Anne Le Roy, Université Grenoble Alpes et Emmanuelle Puissant, Université Grenoble Alpes
Nous publions ici des extraits du livre « Économie politique des associations : transformations des organisations de l’économie sociale et solidaire » coordonné par Anne Le Roy et Emmanuelle Puissant et écrit avec François-Xavier Devetter et Sylvain Vatan (Éditions de Boeck Supérieur), qui consacre un chapitre au cas de l’aide à domicile pour analyser les tensions entre les objectifs des associations et les logiques marchandes.
Le rôle pionnier des associations
Bien que les initiatives populaires d’entraide aient commencé à se développer dans l’entre-deux-guerres, les premières associations d’aide à domicile naissent en majorité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le temps était alors à la reconstruction de la France : reconstruction matérielle, mais aussi politique, économique et sociale. La question de la misère des personnes âgées et des familles ouvrières était alors préoccupante.
Les initiatives populaires et la création des premières associations ont précédé les politiques publiques : les premières associations d’aide à domicile aux familles d’abord, puis aux personnes âgées, ont vu le jour avant que le secteur de la gérontologie ne soit reconnu comme tel. Les associations ont été pionnières d’abord dans l’organisation et la structuration des services d’aide à la vie quotidienne auprès des familles populaires, puis auprès des personnes âgées.
Répondre à des besoins
Dans la grande majorité des situations, les associations sont nées pour répondre à des besoins non satisfaits ou alors, elles ont aussi pu se créer pour répondre de manière différente à des besoins pour lesquels des réponses publiques ou privées existaient déjà.
Les premières formes d’organisations oeuvrant dans la prise en charge de l’indigence, de la pauvreté ou d’autres formes de marginalités ont bien souvent été des associations. Soit elles se sont créées pour répondre à ces besoins non satisfaits, pour permettre à des catégories oubliées de l’action publique et privée d’accéder à des aides, des services, des biens ; soit elles se sont créées en complémentarité ou même en réaction avec l’action sociale de « secours aux pauvres » et de traitement de l’indigence de la puissance publique, jugée comme relevant d’une logique d’assistanat, ne permettant pas aux usagers ou bénéficiaires de ces services d’être réellement acteurs dans la réflexion et la construction des réponses à leurs besoins.
Repères bousculés
L’essor des financements marchands bouscule les repères du monde associatif. Souvent justifiée par la recherche d’efficience, évaluant les activités des associations au regard de leurs coûts, l’introduction du marché et d’une régulation marchande semble pourtant dépasser la seule question de l’efficience pour impacter plus fondamentalement l’efficacité, comprise comme l’évaluation des activités au regard de leurs objectifs. Il s’agit alors non plus de répondre, le mieux possible, à des besoins sociaux mais d’y parvenir à moindre coût. Plus largement, l’introduction du marché questionne l’activité associative dans son rapport aux usagers comme dans son organisation productive. Cette régulation marchande contribuant à requalifier son identité et ses pratiques, l’activité associative pourrait-elle se perdre, se fondre, dans le marché ? Les associations y seraient-elles solubles ?
La marchandisation limitée de l’aide à domicile
L’évolution de l’aide à domicile dans les années 2000 permet de rendre compte de la multidimensionnalité du processus de marchandisation et de l’impact de ce processus sur les associations, acteurs historiques très largement majoritaires dans le champ. En effet, ce champ d’activité fait l’objet à la fois (1) d’une libéralisation et d’une privatisation de l’offre par son intégration au secteur nouvellement constitué des services à la personne et (2) d’une évolution en profondeur du mode de régulation tarifaire et budgétaire des acteurs historiques dans les rapports qu’ils entretiennent avec leur tutelle dans leur mission de service social.
En examinant le rôle paramétrique du prix dans cette nouvelle configuration institutionnelle, c’est-à-dire la manière dont le prix sous-tend les relations d’échange, il nous est possible de tracer les différents espaces de déploiement de la marchandisation dans l’aide à domicile. L’essor de la marchandise au sens strict nous apparaît alors comme limité au regard de ce que l’on peut considérer comme l’échec du plan Borloo. En revanche, l’expansion de la forme marchandise, perceptible par l’analyse du rôle paramétrique du prix, nous apparaît être le véritable vecteur de la marchandisation des secteurs médico-sociaux comme l’aide à domicile. La marchandisation de ce secteur d’activité passe par la transformation de son mode de financement qu’est la tarification administrée.
Le plan Borloo prévoyait l’ouverture totale à la concurrence de l’activité prestataire d’aide à domicile. Ainsi, jusqu’en 2006, l’activité prestataire d’aide à domicile réalisée dans le cadre des prestations d’aide sociale du département devait être réalisée par les organismes bénéficiant de l’habilitation à l’aide sociale. Ces organismes devaient être autorisés par les conseils généraux, autorisation qui leur ouvrait droit au mode de financement historique des activités sociales et médico-sociales : la tarification sociale et médico-sociale.
À partir de 2006, les entreprises lucratives peuvent donc investir le champ et, contrairement au principe de la tarification administrée, peuvent y pratiquer un prix « librement » fixé par les producteurs. Ce qu’on qualifiera ici de prix marchand se distingue du prix de marché dans l’analyse économique néoclassique, en ce qu’il est administré par les producteurs, donc construit et non fixé par la rencontre de l’offre et de la demande. À la différence de la tarification sociale, la validation sociale de la production est alors décentralisée et individualisée. La puissance publique s’efface ainsi en partie de la relation d’échange et, avec elle, une part importante de la dimension politique de l’activité d’aide à domicile qui s’est historiquement construite en tant que relation de service social.
Ce pan de l’activité d’aide à domicile est donc celui qui renvoie le plus à l’idéal type de l’activité marchande. Les prix y cristallisent un rapport d’échange désincarné où les relations tendent à se réduire à un taux d’échange. La logique collective d’anticipation et de validation d’une production, répondant à des besoins.
Pour autant que ce pan de l’activité d’aide à domicile relève bien de la marchandise, cet espace de déploiement de la marchandisation reste malgré tout confiné. Si les premières années suivant la mise en place du plan Borloo ont vu l’explosion de la création d’entreprises de services à la personne et de leur activité16, cette forte croissance doit être remise dans la perspective du faible poids que ces entreprises représentent dans l’activité en direction des personnes fragiles qui est le périmètre historique de définition de l’aide à domicile17.
La marchandisation au sens strict de l’aide à domicile reste donc limitée. C’est par un autre canal, celui de la transformation de la tarification administrée, que le levier de l’extension marchande est principalement activé.
Anne Le Roy, Enseignante chercheuse en Economie au CREG à l’UGA, Université Grenoble Alpes et Emmanuelle Puissant, Enseignante-chercheuse, Université Grenoble Alpes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.