« Comme dans la vie, je mélange drame et comédie dans mes films », confie le réalisateur Xabi Molia.
C’est bien sûr un titre ironique que celui du film de Xabi Molia, « Comme des rois » (sortie le 2 mai). Car ce ne sont même pas des princes de l’arnaque que les hommes de cette famille, où on est escrocs de père (Kad Merad) en fils (Kacey Mottet Klein). Même si le fiston n’a pas vraiment la vocation, et aurait plutôt celle de faire du théâtre, d’être acteur. La petite entreprise familiale connait la crise, les petites escroqueries et embrouilles ne suffisent plus à assurer le loyer de la petite tribu, menacée d’expulsion.
« On va se démerder », s’auto-convainc le père, baratineur, menteur, faux ramoneur, spécialiste du porte à porte, où il fourgue du Mouton Rotschild fabrication maison. « Comme des rois » est ainsi une tendre histoire de filiation et de paternité, un film très attachant, comme le sont les personnages interprétés par les deux acteurs principaux (Kad Merad et Kacey Mottet Klein). Rencontre avec le réalisateur Xabi Molia, lors de la présentation de « Comme des rois » en avant-première au Caméo à Nancy.
Votre intention avec ce film était de faire une comédie sociale ?
Xabi Molia : Je pense qu’on peut dire ça. L’envie c’était de revenir sur ce que j’avais pu faire dans mon premier film, « Huit fois debout » avec Julie Gayet et Denis Podalydès, j’avais tenté de parler de précarité mais sans tomber dans le misérabilisme. Dès qu’on s’empare d’un sujet social en France, le traitement habituel suit une certaine gravité, une certaine noirceur, alors qu’avec « Huit fois debout » j’avais envie de mettre de la fantaisie, de l’humour. Après mon deuxième film, « Les Conquérants », j’ai fait pour Arte un documentaire sur le rôle du football en banlieue, « Le terrain », et je suis allé une fois par semaine, pendant un an et demi, dans un quartier assez difficile de banlieue où j’étais en contact avec des adolescents de milieu très défavorisé. Et ça m’a plutôt conforté dans l’idée que même dans des situations de pauvreté, il n’y a pas forcément que de la désespérance, j’étais dans un milieu où il y avait de la tchatche, de l’énergie, des rêves, des ambitions, de l’humour, de l’autodérision, et cette expérience documentaire m’a conforté dans l’idée que si je mélange drame et comédie dans mes films, c’est parce que la vie elle-même mélange drame et comédie.
« Je voulais tourner dans une France intermédiaire »
Que ce soit par les personnages et les paysages, vous montrez dans ce film une France populaire qu’on voit finalement très peu dans le cinéma français…
Oui, je voulais tourner dans une France intermédiaire, qui est celle de toutes nos villes, ces grands ensembles, ces zones industrielles, ces hypermarchés, ces zones pavillonnaires… C’est notre France d’aujourd’hui, qui est une France qu’on reconnait tous, dont on a tous une certaine expérience, j’avais envie que ça se passe là. Et dans cette distance avec Paris aussi, la question de comment aller vivre à Paris quand on est un jeune homme. Je suis de Bayonne, je suis un provincial, et forcément ça fait écho à des expériences que j’ai pu avoir, Paris c’est loin, et la France dans laquelle on est c’est une France un peu anonyme. Aujourd’hui, quand vous avez envie de faire un film qui parle des quartiers populaires, vous vous heurtez à des préjugés, comme par exemple les gens qui sont dans la misère sont forcément des gens désespérés, ou un jeune homme des quartiers populaire ça ne rêve pas de monter sur les planches, un dealer c’est pas fleur bleue… Pour revenir à cette expérience que j’ai eue à Aubervilliers, j’ai eu le sentiment qu’il y avait toute la comédie humaine dans un quartier, j’ai voulu m’autoriser ça, et j’ai eu le sentiment de faire un pas de côté par rapport à des représentations traditionnelles de ce qu’on pense être la banlieue.
En le faisant participer à ses arnaques, finalement le père fait jouer la comédie à son fils Micka, il lui apprend à être un autre, c’est le même métier ?
Je suis fasciné par le métier de comédien, et je pense que j’ai fait un film sur ce que c’est que d’être comédien. Le père et le fils s’opposent, pour plein de raisons, mais il y a quand même un côté tel père tel fils. Micka veut exercer les mêmes talents que son père mais il veut le faire à un endroit où les règles du jeu sont claires, pour les comédiens et le public. La différence entre le comédien et l’escroc, c’est que l’escroc ne dit pas à son public qu’il joue, il transforme son spectateur en victime. Micka veut le faire à un endroit inoffensif pour son public, alors que son père est comédien mais aux dépens de ses spectateurs. A la fin, le regard du père sur le fils a complètement changé, il reconnait à son fils son droit à suivre son chemin. C’est aussi un film sur le regard, sur la manière dont un fils est regardé par son père, et dont un jeune homme apprend à se regarder.
« Kad Merad a une espèce de simplicité, de droiture »
Avec des combines pour la plupart assez foireuses, le père est en fait victime du modernisme, d’internet, du numérique ?
Oui, c’est un personnage anachronique. J’adore qu’on me raconte des histoires, donc je suis un pigeon, j’ai été plusieurs fois arnaqué, jamais de manière très grave. Ce qui m’a donné l’idée du film, c’est une arnaque dont j’ai été victime dans un train, je sentais venir l’arnaque d’un homme qui m’a raconté une histoire, mais il a dépensé beaucoup d’énergie pour vingt €uros, j’ai trouvé ça très artisanal comme manière de gagner sa vie, c’est encore dans un rapport de proximité, fait main, c’est comme ça qu’est apparue la figure de l’artisan arnaqueur. C’est anachronique parce qu’aujourd’hui, les arnaques, c’est sur internet qu’on gagne le plus d’argent. J’aimais bien aussi cette figure d’un homme qui ne se résout pas à changer, qui ne veut pas changer. J’ai voulu faire un film où on garde la tête hors de l’eau, la situation est dure mais il y a toujours un horizon optimiste, le père est toujours persuadé qu’il va se refaire, il y a une lumière.
C’est vraiment en le voyant dans la série « Baron Noir » que vous avez pensé à Kad Merad pour le rôle ?
Je ne connaissais pas du tout sa période Kad et Olivier, où il fait de l’humour très déconnant, très second degré. Pour moi Kad Merad, c’était quelqu’un qui était dans un cinéma très grand public, de comédies, mais quand je préparais le film, pour ce personnage qui est moralement très discutable, j’étais à la recherche d’un comédien qui avait une bonhomie, une sympathie. Kad a ça, une espèce de simplicité, de droiture, dans la manière d’incarner ses personnages ; dans « Baron Noir », il joue un type idéaliste, proche du peuple, et en même temps tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, mais il y a quelque chose de positif chez ce politicien parce que c’est le bon gars. Quand j’ai vu « Baron Noir », je me suis dit voilà un interprète qui a une chaleur humaine dont j’ai besoin ; avant d’être avec un escroc, il faut que vous soyez avec un père de famille qui veut qu’à la fin du mois sa famille ait un toit, c’est un type qui est là pour son clan. Kad Merad a gagné en densité, il y a une épaisseur d’humanité chez lui, en plus c’est vraiment un bon gars, un type simple, qui est dans un appétit par rapport au cinéma.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Comme des rois », un film de Xabi Molia, avec Kad Merad et Kacey Mottet Klein (sortie le 2 mai).