Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Question d’économie politique : pourquoi certains pays raflent la mise au JO ?

Pierre Rondeau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

JO de Londres en 2012
JO de Londres en 2012 (Photo credit: Citizen59 via Visual Hunt / CC BY-SA)

Qu’est-ce qui détermine la force sportive d’une nation aux Jeux olympiques ? Pourquoi tel ou tel pays semble bien plus fort que d’autres et domine allégrement la compétition ? Qu’est-ce qui explique que la Russie, la Chine ou les États-Unis apparaissent comme des monstres de réussite au moment des Olympiades ?

La science économique a, depuis longtemps, essayé de déterminer les variables explicatives des performances sportives. Déjà, en 1972, l’économiste américain D.W. Ball avait tenté de pronostiquer la réussite aux Jeux olympiques d’été de Munich et aux Jeux d’hiver de Sapporo, au Japon, à partir du PIB par habitant. Il avait repéré 21 indicateurs, comme la culture et l’expérience sportive, les conditions d’existence, le degré d’interventionnisme étatique ou la puissance démographique, mais avait montré que le PIB par habitant était capable, à lui seul, d’expliquer 40 % des résultats finaux aux Jeux olympiques.

« En fait, une population plus riche a généralement davantage de temps et de ressources à octroyer aux loisirs, ce qui favorise la pratique sportive de la population et donc l’émergence d’athlètes de haut niveau. D’autre part, un PIB par habitant plus élevé signifie une population plus riche disposant de plus de moyens pour investir dans les infrastructures coûteuses nécessaires à la pratique sportive. De plus, elle aura ensuite les moyens de les entretenir, d’encourager sa population à la pratique du sport et d’acquérir les entraîneurs et les infrastructures de pointe nécessaires pour que son équipe nationale puisse être concurrentielle sur la scène internationale ».

Ainsi, un pays riche devrait avoir une chance significative de performer aux olympiades brésiliennes. Pourtant, d’après le FMI, les cinq premiers pays au classement du PIB par habitant sont le Qatar, le Luxembourg, Singapour, Brunei et le Koweït, pas vraiment des puissances sportives.

En 1974, l’Américain Ned Levine reprend les travaux de Ball, concernant la variable économique, pour les critiquer et les remettre en cause. Dans son article « Why do countries win Olympic medals ? », il admet que le PIB par habitant est un bon indicateur, mais qu’il n’est pas suffisant. D’après lui, il serait préférable de se fier à des variables directes comme la part consacrée au sport et la proportion du produit intérieur brut affecté aux sportifs avant, pendant et après les olympiades.

L’importance du politique

D’autres auteurs vont le suivre et intégrer des éléments plus pertinents empiriquement, comme le poids de l’interventionnisme et le système politique. En 2008, avant les JO de Pékin, les économistes Madeline et Wladimir Andreff et Sandrine Poupaux ont construit un algorithme constitué d’une trentaine de variables socio-économiques permettant de prédire le nombre de médailles glanées par l’ensemble des pays participants. De plus, là où leur modèle est intéressant c’est qu’ils l’ont testé sur les jeux précédents, en remontant jusqu’à Montréal, en 1976, et ont déterminé l’importance de chaque variable. Ils en arrivent à une efficience proche des 90 %, autrement dit, leur modèle est capable de prédire 9 médailles sur 10 gagnées (ils avaient notamment prévu 40 médailles pour la France qui en a finalement obtenu 41).

Celui-ci intègre essentiellement des variables économiques (le PIB par habitant, le budget du ministère des sports, l’importance consacrée aux dépenses sportives, etc.), des variables démographiques (la taille de la population, la proportion de jeunes, etc.), des variables sociales (la culture sportive, l’audimat pendant les JO précédents, etc.), mais aussi politiques. Andreff et Poupaux ont en effet constaté que selon le régime politique imposé dans le pays, les résultats sportifs différaient du tout au rien. Entre les années 1970 et 1990, à l’époque de la guerre froide, les systèmes communistes, en URSS et dans le bloc Est, disposaient d’un avantage concurrentiel significatif et optimisaient leurs performances sportives.

« Le soutien public accordé au sport garantissait des résultats pérennes et conséquents, qui allaient au-delà des estimations purement économiques ».

