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Félix Moati : « J’ai très peur de l’esprit de sérieux »

« Deux fils », son premier long-métrage en tant que réalisateur, est une tendre histoire de mecs, avec Benoît Poelvoorde et Vincent Lacoste.

Floc'h a dessiné l'affiche du film : "Il s'est complètement approprié le film aves son dessin", estime Félix Moati.
Floc’h a dessiné l’affiche du film : « Il s’est complètement approprié le film avec son dessin », estime Félix Moati.

« Trop petit », dit-il, en entrant debout dans le cercueil, destiné à son frère défunt. C’est la première scène de « Deux fils » (sortie le 13 février), le premier long-métrage réalisé par Félix Moati, et elle donne le ton de cette histoire, en faisant sourire d’un drame. L’homme qui entre dans le cercueil est joué par Benoît Poelvoorde, un ancien médecin qui a abandonné son cabinet pour écrire ; il vit avec ses deux fils, Joachim et Ivan, interprétés par Vincent Lacoste et le jeune Mathieu Capella, formidable de naturel pour son tout premier rôle.

« Mon frère est une loque, mon père est malade », constate Ivan, le plus jeune mais le plus adulte des trois, qui est amoureux d’une fille qui ne veut pas de lui. Entre un grand frère étudiant qui n’a pas terminé ni même commencé sa thèse, et un père sans talent qui se fantasme écrivain, le gamin de 13 ans n’a plus envie de faire partie de cette « famille de bons à rien » ; quitte à se réfugier dans la foi, le latin, ou l’alcool.

Sur l’affiche du film dessinée par Floc’h, les trois se donnent la main, le père apparait plus petit entre ses deux fils : « Je suis très admiratif du travail de Floc’h, j’adore ce qu’il fait, il s’est complètement approprié le film avec son dessin, c’est très judicieux, c’est très beau cette idée que les enfants à un moment donné de leur vie deviennent les épaules du père », confie Félix Moati.

L’acteur était passé à la réalisation avec un court-métrage, « Après Suzanne », et l’on retrouve Suzanne, une absente, l’ex-amoureuse du frère aîné dans « Deux fils », une tragicomédie, au ton à la fois grave et léger, une tendre histoire de mecs, emballée avec le jazz du groupe Limousine. « Pour ne pas embarrasser les spectateurs avec trop de gravité, je leur ai demandé une musique malicieuse, chaleureuse, enveloppante, nocturne, je trouvais que leur sonorité collait parfaitement », confiait Félix Moati, lors de l’avant-première de son film au Caméo, à Nancy. Interview.

« Tous les personnages sont des fragments de moi-même »

Il y a une expression que vous utilisez pour Vincent Lacoste, mais qui va bien avec votre film, c’est « mélancolie joyeuse »…

Félix Moati : C’est vrai que ça s’applique très fortement à Vincent Lacoste et à tous les personnages du film. En fait, j’ai très peur de l’esprit de sérieux en règle générale, j’ai très peur de la mélancolie qui se regarde, j’aime bien les gens qui font le constat de leur mélancolie mais qui essayent de sortir d’eux-mêmes. La comédie est une bonne manière de sortir de soi-même et de faire contempler sa propre plainte. Et puis la joie, ce n’est pas le bonheur, c’est un truc un peu plus événementiel, quelque chose de laborieux, qu’on travaille, c’est un sentiment auquel je suis attaché très fort, j’aime les films joyeux.

Le personnage joué par Vincent Lacoste, c’est un peu votre double ?

C’est vraiment en rencontrant Vincent Lacoste que j’ai eu l’envie de raconter une histoire pour lui, d’en faire une sorte d’alter ego de fiction, il m’a donné l’envie d’écrire. Mais j’espère que tous ces personnages sont des fragments de moi-même, c’est certain que j’aime me déguiser derrière Vincent Lacoste, c’est un truc auquel je suis attaché. En fait, la naissance de l’écriture du scénario vient vraiment de l’idée de faire dialoguer le souvenir du gamin fantasmé de treize ans que j’étais avec le jeune adulte que j’étais en train de devenir. Il y a vraiment des projections, des prolongations de moi dans tous ces personnages, on écrit avec ses craintes, avec ses désirs.

Le trio de votre film a parfois du mal à s’entendre et se comprendre, mais chez eux on se dit aussi qu’on s’aime…

Ils ne se le disent pas vraiment, ils sont aussi obligés d’aller se voler des secrets à travers les portes, pour comprendre ce que chacun pense l’un de l’autre, et surtout à quelle étape ils en sont de leur vie, il y a une ambivalence parce que ça donne aussi du comique de situation. C’est une entité qui se ressoude, qui ne l’est plus au début du film, on fait tous le constat d’un éclatement du lien, qu’il soit familial, social ou économique, on vit dans une société complètement fracturée et fragmentée, j’aimais bien partir d’un truc très intime, à échelle familiale, et comment on peut ressouder les liens, comment les bulles se recréent, de l’éclatement à la réunification. Ils ont accepté de savoir et comprendre qu’ils ont absolument besoin les uns des autres, ils pourront s’éloigner, ils sauront qu’ils peuvent revenir.

Félix Moati : « Je n’avais pas d’envie de cinéma avant de faire l’acteur ».
Félix Moati : « Je n’avais pas d’envie de cinéma avant de faire l’acteur ».

Le jeune frère est déçu par son grand frère qui ne fait rien de sa vie et par son père dans la dépression, vous pensez qu’on a besoin d’admirer quelqu’un ?

