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Seniors : le vrai-faux retour des béguinages

Riwanon Géléoc, Université de Lorraine

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Le béguinage de Bruges. Wikimedia, CC BY

Depuis la fin des années 1990, on voit poindre partout en France des « résidences de seniors » se réclamant de ces communautés médiévales connues sous le nom de « béguinages », particulièrement connues en Belgique et dans le nord de la France. Associant vie conviviale et loyer peu onéreux, ce type d’habitat attire de plus en plus de seniors en quête d’une alternative à la maison de retraite. Mais en quoi ces résidences se rattachent-elles au mouvement béguinal tel qu’il est apparu à la fin du Moyen Âge ? Qu’ont-elles en commun avec lui ? Y aurait-il une logique mercantile sous-tendant cet engouement soudain pour la vie béguinale ?

Un mouvement apparu dès la fin du XIIe siècle

Apparu à la fin du XIIe siècle, vraisemblablement dans les Pays-Bas méridionaux, le mouvement béguinal se propagea rapidement puisqu’on vit bientôt émerger des communautés bien au-delà : en Angleterre, à Paris, dans la région de Cologne, etc. Ces communautés étaient, au départ, plutôt informelles : quelques femmes veuves ou célibataires se regroupaient pour vivre leur foi et suivre le Christ d’un même pas. Mais, très vite, le mouvement béguinal, victime de son succès, s’organisa plus solidement.

Ce mouvement se structura en deux grands « types » de béguinages : le premier – les « couvents » – accueillait quelques béguines qui vivaient ensemble sous la direction d’une « magistra » (« maîtresse »). Généralement peu nombreuses, celles-ci s’engageaient à respecter une règle commune jusqu’au jour de leur départ et participaient financièrement au fonctionnement de l’institution.

Les couvents au Moyen-Âge offraient aux femmes une alternative à la vie maritale.
Wikimedia Commons

Le deuxième type – les « cours (béguinales) » – formait un véritable complexe architectural : outre l’existence d’une église ou d’une chapelle dans laquelle les béguines priaient ensemble lors des offices et autour de laquelle elles vivaient (dans des habitations séparées), on pouvait également trouver des brasseries, des fours à pain et même des petites fermes (par exemple dans le béguinage de Valenciennes). Ce complexe architectural était dirigé par une seule « grande maîtresse » qui, le cas échéant, pouvait s’entourer d’un conseil de béguines. Ce deuxième type se rencontrait essentiellement dans les Pays-Bas méridionaux ou dans les régions limitrophes.

Les seniors, « cibles » des béguinages d’aujourd’hui

Les béguinages actuels, assez éloignés finalement de leurs ancêtres médiévaux, ont été exclusivement conçus pour des personnes âgées autonomes. Offrant une alternative au maintien à domicile et à la maison de retraite, ces « béguinages de seniors » ont été pensés afin de rompre l’isolement des retraités, tout en leur permettant de garder une certaine indépendance. Né à la fin des années 1990, le concept de béguinage à destination de seniors revêt une multitude de formes, d’expressions et de financements : public – certains béguinages dépendent des offices publics de l’habitat – mais aussi privé – c’est le cas des logements gérés par la société « Vivre en béguinage ». En voici deux exemples :

  • le béguinage à sensibilité religieuse, le plus proche structurellement et idéologiquement du béguinage médiéval. Les résidents – que l’on appelle d’ailleurs béguines et béguins – vivent une vie communautaire tout en ayant leur propre appartement. Comme leurs homologues médiévaux, les membres de ce béguinage ont généralement un lien avec l’église locale et ont la volonté de vivre une vie fraternelle et de prière au sein de leur « communauté ». Celle-ci, d’ailleurs, est implantée au cœur d’une ville, comme c’était spécifiquement le cas pour les béguinages médiévaux.
  • le béguinage laïc à caractère social est sans doute le plus proche sur le plan architectural du béguinage médiéval de type curial. À l’instar de celui à sensibilité religieuse, il rassemble des personnes âgées mais celles-ci vivent dans des maisonnettes peu onéreuses regroupées autour d’une cour. La particularité de ce béguinage laïc à caractère social réside dans la présence d’une « hôtesse du béguinage » qui veille sur les résidents, organise de temps à autre des animations et des repas, est au service des résidents et habite sur place.

Les personnes âgées ont la possibilité de vivre une vie fraternelle mais rien ne les oblige à participer à ces temps conviviaux. Ces béguinages ne sont pas tous urbains – certains sont même clairement ruraux – mais ils sont tous situés à proximité de petits commerces. C’est notamment le cas des béguinages de Lambres-lez-Douai et de Cuincy, tous deux implantés dans les Hauts-de-France.

Quelques ressemblances… et de nombreuses différences

Tout comme les béguinages médiévaux, les « néo-béguinages » permettent donc à leurs résidents de vivre une vie conviviale et fraternelle (au sens large du terme), et de lutter contre l’isolement et le sentiment d’exclusion des résidents. De plus, les « néo-béguinages », conçus à la fin des années 1990 par des bailleurs sociaux, ont été pensés d’un point de vue architectural comme leurs lointains ancêtres (maisonnettes individuelles regroupées autour d’un lieu commun). Mais il y a un bémol de taille : ce type d’architecture béguinale fut développé essentiellement au XVIe siècle et non au XIIIe siècle, époque où l’architecture des béguinages était moins organisée, plus disparate.

Visite d’un béguinage en Bretagne.

S’il existe quelques points communs entre ces « néo-béguinages » et les béguinages médiévaux, les différences sont en réalité bien plus nombreuses. Alors que la prière était au cœur de la vie d’une béguine médiévale, elle est, dans certains béguinages pour seniors, parfois inexistante. Par ailleurs, les résidents des béguinages médiévaux avaient pour particularité d’être célibataires et de sexe féminin – ce qui n’est pas systématiquement le cas pour les résidents d’aujourd’hui. En revanche, ces derniers sont tous des retraités.

Autre différence : le principe même d’« hôtesse de béguinage » était, bien entendu, inexistant au Moyen Âge et le lien entre le « néo-béguinages » et l’église locale est parfois absent, alors qu’il était essentiel jadis. Enfin, les béguinages d’aujourd’hui n’ont pas tous une sensibilité pour la spiritualité paupériste, à la différence des béguines du Moyen Age, proches spirituellement des ordres mendiants.

En définitive, les « béguinages pour seniors » d’aujourd’hui ressemblent peu à leurs ancêtres. Pourquoi persistons-nous à les affubler de ce terme historique ? Ne s’agit-il pas de simples « résidences pour seniors », dont certaines auraient une affinité spirituelle plus ou moins marquée ? Marketing, quand tu nous tiens…

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Riwanon Géléoc, doctorante en théologie et germanistique, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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