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Sexe et virginité : aux origines d’un fantasme masculin

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Diane et Acteon, par Giuseppe Cesari.
Musée du Louvre

Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

Dans son dernier livre, Sexe et mensonge : la vie sexuelle au Maroc, paru en septembre 2017, Leïla Slimani souligne l’importance que revêt la virginité dans la société marocaine, tandis que les progrès techniques permettent aujourd’hui à des filles de redevenir artificiellement vierges. Quelle est l’origine du tabou de la virginité féminine ? S’agit-il seulement de contrôler les naissances ou bien d’assouvir aussi, par la même occasion, un désir masculin de domination sexuelle ?

Le « jardin verrouillé »

Dans les sociétés patriarcales de l’Antiquité, la virginité est perçue comme une question essentiellement féminine.

Au début du VIe siècle av. J.-C., le législateur Solon encourage les jeunes Athéniens à se rendre dans des bordels afin de se déniaiser, dès leurs premières pulsions adolescentes. Dans les cités antiques, la prostitution d’esclaves offrait aux hommes de tous âges des services sexuels réguliers et bon marché.

Par contre, pour la femme « libre », c’est-à-dire fille et épouse de citoyen, il y avait un avant et un après : la perte de la virginité était illustrée par l’éclatement de l’hymen, cette membrane qui obstrue en partie l’entrée du vagin. Les médecins grecs n’en avaient qu’une connaissance imprécise : l’hymen était le nom qu’ils avaient donné à la membrane, parfois au vagin dans son ensemble vu comme une membrane, que le mari devait déchirer lors de sa nuit de noces. Alors que la fille était conduite à son époux, ses proches entonnaient un chant appelé « hyménée », un mot devenu synonyme de mariage. La rupture de la membrane symbolisait la transformation de la fille vierge en une femme mariée dont l’horizon serait désormais la maternité.

Cette valorisation de la virginité de la fiancée était motivée par le souci du mari d’authentifier sa descendance. Pour les Hébreux, la fille, avant son mariage, est comparée à un « jardin verrouillé » (Cantique des Cantiques, 4, 12). Dans les sociétés patriarcales, on veut savoir qui est le père d’un enfant, sans quoi il ne peut être reconnu comme légitime.

Mais cette raison sociale n’est que la partie émergée du fantasme : l’explication vue comme normale, justifiant le contrôle des femmes, voire leur enfermement à l’intérieur du domicile du père puis de l’époux.

Un fantasme de domination masculine

La virginité sert aussi d’excitant sexuel pour les hommes. Le mari se plaît à penser qu’il pénètre une femme qui n’a jamais connu aucun autre homme, et n’en connaîtra aucun autre. Il tire de son épouse une jouissance accrue par l’idée qu’il la domine pleinement, d’autant plus qu’il est plus âgé et expérimenté qu’elle. En Grèce antique, l’époux a la trentaine, tandis que la vierge qui lui est offerte n’est guère âgée que de quinze ou seize ans.

Il est frappant de constater que cette dimension sexuelle de la virginité n’a pas disparu au XXIe siècle. En avril 2017, une jeune Roumaine de 18 ans a vendu aux enchères sa virginité pour 2,3 millions d’euros à un homme d’affaires de Hongkong. Depuis, d’autres filles auraient suivi son exemple.

Les acheteurs d’hymens ne sont évidemment pas soucieux de filiation, mais uniquement de la réalisation de leurs fantasmes sexuels. Ces faits traduisent la permanence d’une fétichisation de l’hymen.

Virginité retrouvée

Dans la mythologie grecque, la déesse de l’amour, Aphrodite, trompe son époux Héphaïstos avec Arès, dieu de la guerre. Surprise par son mari, elle retrouve sa pureté en prenant un bain à Paphos, dans l’île de Chypre. Une manière de remettre le compteur à zéro, avant de nouvelles aventures.

Aujourd’hui, ce fantasme peut être réalisé grâce aux progrès de la science.

Après avoir couché avec de nombreux amants, Paris Hilton proclame qu’elle subira une opération chirurgicale, pour reconstituer son hymen avant son mariage. Elle pourra ainsi offrir sa seconde virginité à celui qu’elle aura épousé, lors de sa nuit de noces. L’intervention, appelée hyménoplastie, est également pratiquée dans des cliniques marocaines, mais de manière plus discrète.