A cet âge-là, on demande aux autres d’être des modèles, la grande injustice c’est ensuite reprocher à nos modèles d’être des dieux. Grandir, peut-être, c’est accepter que nos pères, nos frères, sont des humains comme nous, à savoir totalement imparfaits, totalement fragiles, et totalement en chute. Après ça s’éclate, on dépasse la famille, on se trouve des figures tutélaires, des gens qui nous stimulent dans notre métier, ça peut être des gens qu’on n’a jamais rencontrés. Nanni Moretti, Woody Allen, Martin Scorsese, sont des figures tutélaires qui planent au-dessus de moi, qui font partie d’un musée imaginaire. Après, il y a mon frère, mon père, ma mère, ma sœur, qui sont des gens que j’admire profondément, mes amis, Vincent Lacoste c’est un mélange très équilibré de profonde amitié et de profonde admiration dans le travail. Michel Leclerc, avec qui j’ai fait « Télé-Gaucho », a aussi été quelqu’un de très intéressant pour moi, il m’a enseigné l’importance de la comédie.

« Le dialogue, la confusion entre les générations «

Pourquoi avez-vous choisi Yves Angelo (qui avait notamment réalisé « Les Âmes Grises ») pour être directeur de la photo de votre film ?

Comme le film parle aussi du passage de relais, du dialogue entre générations, et de la confusion entre les générations, j’avais envie que la manière de fabriquer le film soit cohérente avec le sujet. Donc, dans mon équipe de tournage, il y avait des très jeunes chefs de poste, de jeunes techniciens que j’avais croisé sur des plateaux, et des gens beaucoup plus expérimentés, comme Yves Angelo. Quand il y a une adéquation entre ce qu’on raconte et la manière de fabriquer le film, ça se ressent à l’écran. Il y avait aussi ma sœur qui est une accessoiriste très douée, très talentueuse, et mon frère qui n’a rien à voir avec le cinéma mais qui fait de très belles photos, je lui ai demandé d’être photographe de plateau. J’avais besoin de les sentir là, j’aime cette idée de bande et de clans, c’est un métier qui permet des rencontres.

« Deux fils » est votre premier long-métrage en tant que réalisateur, c’est une envie que vous aviez avant de commencer à faire l’acteur ?

Non, je n’avais pas d’envie de cinéma avant de faire l’acteur, c’est vraiment en arrivant sur le tournage de « LOL », mon premier film, que je me suis construis une cinéphilie, avant je n’y connaissais pas grand-chose. En voyant la camaraderie qu’il y avait sur le plateau, cet espace collectif, j’ai décidé de vouer ma vie à ce métier. Je me suis fait une cinéphilie assez tardive, et en voyant des films je me suis intéressé à ceux qui les fabriquaient.

Vous avez choisi de ne pas jouer pas dans votre film, mais vous conservez aussi l’envie d’être acteur ?

Oui, oui, j’ai envie de faire l’acteur parce qu’il y a un plaisir immense. De toute façon, je ne vois pas trop la différence entre le métier d’acteur et le métier de réalisateur ; à un moment donné, on arrive sur le plateau le jour J, et de toute façon on est au service de quelque chose de plus fort que nous, à savoir l’histoire que vous racontez, pour moi c’est le même métier. Le métier d’acteur, je prends un plaisir très réjouissant, très enfantin, et surtout j’adore regarder les gens qui fabriquent des films, donc en fait c’est le meilleur poste. J’ai fait beaucoup l’acteur depuis la fin de mon film, et je vais continuer à le faire dans les prochains mois.

Vous avez tourné dans un Paris « normal », de tous les jours, et pas une ville magnifiée, fantasmée, ni rendu glauque comme parfois au cinéma…

C’est un Paris vécu, un Paris où il y a toute ma mémoire affective, où j’ai eu mes premières amours, mes premiers chagrins, mes premières cuites… J’aime bien les cinéastes qui filment l’endroit où ils ont grandi, j’aime bien Desplechin quand il filme Roubaix, les frères Larrieu qui filment les Pyrénées, Woody Allen qui filme New York, c’est comme un pacte tacite avec les spectateurs. C’est quelque chose qui me touche, je trouve que ça se voit, c’est comme un socle de vérité pour y introduire du romanesque et de la fiction, ça me plaît beaucoup.

Qu’est-ce que vous retirez de la belle aventure du « Grand bain », le film de Gilles Lellouche dans lequel vous avez joué, qui a été un succès, et a en commun avec votre film d’être une histoire d’hommes fragiles ?

Il y a des thèmes en commun, le désir du collectif, le désir de sortir de sa solitude, et une vision de la masculinité qui n’est pas que montrer ses pectoraux, une masculinité qui accepte sa fragilité. J’en retire que quand on a une ambition de cinéma d’auteur mais de qualité, qu’il n’y a pas de mesquinerie, les gens ont envie de voir ça, en tant que spectateur j’ai envie de voir ça, on n’est pas obligé d’être putassier pour faire des succès, ça m’a donné vraiment confiance dans le cinéma français et dans le regard des spectateurs.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Deux fils », un film de Félix Moati, avec Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste et Mathieu Capella (sortie le 13 février).

Mathieu Capella joue le jeune fils, Benoît Poelvoorde le père, et Vincent Lacoste le fils aîné, un trio d’hommes fragiles.
Mathieu Capella joue le jeune fils, Benoît Poelvoorde le père, et Vincent Lacoste le fils aîné, un trio d’hommes fragiles.
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