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Le sport ne guérit pas le cancer, mais il peut y aider

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Les études scientifiques montrent qu’une activité physique suffisamment régulière et bien dosée contribue à lutter efficacement contre le cancer.
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Gregory Ninot, Université de Montpellier

Le sport devient un atout pour lutter contre le cancer. Des associations proposent aux patients de pratiquer le karaté ou le tai-chi. Des centres spécialisés contre le cancer comme l’institut Curie organisent des cours collectifs de gymnastique ou d’endurance. Des sociétés montent des séances d’exercices en visioconférence, comme V@si. Et des fédérations sportives, par exemple celle du tennis, proposent des sessions spécifiques pour ce public.

Suivre un programme d’activité physique adaptée est l’une des nombreuses « médecines douces » auxquelles on peut recourir dans cette maladie, en complément des traitements. Son intérêt sera débattu lors du congrès scientifique sur l’efficacité des interventions non médicamenteuses dans le cancer, qui se tient le 23 mars à Montpellier, à l’initiative de la Plateforme CEPS.

Car aujourd’hui, tout se dit, tout s’écrit sur les bienfaits du sport contre le cancer – trop souvent sans arguments scientifiques suffisants. L’analyse des études disponibles permet pourtant aux patients de savoir quoi attendre de leur investissement. Si le sport ne guérit pas du cancer, certains programmes d’activité physique peuvent y aider – preuves à l’appui.

L’activité physique, longtemps considérée comme accessoire

Petit retour historique. Avant les années 1980, l’activité physique ne suscitait aucun intérêt de la part des professionnels en charge des cancers en France. Priorité était donnée aux traitements : chirurgies, radiothérapies et chimiothérapies – le reste était accessoire. Et ceci à juste titre, au regard des progrès qui avaient été réalisés dans le domaine.

Des hôpitaux spécialisés ont été créés dans les plus grandes villes, les Centres de Lutte Contre le Cancer (CLCC), pour répondre au flux croissant de patients dépistés de plus en plus précocement, et pour installer les plateaux techniques dans des locaux appropriés.

Entre 1980 et 2000, des équipes ont lancé les premières recherches cliniques, notamment au Canada et aux États-Unis. Un essai prospectif publié en 1999 par un scientifique américain a montré par exemple une amélioration de la qualité de vie de 27 patientes traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein, grâce à un programme d’activité physique de huit semaines réalisé à domicile.

Des premières études dans le cancer du sein surtout

La plupart des études disponibles durant cette période était des études pilotes, avec de nombreuses limites méthodologiques. On y trouvait une prédominance du cancer du sein – la tentation étant grande, alors, d’extrapoler les résultats à tous les cancers. Les activités physiques analysées étaient très différentes les unes des autres. Et elles étaient amorcées à des moments différents de la prise en charge du patient : juste après l’annonce du diagnostic, avant le début du traitement, après le traitement.

Une revue de la littérature scientifique publiée en 1999 confirme cependant l’impact significatif de l’exercice physique sur la qualité de vie liée à la santé pour les patients. À l’époque, l’activité physique avait pour objectif d’améliorer la qualité de vie mais aussi l’estime de soi, mise à mal par des traitements agressifs faisant perdre des cheveux notamment.

Prendre du plaisir à faire du sport était l’essentiel. On laissait donc le choix de la pratique au patient, dans l’idée qu’il reprenne confiance en lui et rompe avec l’isolement. Cette pratique se faisait essentiellement à domicile, encouragée par des professionnels de santé et quelques oncologues pionniers. Les messages de santé étaient assez basiques. Qualifiés d’hygiéno-diététiques, ils pourraient se résumer aujourd’hui par la phrase : « il faut bouger plus avec un cancer ».

Réduire la fatigue, la douleur, l’anxiété

À partir des années 2000, l’activité physique devient un « soin de support » à part entière. C’est-à-dire qu’elle entre dans « les soins et soutiens nécessaires aux personnes malades tout au long de la maladie ». Les recommandations officielles indiquent de la débuter le plus tôt possible après l’annonce du cancer au patient.

L’activité physique adaptée est devenu un « soin de support » à part entière dans le traitement du cancer.
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L’ambition est triple. D’abord, réduire les symptômes induits par les traitements et le cancer lui-même comme la fatigue, la douleur, l’anxiété, la dépression, les nausées, les troubles du sommeil, les lymphœdèmes (gonflement lié à une mauvaise circulation de la lymphe) et les neuropathies (affection des nerfs). Ensuite, améliorer l’état général, la condition physique et la composition corporelle – c’est-à-dire favoriser la prise de masse musculaire au détriment de la masse graisseuse, en particulier abdominale. Enfin, prévenir le déconditionnement physique, c’est-à-dire le cercle vicieux conduisant à l’inactivité physique avec toutes ses répercussions physiologiques (atrophie musculaire par exemple) et psychologiques (perte de confiance en ses capacités physiques). Ce déconditionnement est un facteur de mauvais pronostic, de moindre efficacité des traitements et de mortalité plus élevée.

