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Jean-Luc Mélenchon sur YouTube : « The medium is the message », mais pas toujours

Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise

La célèbre phrase de Marshall McLuhan, « The medium is the message », incite à penser que le médium a une grande importance sur la transmission d’un message. À ce titre, l’usage de YouTube par Jean-Luc Mélenchon est intéressant, car il rencontre une forte audience, et vraisemblablement une écoute attentive. Ceci a notamment été perçu lors du chiffrage de son programme, le 19 février, pendant plus de 5 heures. The Conversation

Les points importants de cette vidéo ont été repris sur le compte Twitter de @JLMélenchon, avec #JLMchiffrage. Pendant ces 5 heures, 142 tweets ont été produits. Comme développé précédemment dans le cadre du projet #Idéo2017, le tweet comme genre du discours politique permet d’avoir une retranscription synthétique des diverses prises de paroles des personnalités politiques (matinales, meetings, conférences de presse, etc.). À ce titre, l’événement #JLMchiffrage a permis de rendre compte des différentes thématiques développées, comme le montre ce dendrogramme réalisé à partir de ce corpus des tweets :

Image 1 : thématiques des tweets de @JLMelenchon avec @JLMchiffrage.

Cette classification lexicale, qui procède par regroupements statistiques, permet de faire émerger les grands domaines lexicaux d’un corpus, et d’en dégager les principaux thèmes. Dans ce cas, l’emploi, la pauvreté, les salaires et l’investissement sont au cœur du projet.

Pour « mesurer » la portée de cet exercice sur YouTube, j’ai relevé les articles qui, au 20 février (le lendemain), contenaient les mots-clés « Mélenchon + chiffrage » : 16 articles étaient disponibles. Parmi eux, 10 articles se focalisaient entièrement sur l’événement YouTube. En procédant à la même analyse thématique, la classification suivante est obtenue :

Image 2 : thématiques issues des 10 articles de presse liés au chiffrage de son programme.

Il est question d’emploi, d’impôt, d’investissement (dans le logement notamment) et du service public. On perçoit donc quelques différences de point de vue et de traitement (les mots les plus caractéristiques ne sont pas exactement les mêmes), mais la reprise dans la presse du sujet, des axes et des points importants, semble sérieuse et fidèle.

Ceci se mesure encore plus avec l’usage d’un autre logiciel (Tropes), qui permet de rendre compte de ce qui suit :

2) Des thèmes

Bien sûr, le nombre d’occurrences des contextes ou thèmes diffère (car la taille des corpus est différentes), mais c’est l’ordre qui est intéressant : il est en effet relativement proche dans les deux colonnes, ce qui indique que la reprise par la presse du cadre et du contenu de la présentation est fidèle thématiquement, et même dans la proportion de traitement des différents sujets.

Une conclusion provisoire pourrait donc être qu’un tel exercice sur YouTube, même long et technique, reçoit une écoute attentive et permet une retranscription fidèle.

L’écologie passe inaperçue

Pour vérifier cette hypothèse, j’ai procédé à une analyse similaire autour de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon lors de la journée de l’écologie de la France insoumise, le 25 février dernier. 86 tweets ont été publiés sur le compte @JLMelenchon avec le #EcologieFI (pour écologie France insoumise). La production d’articles étant moindre, j’ai étendu au lendemain et surlendemain, soit les 26 et 27 février, avec une recherche par les mots-clés « Mélenchon + écologie » : 8 articles sont ainsi trouvés, mais un seul évoque précisément l’événement sur YouTube – les autres traitent de l’alliance du PS avec les écologistes notamment et ne font que mentionner le candidat Mélenchon.

La taille du corpus ne permet pas de faire les mêmes analyses thématiques, mais le relevé des mots les plus employés dans les deux corpus est néanmoins éclairant :

Image 3 : Lexique dans les tweets #EcologieFI

Image 4 : Lexique de l’article

Alors que le candidat Mélenchon étaye son propos avec des considérations politiques assez abstraites (capitalisme, modèle) ou sur l’Europe, l’article s’intéresse davantage à l’agriculture (en lien avec le salon de l’agriculture notamment) et au contexte électoral.

Cet autre exercice sur YouTube n’offre donc pas du tout la même conclusion que le premier : alors que le chiffrage conduisait à une reprise dans plusieurs articles, avec une certaine fidélité et consistance, l’écologie passe inaperçue, à la fois quantitativement (1 seul article) et qualitativement (déperdition des aspects théoriques et fondamentaux au profit des aspects contextuels du salon de l’agriculture).

Le message peut annihiler le média

Ainsi, si la stratégie de Jean-Luc Mélenchon sur YouTube connaît souvent une bonne efficacité, on peut dire que le sujet est également d’une grande importance, et en la matière, le chiffrage est plus populaire que l’écologie. Le médium est peut-être parfois le message, mais le message peut en retour annihiler le médium. Le bon moment pour la communication politique de mieux penser la complexité des rapports entre fond et forme, et le lien consubstantiel entre les deux.

Plus en rapport avec le sujet du projet #Idéo2017 évoqué plus haut, cette distinction montre que Twitter reste un bon moyen d’accès à l’information politique, puisque la déperdition d’information constatée dans la presse ne se produit pas dans les tweets. Le réseau social joue donc le rôle de médium social, et conforte l’intérêt d’une étude des messages qui y sont produits.

Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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