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Comment la course à pied stimule notre intelligence

Vybarr Cregan-Reid, University of Kent

Marathon_&_course_à_pied
Le marathon (wikimedia.org)

Déjà dans la Rome et la Grèce antiques, des penseurs tels que Thalès et Juvénal voyaient un lien fort entre l’exercice physique et l’intelligence. Depuis une vingtaine d’années, l’adage « un esprit sain dans un corps sain » a gagné les neurosciences. De nombreuses études affirment que courir nous rend plus intelligents, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le processus, qui n’a rien de simple, révèle la complexité étonnante du corps humain et de son évolution. La science pourrait aider à expliquer le mécanisme à l’œuvre, mais une question importante subsiste : pourquoi la course stimule-t-elle notre intelligence ?

Une étude finlandaise publiée en février et une autre parue en juin dans Cell Metabolism nous ont permis de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la course et ses effets bénéfiques sur la mémoire et la cognition. Nous savions déjà que l’exercice physique déclenchait la neurogenèse (création de nouveaux neurones) dans l’hippocampe, la zone du cerveau responsable de la formation de la mémoire et de l’orientation spatiale.

Les neurones produits grâce à une activité physique intense sont issus des cellules souches en attente de différenciation. L’exercice physique ne génère donc aucune connaissance ; il vous donne simplement de meilleurs outils intellectuels et vous prépare à l’apprentissage, à condition que vous exploitiez ces nouvelles ressources. Si vous avez envie de profiter de cet avantage, pensez à dégager du temps pour l’exercice dans votre journée d’études ou de travail.

Les dernières études montrent néanmoins que tous les sports ne sont pas égaux : les chercheurs finlandais ont découvert que seuls certains types d’activité étaient susceptibles de faire naître de nouveaux neurones chez l’adulte.

Alan Turing, marathon man.
Guy Erwood/Shutterstock.com

Les exercices « cardiovasculaires et soutenus » ont prouvé leur efficacité, mais les chercheurs se sont aussi intéressés aux effets neurobiologiques de l’entraînement par intervalles à haute intensité (HIIT), une méthode qui connaît actuellement du succès, et aux exercices de résistance (musculation).

Or la méthode HIIT n’a donné que de très modestes résultats, et la musculation, aucun. Si la première pouvait avoir des effets limités sur vos capacités intellectuelles, il semblerait qu’aucun haltère ne vous aide à muscler votre cerveau. Les haltérophiles peuvent se vanter d’avoir Arnold Schwarzenegger dans leur camp, mais les coureurs ont Alan Turing, un génie des mathématiques capable de courir un marathon en 2h40. En tant que coureur de fond passionné, je m’abstiendrai de prendre position…

« L’engrais miracle du cerveau »

Depuis les années 1990, nous savons que l’activité physique favorise l’apprentissage, notamment parce qu’elle déclenche la production d’une protéine appelée facteur neurotrophique dérivé du cerveau (en anglais : BDNF, pour brain-derived neurotrophic factor), qui stimule le développement de nouveaux neurones et préserve les neurones existants. John Ratey, professeur de psychiatrie à Harvard, qualifie cette molécule d’« engrais miracle du cerveau ».

L’étude de Cell Metabolism s’est penchée sur la sécrétion de la cathepsine B (CTSB) durant la course à pied. En contribuant à l’expression du BDNF, cette protéine a des effets bénéfiques sur la cognition, car elle stimule la production de neurones dans l’hippocampe du cerveau adulte et améliore la mémoire spatiale.

La course scientifique dans ce domaine vient à peine de démarrer, et je suis sûr que d’autres études viendront expliquer notre attrait pour cette activité si simple et naturelle. Mais une question subsiste : qu’est-ce qui pousse notre corps à récompenser nos efforts par des capacités intellectuelles, une mémoire spatiale et une conscience aiguisées ?

Je pense que la réponse se trouve du côté de la sélection naturelle. L’évolution ne vise pas à nous maintenir en bonne santé ni à nous offrir une expérience agréable sur Terre, mais à nous garder en vie suffisamment longtemps pour que nous nous reproduisions. Une fois cette mission accomplie, la nature se soucie peu de notre bien-être. Partant de ce constat, que nous révèlent donc ces récompenses intellectuelles sur notre corps et nous-mêmes ?

Dépasser ses connaissances

Le genre Homo existe depuis près de 2 millions d’années, mais ce n’est que depuis quelques milliers d’années que nous savons lire, écrire, dresser des cartes, prendre des notes et documenter nos voyages. Pendant la majeure partie de l’histoire humaine, nous ne disposions pas des technologies nécessaires pour nous décharger de la difficile tâche de l’orientation sur un plan ou un GPS.

Enfant, le poète du XIXe siècle John Clare souhaitait marcher jusqu’à l’horizon pour y trouver de nouveaux mots. Il disait vouloir dépasser la limite de ses connaissances. Je vois dans ces découvertes scientifiques sur la course et l’amélioration des capacités intellectuelles un indice du besoin des chasseurs-cueilleurs de dépasser leurs propres limites cognitives.

John Clare a dépassé la limite de ses connaissances.
Wikimédia

Toutes les adaptations qui nous ont rendus capables de courir 10 km par temps chaud (debout sur deux jambes, en transpirant pour abaisser la température corporelle) nous permettent, malgré nos piètres performances au sprint, d’attraper presque n’importe quel animal en l’épuisant à la course. Cette technique, appelée chasse à l’épuisement, a longtemps été risquée pour l’homme car il devait poursuivre sa proie en s’aventurant en terrain inconnu. Encore incapable de créer une carte, il n’avait d’autre choix que de faire appel à ses capacités d’orientation pour ne pas se perdre. Ceux chez qui la course sur de longues distances a engendré une croissance neuronale étaient plus en mesure de retrouver leur tribu, et donc de survivre.

Les effets de la course d’endurance sur la création de neurones dans l’hippocampe et l’amélioration de la mémoire spatiale sont un filet de sécurité prévu par l’évolution pour les situations où l’on se retrouve hors de sa zone de connaissance, quand on ne sait plus où l’on est et que l’on doit apprendre vite. Ce mécanisme permet d’assimiler facilement les informations dans les moments où l’homme s’est longtemps senti épuisé, perdu et extrêmement vulnérable.

Alors, enfilez vos baskets et repoussez vos limites cognitives !

Traduit de l’anglais par Valeriya Macogon pour Fast for Word.

The Conversation

Vybarr Cregan-Reid, Author of ‘Footnotes: How Running Makes us Human’ (Ebury, 2016) & Reader in Nineteenth-Century Studies at the the University of Kent, University of Kent

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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