A la fin des années 90, lorsque l’Internet s’est peu à peu imposé dans le monde, quelques pionniers ont compris tout l’intérêt que pouvait présenter ce support multimédia pour la diffusion de l’information journalistique.
En Lorraine, j’ai créé, avec une équipe pluridisciplinaire de rédacteurs, de photographes et de techniciens, le premier journal en ligne qui s’appelait, déjà, www.infodujour.com. Une équipe jeune et efficace dirigée par Jérôme Marchal.
D’emblée, nous avons voulu faire d’IDJ un vrai laboratoire du web journalisme et des médias numériques. Ecriture plus ramassée, titres plus percutants, sujets plus légers, dessins et photos plus osés. Car le web apparaissait dès cette époque comme un espace de grande liberté dans la forme et dans le fond des sujets traités.
De fait, le succès fut immédiat. Un papier bien senti sur tel ou tel élu de la Région faisait « le buzz » comme on dira plus tard.
Dans l’hémicycle du Conseil Régional de Lorraine, à Metz, on se passait de fauteuil en fauteuil, avec un sourire entendu, la photocopie d’un article à peine rédigé et mis en ligne à l’autre bout de la région sur un homme (ou une femme) politique que l’auteur avait méchamment égratigné.
Un ordi sur les genoux
Le 11 septembre 2001, quand des avions kamikazes ont percuté les tours jumelles du WTC à New York, les Français rentraient à peine de déjeuner et se remettaient au travail. L’info a vite circulé. Mais comment s’informer quand on est au bureau, devant son ordi, sans pouvoir allumer une télé ou une radio ?
En cherchant vite un site d’info sur la Toile, plusieurs milliers d’internautes ont trouvé infodujour.com. A l’autre bout, devant sa télé, un ordi portable sur les genoux, j’ai raconté ce que je voyais. Notre serveur a été rapidement saturé. Infodujour venait de s’imposer dans le paysage médiatique.
Il y aura d’autres papiers qui feront rire ou pleurer. Qui décocheront quelques flèches empoisonnées contre tel maire d’une grande commune du pays de Moselle qui se prenait pour Dieu-le-Père ou tel autre élu un peu timbré d’un village fleuri de Meurthe-et-Moselle qui n’hésita pas à porter plainte en diffamation contre IDJ. Pourquoi ? Parce que j’avais écrit que Monsieur le maire avait perdu sa moumoute lors d’une violente querelle de voisinage laissant apparaître en public son crâne dégarni.
En premier ressort, un magistrat mal luné a cru bon d’allouer à l’édile 50.000 francs de dommages et intérêts. Mais en appel, d’autres magistrats un peu mieux lunés, et sans doute mieux avertis de la loi sur la presse de 1881, ont renvoyé l’élu dans sa commune avec sa perruque sous le bras pour tout dédommagement de l’affront journalistique.
Un contre-pouvoir !
Telle fut la première aventure d’infodujour. Jusqu’en 2006. Mais il fallut se rendre à l’évidence : si le site rencontrait un bon succès d’audience, l’entreprise n’avait pas trouvé le modèle économique qui lui aurait permis de poursuivre l’expérience, de payer les journalistes et les techniciens. La pub n’était pas encore au rendez-vous du web. Et les abonnements pas encore d’actualité.
La mort dans l’âme, Jérôme et moi-même avons pris la décision d’arrêter. En nous promettant de reprendre cette belle aventure lorsque les circonstances le permettraient.
Dix ans plus tard, revoilà infodujour.fr. Chacun a apporté sa pierre : Francis Beurrier, photographe, infographiste et webmaster, Jean-Marc Humbert, ingénieur informatique, Julien Marchand patron de la société Iouston a conçu et mis le site en orbite, Grégory Ambroise, spécialiste du référencement sur le net et les réseaux sociaux et Patrice Dupont, informaticien qui a mis en place l’application mobile.
Une nouvelle équipe donc, un nouveau site, une appli mobile et toujours la même volonté de raconter le monde sans fard, sans contrainte, sans tabou.
La presse est un contre-pouvoir. Un pilier de la démocratie. Elle en tire sa légitimité. Elle a le devoir de s’opposer à tout ce qui trahit l’intérêt général, qui berne les plus faibles, qui mystifie le sens commun. Parce que la presse est, d’une certaine façon, la voix de l’opinion publique qui s’exprime à travers elle.
C’est ainsi, en tout cas, que nous concevons notre métier de journaliste. Un métier qui nous autorise à parler d’égal à égal avec des élus, avec les riches, avec les puissants. Sans faire de courbettes. Sans compromission. En dénonçant, quand il le faut, les bassesses, les mesquineries, les turpitudes des uns et des autres. Au risque d’un procès.
Et au nom d’une certaine idée de la liberté de la presse.
Marcel GAY