Artémis, déesse de la chasse, dite « Diane de Versailles »,
2ᵉ siècle après J.-C., d’après un original grec vers 330 avant J.-C.

Musée du Louvre/Thierry Ollivier

Déesses vierges et pucelles protectrices

On rencontre deux types de déesses dans la mythologie : les vierges et les femmes mariées. Les divinités de la première catégorie ont fait vœu de célibat ; elles sont farouches et indomptables, parfois cruelles. Athéna dite Parthénos – qui signifie « Vierge » – repousse avec force et dégoût les assauts d’Héphaïstos qui tente de la violer. Artémis châtie sans pitié les voyeurs, comme le montre l’histoire du chasseur Actéon, puni pour être accidentellement tombé nez à nez avec la déesse, alors qu’elle prenait un bain, nue, au milieu de la nature. Le pauvre homme fut métamorphosé en cerf, ce qui lui valut d’être aussitôt mis à mort par ses propres chiens.

Les Grecs ont fait de ces déesses indomptées des figures tutélaires. Athéna est la patronne d’Athènes et d’autres cités antiques. Artémis protège les jeunes filles. La protection est ainsi confiée à des pucelles. Ces femmes, privées de toute fonction reproductive, sont censées pouvoir se consacrer pleinement à la défense de leurs protégés. Elles incarnent la liberté face à toute domination extérieure.

On comprend la symbolique de l’héroïne nationale, sainte ou déesse, avec ses variantes d’un peuple et d’une époque à l’autre. Les sociétés patriarcales ont trouvé logique de confier leur protection symbolique à des puissances féminines vierges.

Athéna dite Promachos, ce qui signifie « Première au combat », casquée et armée, mène les soldats de la Cité. Elle leur apporte la victoire. Après les guerres médiques, au Ve siècle av. J.-C., les Athéniens célèbrent leur patronne, qui les a sauvés de la domination perse. Un temple est édifié en l’honneur de la déesse surnommée Niké, « Victoire », non loin du Parthénon, le sanctuaire consacré à Athéna « Vierge » (Parthénos).

On retrouve la figure de la vierge combattante depuis la mythologie nordique (les Valkyries) jusqu’en Chine (Mulan). Dans l’Occident chrétien, le personnage est réactualisé par Geneviève de Paris, qui repousse les Huns, puis par Jeanne d’Arc, version française de la pucelle guerrière.

Amazone blessée, par Franz Stuck, 1903.
Wikimedia Commons

La vierge sexy

Depuis les travaux de Freud, nous savons qu’un fantasme est rarement univoque : il présente deux facettes apparemment contradictoires, comme le sexe et la mort, ou l’amour et la guerre. De la même manière, la figure de la vierge combattante revêt une dimension érotique. Athéna et Artémis suscitent une forte émotion sexuelle. Les Grecs imaginent Artémis sous les traits d’une fille sportive, court vêtue, bondissant avec son arc et ses flèches au milieu des vallons et des forêts. Lorsqu’il aperçoit la belle Athéna, dans sa tenue guerrière, le dieu Héphaïstos est pris d’une érection subite ; il se jette sur la vierge et éjacule sur son genou.

Plus près de nous, Britney Spears exploita le filon de la prétendue vierge sexy, dans un but commercial : alors que ses clips montraient une lycéenne délurée, la chanteuse vantait dans la presse son ferme attachement à la virginité avant le mariage.

L’Amazone dévirginisée

The ConversationLes Grecs ont aussi inventé le mythe des Amazones, peuple de femmes guerrières, dont les images, dans la peinture et la sculpture, reprennent les caractéristiques d’Athéna ou d’Artémis : casques, armes, jambes nues… Mais, cette fois, les guerrières ne sont pas intouchables. Les Amazones vivent vierges et farouches, sur la rive orientale de la mer Noire, jusqu’à l’arrivée de héros grecs, virils, qui débarquent chez elles. Aussitôt séduite par les muscles d’Héraclès, la reine Hippolyté lui offre sa ceinture, en même temps que l’accès à son vagin. L’Amazone Antiope se soumet d’elle-même à Thésée qui l’emmène en Grèce comme un trophée de sa victoire. Plus tard, il se débarrassera d’elle sans ménagement, pour épouser Phèdre. Une fois dévirginisée, l’Amazone perd tout intérêt. Le mythe phallocratique par excellence !

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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