Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine
Il y a un an, le 16 octobre 2016, afin de se différencier de François Hollande, Emmanuel Macron se définissait comme « jupitérien » dans une interview au magazine Challenges :
« La France a besoin d’un Président jupitérien. Je ne crois pas au Président normal. Les Français n’attendent pas cela. »
Qu’en est-il un an plus tard ? Macron est-il un Président anormal ?
La stratégie de Jupiter
Par sa référence à Jupiter, Emmanuel Macron renvoie intentionnellement à la mythologie gréco-romaine. Jupiter, ou Zeus pour les Grecs, est le maître des dieux, régnant depuis son palais, perché au sommet du mont Olympe. De là-haut, il veille sur le monde, tels un père et un sauveur. Voilà ce que Macron aspire à devenir. En un mot : un chef, dans le sens étymologique du terme qui provient du latin caput et veut dire « tête ». La tête, au sommet du corps social, qui pense et prend les décisions, supposées être les bonnes, pour l’ensemble des membres, vus comme inférieurs. Macron veut restaurer à son profit la hiérarchie et la verticalité du pouvoir.
Mais il ne suffit pas de se proclamer chef, encore faut-il parvenir à se hisser jusqu’au sommet.
Macron commence par créer « En Marche », en avril 2016, un parti structuré de manière très « jupitérienne » : non un parti traditionnel, mais un mouvement formé autour du chef, ou plutôt « sous » lui ; un parti dont le nom reprend à dessein les initiales du leader, un édifice pyramidal créé uniquement pour servir son ambition de conquête du pouvoir.
Le deuxième acte de cette stratégie jupitérienne sera l’éviction de François Hollande, qui est pourtant le mentor de Macron. C’est Hollande qui a permis la naissance politique de son successeur en lui offrant le ministère de l’Économie en 2014. Dans la mythologie grecque, Jupiter devient le roi des dieux après avoir mis à l’écart son géniteur, Saturne. Jupiter expulse son prédécesseur du haut de l’Olympe, en le jetant dans les profondeurs du monde souterrain ; Macron déclare sa candidature à l’élection présidentielle, bousculant sans ménagement Hollande, déjà moribond politiquement, mais qu’il va contribuer à enterrer définitivement.
Fait unique dans l’histoire de la Ve République, le Président sortant doit renoncer à se représenter pour échapper à une ultime humiliation. Macron-Jupiter a précipité la chute de son père en politique. Mais il n’a pas encore conquis son trône.
Faire rêver ses électeurs
La campagne du candidat ressemble à une vaste opération de séduction, facilitée par son âge – 39 ans à peine –, ce qui le rend assez crédible dans le rôle qu’il s’attribue de régénérateur de la vie politique française. Il va chercher à enchanter ses électeurs, au moyen de discours bien appris et parfaitement interprétés. Ainsi lance-t-il à son auditoire électrisé, lors d’un meeting à Lille en janvier 2017 :
Que ceux qui pensent que nous sommes des rêveurs soient rassurés, nous le sommes ! »
Bientôt la chance vient épauler l’efficacité théâtrale du discours : l’affaire « Pénélope » neutralise François Fillon, seul concurrent sérieux, ouvrant à Macron la voie jusqu’à l’Élysée. Un an et un mois après la création d’En Marche, Macron devient le huitième président de la Ve République. Un exploit, et un exemple d’autoproduction ultrarapide pour un leader que personne n’attendait. En cela, Macron est comparable à Trump, lui aussi totalement inattendu et sans grande expérience politique avant son élection.
Le charisme et l’image du chef
Lorsqu’il accède au sommet de l’État, en mai 2017, le nouveau Président se lance dans une stratégie postélectorale d’affirmation de son leadership. Ce qu’on appelle communément « charisme », cette qualité qui serait propre aux meneurs d’hommes, n’a rien de naturelle. Aucun chef n’est charismatique en lui-même ; il ne l’est que dans le regard de ceux qui l’admirent. Le charisme vient de l’extérieur, des militants, de l’opinion publique que le chef façonne comme le boulanger travaille la pâte à pain.