À l’inverse, des pays riches, démocratiques et en faveur d’une redistribution équitable et non-discriminante vis-à-vis de la population non-sportive obtenaient, toutes choses égales par ailleurs, des résultats plus faibles. « L’essentiel passerait donc par l’action publique », concluent alors les auteurs de l’article. Leur analyse a ensuite été soutenue et validée par l’approche économétrique développée par les Canadiens Paul Blais-Morisset, Vincent Boucher et Bernard Fortin. Ces derniers ont construit une estimation probabiliste des médailles aux JO de Londres, en 2014, et ont déterminé les facteurs les plus significatifs à la réussite.

Dépenser : le secret de la victoire

D’après eux, c’est l’action de l’État qui reste l’élément moteur.

« Selon les spécifications du modèle retenues, un pays aux caractéristiques moyennes aurait dû accroître son investissement public de 72 millions de dollar afin d’obtenir une médaille supplémentaire aux JO d’été de Londres ».

C’est la maxime « dépenser plus pour gagner plus » : un pays devrait soutenir financièrement ses sportifs afin d’avoir la garantie, quelles que soient ses dispositions économiques, sociales et démographiques, de briller sportivement. D’ailleurs, certains continuent à dépenser des sommes faramineuses pour leurs équipes. Par exemple, le Royaume-Uni a déboursé 340 millions d’euros lors des JO de Londres, et investit encore plus pour 2016 dans l’espoir de remporter autant de médailles d’or. Les contribuables britanniques paient aujourd’hui quatre fois plus pour leurs sportifs olympiques que pour l’éducation physique à l’école. Tout comme l’Australie, un pays qui ne représente qu’un tiers de la population du Royaume-Uni, mais qui a dépensé 240 millions d’euros en faveur de ses sportifs en 2012. Quant à la France, son budget, en 2012, était de 248 millions d’euros pour 35 médailles, dont 11 en or. À Rio, on estime que ses dépenses sportives vont augmenter d’au moins 10 % avec l’espoir de rester dans le top 10.

Aux Jeux olympiques, contrairement à la coupe du monde de football ou à l’Euro, il y a 35 disciplines. Donc autant de chance de se rattraper en cas d’échec quelque part. La glorieuse incertitude disparaît au profit du nombre, de la répétition. Alors qu’à l’Euro, aucun modèle prédictif n’avait été capable de pronostiquer une victoire du Portugal, les algorithmes socio-politico-économiques des JO ont une efficience supérieure à 90 %. L’économiste Wladimir Andreff explique :

« C’est très simple, si vous perdez dans un sport, vous vous rattrapez dans un autre. […] Chaque favori éliminé laisse la place à la victoire d’un outsider, les choses se rééquilibrent naturellement. Contrairement au football, où les estimations sont bien plus compliquées et difficiles à mettre en place ».

Une révélation du dopage

Dans le foot, l’action de l’État reste une variable faible, peu significative. La Chine, par exemple, met en place depuis quelques années une politique interventionniste très importante en faveur du ballon rond, sans pour autant obtenir des résultats conséquents et intéressants.

À l’inverse, dans une compétition multisport, comme les JO, l’interventionnisme public reste le facteur numéro 1. Et même parfois plus que ce que le modèle prédit. Interrogé sur le sujet, Andreff précise qu’il a appliqué son algorithme aux JO d’hiver de Sotchi et a pronostiqué un total de 24 médailles en faveur de la Russie, en intégrant notamment le fait qu’il s’agissait du pays organisateur. Le résultat est sans équivoque : 33 médailles gagnées, dont 13 en or.

« La différence est de 37.5 % soit un écart bien plus important que la marge d’erreur moyenne. Le score des Russes ne correspond pas à la réalité. Une variable inobservée, indéterminée, est venue interférer sur les résultats. Devinez laquelle… » remarque Andreff.

La dépense publique peut bien évidemment être consacrée aux investissements structurels et sportifs, mais aussi en faveur d’une généralisation contrôlée du dopage. Les Russes ont sur-performé et cela n’est pas, économétriquement parlant, naturel. Les modèles prédictifs permettent ici de démontrer des cas de tricherie sans passer par la case détection et contrôle. C’est une sur-représentativité de l’appareil politique associée à une sur-performance sportive qui révéleraient ces cas de dopage. Il serait donc intéressant, dorénavant, de développer cette méthode plutôt que de ne miser que sur les pronostics.

The Conversation

Pierre Rondeau, Professeur d’économie et doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation

Monde