. Et il est instructif de souligner que le discrédit des élus socialistes frappe sans distinction les fidèles du Président Hollande, les anciens ministres, même parmi ceux qui ont eu le soutien implicite de En Marche, comme les « frondeurs » qui ont passé leur temps à se désolidariser du gouvernement Valls.

Dépôt de gerbe sur la tombe de François Mitterrand par le Premier secrétaire Harlem Désir, en janvier 2013.
PS/Flickr, CC BY-SA

Sur les 42 signataires qui avaient clairement rompu avec le devoir de solidarité de leur majorité présidentielle et législative, le bilan n’est pas brillant : seuls 6 ont pu se qualifier pour le second tour, dont un seul en tête. Leurs scores oscillent entre 9 % et 24,7 %. Le score moyen étant de 15,7 %, ce qui est bien supérieur au score du PS pris globalement lors du premier tour, mais reste faible pour nourrir l’ambition d’incarner une opposition de gauche. On notera que 15 – soit un tiers – préférait ne pas se représenter. Taux de désertion spectaculaire pour des députés si combatifs un an avant. Bilan : 20 députés sortants battus dès le premier tour, 6 qualifiés pour le second et 3 élus à l’issue du second, on est loin d’une validation par le suffrage du bien-fondé de leur jeu de posture au Parlement.

De ce constat, il en ressort que le Parti socialiste est effectivement définitivement brisé, qu’il n’abritera plus deux gauches jugées « irréconciliables » selon les termes prémonitoires de Manuel Valls. Les membres de ce parti se jettent en effet au visage la responsabilité réciproque du naufrage électoral subi : les uns criant au poison de la déloyauté qui a affaibli le réformisme gouvernemental voulu par François Hollande, les autres criant à la trahison des idéaux de la campagne de 2012. Les oppositions idéologiques ou programmatiques deviennent donc des rancœurs, voire des haines, chacun jugeant que l’autre porte la faute originelle, alors qu’en vérité chacun à sa place est responsable de ce désastre, par le spectacle qui fut ainsi donné qui a sapé la confiance des électeurs socialistes, partis en masse chez En Marche.

Il y a fort à parier que les divers courants et visions du monde qui ont divisé ce parti durant le quinquennat de François Hollande vont désormais essayer de se réorganiser, de réviser leurs logiciels intellectuels et programmatiques, en revenant donc probablement à l’état ante-Epinay d’un éclatement entre plusieurs groupuscules conçus comme des laboratoires d’idées, comme une étiquette électorale partagée, bénéficiant ainsi de soutiens publics ou comme des cercles d’élus à forte assise locale cherchant à fédérer leurs maigres moyens au niveau national dans une logique de préservation de fiefs. L’heure dans la mouvance socialiste va sans doute être à la dispersion, à la refondation de micro-chapelles, avant un jour – peut-être – une nouvelle recomposition. Et François Hollande si soucieux de laisser une trace dans l’histoire va très probablement rester comme celui qui aura sabordé le Parti socialiste tel que François Mitterrand avait réussir à la bâtir pour en faire une force de gouvernement crédible.

Des forces protestataires qui ont du mal à mobiliser les Français

Si, durant la campagne présidentielle, les discours de Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon ont porté, et si leur score les a convaincus qu’ils allaient faire un carton au moment des législatives, force est de constater qu’ils subissent un net recul. Guillaume Caline, de Kantar Public, pointe ainsi que « dans les 30 circonscriptions métropolitaines où l’abstention a le plus progressé au premier tour, le score moyen de Marine Le Pen était de 25,4 % à la présidentielle (contre 21,3 % au niveau national) et de 21,5 % pour Jean‑Luc Mélenchon (contre 19,6 %) ». À l’inverse, dans les 30 circonscriptions où l’abstention a le moins progressé aux législatives, le score moyen du candidat Macron était de 28,5 % contre 24 % en moyenne nationale.

Néanmoins, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, ils peuvent se consoler en soulignant – à raison – qu’ils ont désormais bien plus de députés qu’en 2012 à l’issue de ce second tour. C’est un maigre capital en nombre d’élus, mais en termes symboliques c’est très important, surtout pour la France insoumise et le PCF qui ont de quoi fonder un groupe parlementaire avec tous les avantages associés pour le travail parlementaire et la visibilité médiatique de l’action d’opposant au gouvernement.