L’objectif du leader est de faire croire qu’il possède des qualités supérieures. Il y parvient notamment par la mise en scène de son pouvoir (au cours de cérémonies bien orchestrées) et par la maîtrise de son image (sculpture et peinture dans le passé, films et photos aujourd’hui).
Dans les mois suivant son élection, Macron va produire un nombre considérable d’images : le Président en uniforme de pilote de chasse, le Président en tenue de la marine nationale, le Président jouant au foot ou au tennis…
Il se montre tout à la fois guerrier, sportif et soucieux de la défense du territoire. Une imagerie on ne peut plus traditionnelle, aussi ancienne que les chefs eux-mêmes, nés en Mésopotamie et en Égypte, il y a 5 000 ans.
Et puis, il y eut la photo officielle, à ne surtout pas rater. Macron figure au centre d’une composition parfaitement calculée ; au milieu du cadrage très serré, le corps du Président fait figure à la fois de pilier et de voûte. Symboliquement, Macron s’oppose encore à Hollande, dont les bras ballants semblaient préfigurer une présidence sans puissance.
Ridicule ou majesté ?
Macron s’affiche aussi aux côtés des autres leaders du moment, Poutine et Trump, invités en des lieux prestigieux et symboliques de la grandeur nationale : Versailles, les Champs-Élysées, les Invalides… Il parvient à s’emparer de tous les attributs du pouvoir, avec une rapidité et une efficacité aussi surprenantes que son élection.
Même la mise à l’écart du chef d’état-major des armées, en juillet 2017, parfois présentée comme un faux pas, inscrit Macron dans la hiérarchie traditionnelle : l’armée est au service du pouvoir politique, non l’inverse. Un empereur romain n’aurait pas agi différemment, si ce n’est que la mise à l’écart aurait été plus brutale encore.
Mais le flot de représentations du nouveau Président énerve parfois : n’en fait-il pas trop ?
Ne frise-t-il pas l’indécence ? En fait, il n’y a pas de grande différence entre le ridicule et la majesté, ni entre la démesure et le charisme, seulement une question de perception. À charge pour le chef de faire croire que le costume du sacre n’est pas un déguisement.
Il y a toujours eu quelques moqueurs pour trouver ridicule la perruque ou les chaussures à talons de Louis XIV, mais la majorité des hommes, comme l’écrivait Machiavel dans Le Prince, ne jugent que sur l’apparence.
Les qualités exceptionnelles du chef
Le numéro de L’Express du 4 au 10 octobre 2017 est en grande partie consacré à l’examen des qualités hors norme d’Emmanuel Macron. On y apprend que le président ne dort que quatre heures par nuit ; le reste du temps (soit 20 heures sur 24), il travaille ! Un scientifique explique que cette capacité n’est pas donnée à tout le monde, mais à seulement 1 % de la population. « Ils doivent cette particularité à leurs gènes », explique le professeur. Une sorte de storytelling laissant entendre que Macron était prédestiné à devenir chef ?
Quelques pages plus loin, le lecteur découvre les qualités, intellectuelles cette fois, de Macron, brillant jeune homme, repéré à 22 ans par le grand philosophe Paul Ricœur qui l’engage alors comme assistant. Des capacités exceptionnelles et un destin exceptionnel…
Le chef n’est pas vu comme un homme normal. On attend de lui une habileté et des qualités censées le distinguer des autres. Xénophon, chef militaire et penseur grec, écrivait, dans la Cyropédie :
« Un chef et un simple soldat ne sont pas affectés de la même façon par les mêmes fatigues. »
Exactement ce que suggère l’éditorial de L’Express à propos du Président Macron.
Christian-Georges Schwentzel a publié « La Fabrique des Chefs, d’Akhenaton à Donald Trump », éditions Vendémiaire.
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.