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Isabelle Huppert : « C’est amusant de jouer un personnage qui ment »

L’actrice incarne « La Daronne » dans le film de Jean-Paul Salomé, une comédie policière. « C’est un mélange des genres, le côté comédie et le côté polar étaient dans le roman », précise le réalisateur.

« Elle paye l’Ehpad de sa mère en dealant du shit, elle est plus Robin des Bois que Pablo Escobar », résume Isabelle Huppert.

« Tout de suite, j’ai imaginé Isabelle dans ce personnage », confie Jean-Paul Salomé. Ce personnage, c’est « La Daronne », titre d’un roman de Hannelore Cayre devenu donc un film avec Isabelle Huppert (sortie le 9 septembre). Ce personnage s’appelle Patience, elle est auxiliaire de justice, traductrice pour les services de police. Patience vit dans un appartement à Belleville, veille sur sa vieille mère en maison de retraite (Liliane Rovère, agente dans « Dix pour cent »), peine à payer les dettes de son escroc de mari, et a un amant occasionnel, un commandant de la brigade des stups joué par Hippolyte Girardot.

« Essaie de profiter du présent », lui conseille une de ses filles. Ce que Patience ne fait guère, dans un quotidien assez morne. Mais « La galérance, elle est finie », lorsqu’elle récupère une cargaison de came, bien aidée par un chien renifleur, une tonne et demie de drogue planquée dans sa cave. Patience va alors devenir « La Daronne », et enfin profiter de la vie et d’un argent facile, en embauchant deux lascars ringards, Scotch et Chocapic, qu’elle suit sur écoutes téléphoniques.

« Elle paye l’Ehpad de sa mère en dealant du shit, elle est plus Robin des Bois que Pablo Escobar », résume Isabelle Huppert. Sélectionné au Festival de l’Alpe d’Huez et au Festival du film policier de Beaune, « La Daronne » est donc à la fois une comédie et un polar. « C’est un mélange des genres, le côté comédie et le côté polar étaient dans le roman, Hannelore Cayre m’a dit que c’était son livre avec de l’émotion en plus », dit Salomé (qui avait réalisé « Les Braqueuses », « Arsène Lupin », « Belphégor » et « Les femmes de l’ombre »).

Une comédie policière tournée dans un Paris populaire et cosmopolite, et un portrait de femme qu’incarne Isabelle Huppert avec une certaine jubilation. Malgré le côté peu vraisemblable de la situation, des affiches de films omniprésentes dans les locaux des flics prouvent que le mythe commun du cinéma et de la police est toujours aussi actuel. Pour morale de l’histoire, on retiendra cette petite phrase lâchée par une concierge chinoise, qui elle aussi vit de petits et grands trafics : « Parler ne fait pas cuire le riz ».

Isabelle Huppert : « Les gens vous voient à travers un prisme »

C’est le mélange de comédie et de polar qui vous a intéressé dans ce film ?

L’aubaine était trop bonne, dans le livre et le scénario il y avait déjà ce mélange savamment dosé entre à la fois comique, émotion, finesse, tous ces masques aussi différents, tous ces mensonges. Elle ment tout le temps, c’est toujours amusant de jouer un personnage qui ment. Au cinéma par définition on ment, on a toujours tendance à dire une chose et à en penser une autre, c’est la caméra qui induit ça. Mais quand en plus, c’est le ciment même du personnage, c’est vraiment très amusant.

Isabelle Huppert : « C’est un personnage très riche, très complet, le déguisement fait partie du plan ».

Vous jouez une traductrice, on dit que traduire c’est trahir, interpréter aussi ?

Oui, traduire c’est trahir et jouer c’est une interprétation, ce n’est pas forcément trahir mais c’est subjectif en tous les cas, heureusement car sinon n’importe qui pourrait faire ce qu’on fait. Il faut se dire qu’au moment où on le fait, on est la seule à pouvoir le faire, d’une certaine manière. Les gens vous voient à travers un prisme parfois un peu pesant, mais contre lequel on ne peut rien, il y a quelque chose qui s’agglomère à vous et dont on a du mal à sa débarrasser, ça détermine au peu le regard qu’ont les gens.

Vous jouez souvent dans des langues étrangères, pour celui-ci vous avez appris l’arabe, ce fut un travail fastidieux ?

Fastidieux non, mais un travail. C’était nécessaire, c’était bien pour rendre le personnage crédible, c’était assez difficile quand même et j’ai tout oublié. La notion de travail est à prendre avec beaucoup de précautions, on a la chance de faire quelque chose qu’on aime. J’avais appris un peu le chinois pour un film chinois qui n’est d’ailleurs jamais sorti ; dans un des prochains films que je vais faire, sur le Caravage, le réalisateur Michele Placido veut que Louis Garrel et moi, et ma fille Lolita Chammah qui joue aussi dans le film, nous tournions en italien. Quand en joue en anglais, on est un peu une autre personne, ce qui est bien d’ailleurs, on échappe un peu à soi, mais je ne pense pas que ça modifie fondamentalement le jeu.

Voyez-vous ce rôle de « La Daronne » comme un double personnage ou comme quelqu’un qui se déguise ?