Des essais randomisés contrôlés sont alors menés, avec des conclusions convergentes montrant la réduction de la fatigue et des symptômes anxio-dépressifs, l’amélioration de la condition physique et la prévention du déconditionnement. Une succession de méta-analyses est venue apporter le niveau de preuve le plus élevé, celle de 2005, celle de 2006, celle de 2009 et celle de 2011.

Bien doser l’intensité de la pratique pour ne pas épuiser le patient

Une dernière méta-analyse, publiée en 2012, particulièrement démonstrative, conclut au bénéfice d’un programme d’activité physique supervisé sur la fatigue, sur la base de 56 essais randomisés contrôlés ayant inclus 4068 patients traités pour un cancer. La pratique est encadrée pour veiller à la sécurité des participants – on tient compte par exemple du risque de problème cardio-vasculaire dû à une chimiothérapie. La supervision consiste aussi bien à doser l’intensité pour ne pas épuiser le patient durant son traitement, qu’à maintenir sa participation au fil du temps.

Actuellement, d’autres travaux sont menés sur la période de l’après-cancer, pour encourager les personnes à poursuivre une activité physique hebdomadaire régulière conforme aux recommandations. Des principes généraux établis par l’Institut général du cancer (INCa) en 2017 encadrent ces pratiques. Deux autres institutions, l’Inserm et la Haute autorité de santé (HAS), publieront leurs recommandations cette année.

Ces initiatives s’inscrivent dans un mouvement général de « sport sur ordonnance », applicable par décret depuis le 1er mars 2017. Il s’agit de la prescription médicale de programmes d’activité physique adaptée (APA) aux personnes malades chroniques. Vient s’y ajouter l’incitation à la pratique d’une APA mentionnée dans le Plan Cancer 2014-2019.

Distinguer les fausses promesses des vraies

On assiste en France à une offre pléthorique mais inégale d’activités physiques de la part des CLCC, des cliniques, des maisons médicales, des associations sportives, des associations dédiées au cancer, des entreprises du secteur du sport-santé, des start-up et des professionnels libéraux. Ce foisonnement de propositions s’accompagne parfois de promesses qui vont au-delà des connaissances scientifiques, allant jusqu’à faire miroiter la guérison ou encore la prévention de récidives.

À ce jour, il n’est pas possible de prédire de tels résultats à l’échelle d’un individu. Seules les études de cohortes, qui suivent des centaines de patients dans le temps, donnent des indications sur le rôle de l’activité physique dans la guérison. Et ce, sous forme de probabilité seulement. Par exemple, l’analyse de 24 cohortes issues de pays différents, comportant au total 35 622 patients, indique une réduction du risque de mortalité due au cancer de 38 % dans le cancer du sein, le cancer colorectal et le cancer de la prostate, selon les travaux d’une équipe canadienne publiée en 2016. Ce qui ne fait pas du sport un remède anti-cancer.

Des essais cliniques commencent à être menés dans le monde sur la survie et la diminution des récidives grâce à l’activité physique, en association avec les traitements conventionnels du cancer comme celle d’une équipe de l’université de l’Alberta (Canada) dans le cancer du côlon dont le protocole a été publiée en 2008. Les premiers résultats seront connus d’ici 2020. En attendant, les preuves s’avèrent encore insuffisantes pour affirmer qu’une pratique d’activité physique à une intensité et d’une façon données permet d’influer sur l’évolution d’un cancer ou sa récidive.

Agir sur l’immunité, le métabolisme, l’inflammation et la neuropsychologie

L’idée de fond est de ralentir la progression de la tumeur et de contribuer à éviter une récidive en sollicitant de manière ciblée les fonctions immunitaires, métaboliques, inflammatoires et neuropsychologiques de l’individu par une activité physique ciblée. Des progrès scientifiques et cliniques restent à faire pour comprendre les mécanismes en jeu et proposer le meilleur programme à chaque patient, en fonction de sa tumeur et de son mode de vie.

The ConversationLes espoirs de pouvoir agir un jour sur la tumeur par l’activité physique ne sont pas totalement infondés. Mais pour l’heure, ce qui est prouvé est qu’une activité physique suffisamment régulière et bien dosée permet d’améliorer la qualité de vie du patient, d’améliorer son état général de santé, de réduire les effets secondaires des traitements et de renforcer les effets de certains. C’est déjà beaucoup.

Gregory Ninot, Professeur en santé, psychologie et sciences du sport, Université de Montpellier

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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