Thibaut Tekla, École pratique des hautes études (EPHE) – PSL
Dans une recommandation adoptée en 2005 et intitulée « Éducation et religion », l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe indique que les gouvernements devraient encourager l’enseignement du fait religieux et promouvoir le dialogue entre les religions.
Ce texte précise également que l’école, en ce qu’elle forme l’esprit critique des futurs citoyens, doit également les former au dialogue interculturel et que cet enseignement doit s’inscrire dans les respects des valeurs de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Des approches différentes
À l’échelle européenne, on peut identifier trois types d’attitude à l’égard de l’enseignement des religions.
Il y a celui du « teaching into religion », dont l’Allemagne est un exemple. Ici, un enseignement confessionnel des religions à l’école ou des cours de morale laïque non confessionnelle pour ceux qui le souhaitent sont prévus. Les élèves sont donc distingués en fonction des choix qu’ils font en matière d’orientation religieuse et philosophique.
Le second cas de figure concerne celui du « teaching about religion » : il consiste en un enseignement non confessionnel des religions et convictions pour tous les élèves ; c’est notamment le cas au Danemark et en Suède.
La troisième orientation, celle choisie par la République française, consiste à opter pour un enseignement transdisciplinaire visant à traiter les faits religieux à travers les différentes disciplines scolaires.
En 2009, un cadre européen de référence sur les conditions d’un enseignement public des religions était proposé par Luce Pepin et invitait à réfléchir sur ce que devrait être un tel enseignement dans un contexte laïque.
Celui-ci – qui n’a donc rien d’une catéchèse – se doit d’être neutre, objectif et de reposer sur une mise à distance documentée des faits. Il doit être pluraliste et ouvert, prenant en compte les différentes expressions du fait religieux. La réflexion de Luce Pepin insistait également sur le fait que ce cadre doit s’appliquer à tous les élèves : il est donc nécessaire de prévoir un temps suffisant dans les programmes, une excellente formation des enseignants, un matériel pédagogique adapté ainsi qu’une déontologie claire.
En France, dans le public et dans le privé
L’ex-culturation du religieux dans le contexte de la France ultra-moderne, ainsi que la manifestation d’un nouveau pluralisme convictionnel, peut impliquer un déficit de formation et de références des personnes en charge d’aborder ces questions ; ces dernières peuvent s’en trouver démunies ou imparfaitement outillées. Elles peuvent également craindre de sortir du cadre laïque, ne pas être en mesure de répondre aux éventuelles questions des élèves ou, selon le contexte et l’environnement, de susciter des tensions.
Du côté de l’enseignement privé catholique, la tentation peut également exister de vouloir confier l’ensemble des questions traitant du fait religieux aux agents de pastorale. Une telle approche pose un problème car elle exclut celui-ci du domaine scientifique et l’ensemble des élèves n’est plus concerné. En outre, le risque de syncrétisme est manifeste et l’agent de pastoral ne saurait donc remplacer l’enseignant dans sa mission de transmettre certaines connaissances relatives au fait religieux.
Des implications pour chaque discipline
Réfléchir aux enjeux et aux difficultés de l’enseignement religieux à l’école pour chaque discipline est également nécessaire.
Le Conseil de l’Europe s’est ainsi mobilisé sur la question du créationnisme dans l’enseignement des sciences. Une résolution de 2007 rappelle que ce courant de pensée ne peut prétendre être une discipline scientifique. Il est donc important d’initier les enfants et adolescents au fait qu’il existe différents régimes de vérité. Comme le soulignait Paul Ricœur, les mythes peuvent néanmoins enseigner des choses essentielles concernant les réalités humaines.
Prenons l’exemple de l’Histoire : il serait incomplet d’aborder la question de son enseignement sans admettre une dimension métaphysique visant à lui donner sens. On pense ici à Jeanne d’Arc, considérée tour à tour comme figure républicaine anticléricale ou sainte catholique et souvent instrumentalisée par différents courants politiques…
Et pour l’enseignement de la littérature, il est difficile d’imaginer que puisse être abordée l’œuvre de Victor Hugo sans référence chrétienne. Ainsi, dans Notre-Dame de Paris, l’écrivain romantique fait regretter au personnage de Claude Frollo, archidiacre de Notre-Dame, le fait que l’imprimerie provoquera le déclin de l’architecture religieuse. Cet argumentaire est impossible à comprendre sans un minimum de références concernant les enjeux de la Réforme protestante et de la pluriconfessionalisation du christianisme.
Il ressort de ces exemples non seulement la nécessité de traiter des questions de faits religieux mais, plus encore, de tenir compte de la dimension métaphysique de ces faits, sans pour autant tomber dans la catéchèse ou le prosélytisme.
Des solutions existent pour permettre aux enseignants de bénéficier d’outils pédagogiques à la préparation de leur enseignement, à l’image de la formation Agapan.fr. Tenant compte du choix de la France et du cadre européen, cette formation e-learning, mise en place avec le soutien des différents responsables de cultes, sollicite des personnes de différentes traditions religieuses en vue de transmettre les éléments historiques, anthropologiques et convictionnels des grandes religions et systèmes de pensées.
Thibaut Tekla, Doctorant en Sciences Religieuses, École pratique des hautes études (EPHE) – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.