Je l’ai vue d’une manière multiple, c’est un personnage très riche, très complet, qui passe par des tas d’états différents. Oui, le déguisement intervient forcément, il fait partie du plan, mais en même temps j’aime beaucoup la manière dont elle reçoit le foulard, de cette femme infirmière arabe, c’est un geste initiatique. La boucle est bouclée puisque c’est aussi grâce à ça qu’elle va finalement sauver le fils de cette femme, il y a une mécanique qui se met en place, l’idée du costume arrive par là et ça donne beaucoup de consistance à ce déguisement, ce n’est pas superficiel.

Jean-Paul Salomé : « Il y a une richesse et une diversité du cinéma français »

Jean-Paul Salomé : « Je fais des films pour les salles de cinéma ».

Qu’est-ce qui vous avait intéressé dans le livre de Hannelore Cayre ?

C’est un mélange, je trouvais qu’il y avait le côté polar, assez moderne, qui traitait cette histoire de manière assez originale, un peu décalé, mais en restant extrêmement réaliste, un peu anar de gauche, qui se passait en plus dans un Paris qu’on voit rarement. Je me sens à l’aise dans cet univers, j’ai souvent fait des films avec des femmes dans les rôles principaux, il y a quelque chose qui m’attire naturellement, j’aimais cette dimension, il y a Patience, mais derrière il y a d’autres femmes, d’autres daronnes, il y a une espèce de sororité entre toutes ces femmes qui s’entraident finalement. En tant que metteur en scène, je réfléchis toujours en tant que spectateur, ma première envie de faire un film c’est d’aller le voir au cinéma.

Votre film devait sortir le 25 mars, en raison du covid il a été repoussé en septembre ; êtes-vous soulagé qu’il sorte enfin en salles plutôt que d’être encore reporté ou diffusé sur une plateforme ?

Le distributeur Jean Labadie a pris la bonne décision à l’époque, pour limiter la casse, ce qui permet au film de sortir dans de bonnes conditions avec l’investissement nécessaire en pub, c’est un équilibre très compliqué. Les films qui atterrissent sur des plateformes avaient dépensé leurs budgets publicitaires et n’avaient plus tellement le choix, on a évité ça et c’est tant mieux. Moi je fais des films pour les salles de cinéma, et en cette période compliquée personne ne sait vraiment comment les choses vont fonctionner. En même temps, c’est assez gratifiant de se dire qu’on fait partie de ce mouvement, on est là, on essaie de faire venir les gens en salles, le film a ces atouts-là aussi. Je peux comprendre qu’il y a un déficit de spectateurs parce qu’il n’y a pas de films américains, mais j’en ai un peu marre parce qu’il y a quand même des films français dans toutes les catégories, il y a une richesse et une diversité qui sont là.

En tant que Président d’Unifrance, vous avez représenté le cinéma français dans le monde entier, quelle est son image à l’étranger ?

Elle est bonne, il faut qu’on arrête de geindre, on est quand même une des seules cinématographies à résister, il y a encore des gens qui ont envie de voir des films français. La difficulté majeure, dans tous les pays du monde, c’est que l’exploitation sur les écrans de cinéma est difficile pour tous les films autres que les films américains. On n’est pas les plus mal lotis, c’est excitant et en même temps la situation est difficile, mais il y a encore un peu d’espoir, il y a beaucoup d’attention à l’international, on y connait nos comédiens, nos comédiennes. Evidemment, il y a Godard, Truffaut, mais il n’y a pas que ça, les gens commencent à connaître aussi le jeune cinéma français d’auteur.

Hippolyte Girardot : « C’est l’amoureux qui gagne au final »

Hippolyte Girardot : « J’aimerais bien que le ministère de l’Intérieur soit un peu moins testostéroné ».

Dans ce film, Hippolyte Girardot incarne un commandant de police, amoureux d’une traductrice qui est aussi cette « Daronne », la dealeuse qu’il recherche sans le savoir. « Le personnage dans le livre était beaucoup moins présent dans l’intrigue, et je trouvais que la relation est intéressante, on l’a vraiment travaillé au scénario », précise le réalisateur Jean-Paul Salomé. « Il y a de la mélancolie dans la relation de Patience avec le personnage joué par Hippolyte, c’est quelque chose qui n’arrivera jamais, tout ça donne beaucoup d’humanité et de profondeur », estime quant à elle Isabelle Huppert.

« Quand on est acteur, on n’est jamais seul, il y a le regard du metteur en scène et Jean-Paul savait très bien le personnage qu’il voulait voir en face d’Isabelle, ça aide énormément d’avoir ce miroir parlant », précise Hippolyte Girardot, « Très vite le spectateur comprend de quoi il est question, les enjeux, ce que mon personnage met là-dedans et comment il va y arriver. Je n’ai pas à me creuser la tête là-dessus, je suis plus focalisé sur comment séduire cette femme, comment enfin elle va pouvoir aimer mon personnage, c’est plus là-dessus que je m’investissais, c’est l’amoureux qui gagne au final. Il laisse tomber sa testostérone, il laisse filer parce que c’est la vie, et cette femme qu’il aime c’est ça qui compte au-delà de tout ; j’aimerais bien que le ministère de l’Intérieur soit un peu moins testostéroné, par exemple », dit l’acteur.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« La Daronne », un film de Jean-Paul Salomé, avec Isabelle Huppert et Hippolyte Girardot (sortie le 9 septembre).

 

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