Une défaite historique pour la droite

Même si elle peut essayer de se consoler en se disant qu’elle limite les dégâts, qu’elle est première force d’opposition, qu’elle dépasse les cent députés, la droite parlementaire subit une défaite historique depuis 1958. Au plus fort de la « vague rose » de 1981, elle comptait 150 députés dans ses rangs pour sa première entrée dans le rôle d’opposant. Elle en aura encore moins pour cette législature.

Et les problèmes ne font que commencer car elle arrive au Palais Bourbon, fracturée en trois blocs, entre ceux qui se sont déclarés ouvertement favorables à l’alliage Macron-Philippe, puisque justement le premier ministre est de droite. Ceux qui se disent partisans d’une opposition « constructive », votant ce qui correspond à leur programme. Et ceux qui plaident pour une opposition dure face à une majorité pléthorique.

Les élus resteront-ils soudés dans un même groupe parlementaire ou, au moins, deux tendances seront-elles en autonomie, via deux groupes distincts ? On doit aussi souligner que ces législatives sont perçues, non sans raison, par des ténors du parti Les Républicains, comme le reliquat de l’entêtement du candidat Fillon à se maintenir malgré tous ses ennuis judiciaires, entraînant son camp par le fond.

Abstention : une preuve de plus de la crise de confiance démocratique

Ces élections législatives sont un double signal de la crise profonde de confiance des électeurs français vis-à-vis des forces politiques traditionnelles qui se partagent le pouvoir, à coup d’alternances successives, depuis des décennies.

Signal exprimé d’abord par le nombre conséquent des Français qui ont décidé de donner leur chance à une force politique nouvelle, qui se retrouve à l’Élysée et avec une majorité absolue inégalée dans l’histoire de la Ve République pour une force qui a à peine douze mois d’existence.

Signal ensuite par le nombre très élevé d’électeurs du premier tour de la présidentielle qui ont décidé de s’abstenir et donc de ne pas aller soutenir les candidats locaux du leader pour lequel ils avaient pourtant voté six semaines auparavant.

Un air de déjà vu : l’Italie de Forza Italia

Si le mouvement de fond électoral qui traverse la France est inédit sous la Ve République, de troublants parallèles sont possibles avec la vie politique italienne de 1992-1994, au moment de l’émergence sur la scène politique de Silvio Berlusconi.

Entre 1992 et 1994, le système partisan italien a connu une profonde mutation, au point que les commentateurs italiens ont parlé de Seconda Repubblica alors même qu’il n’y eut aucune nouvelle constitution promulguée. Mais les élections de 1994 virent arriver sur la scène politique de nouveaux partis, et notamment celui d’un entrepreneur, dirigeant de médias et d’un club de football, donc un candidat qui se présente comme n’étant pas un professionnel de la politique.

Silvio Berlusconi, le dynamiteur de Forza Italia (ici en 2006).
Enrico Maioli/Flickr, CC BY-SA

Dans un climat de très grande défiance des électeurs vis-à-vis des trois partis qui s’étaient partagé le pouvoir, la démocratie chrétienne – hégémonique – et le Parti socialiste ou Parti socialiste démocratique italien, forces d’appoint, les électeurs transalpins ont éradiqué de la vie politique ces trois forces en propulsant Forza Italia, créé ex nihilo, et quelques autres partis plus petits.

Les partis traditionnels furent discrédités par l’opération judiciaire dite Mani pulite (« mains propres ») initiée par des juges de Milan pour lutter contre la corruption devenue endémique. Au fil des arrestations, des suicides, de la découverte de l’étendue des dégâts, le désir de transparence financière a grandi dans l’opinion publique, accompagné de l’envie de balayer le personnel politique habituel. De nombreuses personnes issues de la société civile furent candidats pour la première fois et se firent élire, à la surprise des autres forces politiques qui n’avaient pas anticipé pareil coup de balai.

The ConversationChacun conviendra que les parallèles sont troublants, même si Berlusconi n’est en rien un modèle revendiqué par Macron. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater qu’Emmanuel Macron porte finalement le projet de Jean‑Luc Mélenchon, en devenant le chantre du « dégagisme » que le second avait théorisé, mais n’a pas su incarner de façon crédible aux yeux d’une écrasante majorité de Français.

Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris II Panthéon-Assas

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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