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2016, année de transformation du sport paralympique

Flavien Bouttet, Université de Strasbourg

Rugby-en-fauteuil roulant
Rugby en fauteuil roulant (commons.wikimedia.org)

Tous les quatre ans, c’est le même refrain. Entre les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques, les anneaux sont retirés et remplacés par les agitos. Si le phénomène suscite souvent l’interrogation du public, il est défendu par les organisateurs des deux événements et symbolise la volonté de normalisation du Comité international paralympique (CIP) vis-à-vis de son homologue – le Comité international olympique (CIO).

Fondé en 1989 comme une fédération internationale du sport pour les personnes handicapées motrices, le CIP se transforme au fil des années en institution gestionnaire d’événements et vendeuse de spectacles sportifs, avec le souhait de faire des Jeux paralympiques le deuxième plus grand événement sportif planétaire. En conséquence, il délaisse peu à peu son rôle d’organisateur des disciplines et rappelle dans ses publications la nécessité de « promouvoir l’autogouvernance de chaque sport paralympique » soit de manière indépendante (par exemple la Fédération internationale de basketball en fauteuil roulant), soit au sein d’une fédération internationale disciplinaire (par exemple la Fédération internationale de canoë). Les nouvelles disciplines intégrées à Rio au programme paralympique répondent d’ailleurs à cette condition.

Des répercussions sur l’organisation du sport français

En France, deux fédérations spécifiques organisent depuis plusieurs décennies les compétitions sportives des personnes handicapées : la Fédération française handisport (FFH) et la Fédération française du sport adapté (FFSA). Régi par un système de délégation de service public attribuée par le ministère des Sports, ce mode d’organisation rentre en tension avec les transformations internationales à deux niveaux.

En premier lieu, les fédérations internationales disciplinaires exigent n’avoir qu’un seul interlocuteur par pays (la fédération organisant la discipline) et refusent donc de communiquer avec les fédérations spécifiques. Ensuite, certaines fédérations internationales intègrent les résultats des compétitions pour personnes handicapées dans leurs classements généraux des pays. Ainsi, des mauvaises relations interfédérales et/ou le choix des fédérations spécifiques de ne pas organiser une pratique de haut niveau pour certains sports peuvent écarter certaines fédérations disciplinaires de la scène mondiale.

Les agitos à Londres en 2012.
Flavien Bouttet

Dans ce contexte, et alors que l’organisation des pratiques compétitives est menée par les fédérations disciplinaires dans certains pays comme l’Angleterre ou le Canada, le système français a vivement été remis en cause en 2012, année des Jeux de Londres. En parallèle de certaines fédérations revendicatives telles que les fédérations françaises de canoë-kayak, de triathlon ou encore de rugby à XIII, le ministère des Sports crée cette année-là divers lieux d’échanges visant à donner des pistes d’évolution du système de délégation afin que certaines fédérations disciplinaires obtiennent plus de responsabilités dans l’organisation de la pratique des personnes handicapées. Si le ministère s’engage sur le sujet, c’est certes parce qu’on le lui demande et qu’il est le seul à pouvoir faire évoluer le système de délégation, mais aussi car ses dirigeants y voient des intérêts.

Lors d’entretiens, plusieurs agents du ministère insistent sur l’importance attachée par les dirigeants administratifs et politiques au classement des médailles – intérêt confirmant au passage l’usage de ce classement comme un outil de communication pour valoriser la prise en compte des personnes handicapées dans un pays. Le ministère a également l’objectif d’améliorer l’accessibilité et les opportunités de pratique pour l’ensemble des personnes handicapées. Un accroissement des responsabilités pour les fédérations disciplinaires pourrait alors entraîner un engagement plus grand, des moyens pour la formation des sportifs de haut niveau et une multiplication des actions pour l’ensemble des personnes.

Les jeux de Rio comme rupture ?

De leur côté, les fédérations spécifiques interrogent la nécessité de ces transformations. Rappelant régulièrement leur rôle historique dans la prise en compte des publics handicapés, les dirigeants de la FFH et de la FFSA évoquent les risques d’un transfert de responsabilités vers les fédérations disciplinaires. Elles mentionnent les lacunes de formation, un engagement qui serait partiel et centré sur les publics concernés par les Jeux paralympiques. Organisatrice de la pratique des personnes handicapées mentales et psychiques, la FFSA souligne notamment la moindre importance accordée parfois à l’encontre de ces publics. Ces fédérations soulignent aussi les possibles pertes de revenus en provenance des sponsors et du ministère des Sports si elles n’encadrent plus les sportifs paralympiques, et rappellent le besoin pour certaines personnes handicapées d’une pratique entre pairs dans un mouvement affinitaire.

Face à cette contestation, les délégations ont été maintenues en l’état à la fin de l’année 2012 (elles sont réattribuées tous les quatre ans). De nouvelles formes de conventions ont toutefois vu le jour au début de l’année 2013 pour l’organisation de certains sports, par exemple le canoë-kayak. Signées par la fédération disciplinaire, la Fédération française handisport et le ministère des Sports, ces conventions visent à une gestion des pratiques de haut niveau par la fédération disciplinaire et un développement conjoint de la pratique pour tous. Dans de nombreuses autres disciplines, un travail relationnel entre techniciens permet de développer d’autres formes de coopérations.

Le judo est l’une des disciplines dont l’organisation devrait être réinterrogée fin 2016.
Flavien Bouttet

Au fil des mois, l’approche des fédérations spécifiques évolue également avec la construction d’un double positionnement d’accompagnateur du développement de la pratique dans les fédérations disciplinaires et de défenseur d’un mouvement affinitaire. En quatre ans, les projets pour la pratique des personnes handicapées se sont alors multipliés, la formation des sportifs de haut niveau et la préparation aux Jeux paralympiques se sont renforcées. Certaines fédérations disciplinaires ont construit un rapport aux sportifs et une organisation de la pratique sur le modèle du sport valide et de la préparation aux Jeux olympiques.

Malgré ces évolutions, le maintien d’incohérences avec les institutions internationales et la remise en cause des délégations en fin d’année 2016 viennent logiquement replacer les hypothèses de transformation du système d’organisation de la pratique dans certains débats. Les agents du ministère mentionnent ainsi des discussions au niveau de leurs dirigeants et la possibilité tant d’un statu quo avec une augmentation des conventions, que d’un changement majeur au niveau de l’attribution des délégations. Il est alors pertinent de penser que les résultats des sportifs à Rio et leurs interprétations par les dirigeants du sport français participeront à ce choix, autant sportif que politique.

The Conversation

Flavien Bouttet, Docteur, équipe de recherche « sport et sciences sociales », Université de Strasbourg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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