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Trente ans de chasse au corbeau au-dessus de la Vologne

Si l’affaire Grégory passionne les foules, depuis si longtemps, c’est qu’elle ne ressemble à aucune autre. Au cœur de l’intrigue, un personnage noir la rend hors du commun : le corbeau. Ou peut-être les corbeaux.

Une partie de la lettre du corbeau du 17 mai 1983
Une partie de la lettre du corbeau du 17 mai 1983

Depuis plus de trente ans ces oiseaux de malheur tiennent la justice en échec, narguent les enquêteurs, se jouent des experts. L’Un d’eux avait d’ailleurs prévenu, dans sa lettre du 17 mai 1983 adressée aux grands-parents du petit Grégory : « Vous vous demanderez qui j’étais mais vous me trouverez jamais. Adieu mes chers cons. »
A l’évidence, le corbeau connaît bien la famille Villemin. Une très grande famille. Quand ils se sont mariés, en 1954, Albert et Monique Villemin avaient déjà des enfants d’un premier mariage. Huit pour Albert et cinq pour Monique qui était enceinte. Ensemble, le couple aura cinq autres enfants dont Jacky, le père du petit Grégory. A l’époque du drame de la Vologne la famille Villemin s’était forcément agrandie et comptait, avec les conjoints, les enfants et les proches, plus de soixante-dix personnes vivant dans un rayon de moins de 20 km. C’est à dire autant de suspects pour les enquêteurs qui cherchent à identifier à la fois le corbeau et l’assassin de l’enfant.

Une voix de femme

Le petit Grégory Villemin (capture CreepyNews)
Le petit Grégory Villemin (capture CreepyNews)

Un malin, ce corbeau. Il commence à se manifester dès le mois d’avril 1981 par un appel à Monique Villemin. Une voix de femme profère des insanités. En juillet 1981 Jean-Marie et Christine Villemin reçoivent des appels silencieux.
Un mois seulement après que les jeunes époux Villemin eurent fait placer une ligne téléphonique dont le numéro est en liste rouge, Christine reçoit, en août 1981, trois appels anonymes. Un homme à la voix rauque s’amuse : « Allez, chef, paie ton coup. » Le 22 novembre 1981 vers 21 heures, alors qu’elle est seule chez elle, Christine Villemin est insultée au téléphone. Peu après on casse un carreau de la porte d’entrée de sa maison. Effrayée, elle se réfugie avec le petit Grégory chez une amie.
Le harcèlement continue en 1982. Il ne se passe pas de jour sans que l’un ou l’autre des membres de la famille Villemin ne reçoive un appel malveillant. En avril, un homme menace Jean-Marie, revendique le carreau cassé et un pneu crevé de la voiture. Il dit voir Gilbert (un frère) descendre de chez ses parents. L’expert qui analyse l’enregistrement entend un bruit de fond avec une sorte de sifflement d’une machine et un battement régulier (150 coups/minutes) caractéristique d’un métier à tisser.

« Les chats gris »

Infatigable, le corbeau poursuit ses persécutions avec un appel chez Jacky Villemin, l’oncle de Grégory, puis chez la grand-mère de l’enfant, Monique Villemin : « Les jours raccourcissent les chats gris vont sortir » menace une voix rauque. En juillet 1982 le corbeau qui épie ses victimes demande à Monique et Albert à peine rentrés chez eux : « Elle était bonne la balade ? »
Le 30 novembre 1982 c’est une voix de femme qui appelle les pompes funèbres pour leur annoncer le faux décès d’Albert Villemin.
Le 13 décembre 82, le corbeau se manifeste chez Christine de sa voix rauque et profère menaces et insultes. Et encore le 16, chez Monique. Puis la femme à nouveau, le 27 janvier 1983, fait déplacer une ambulance chez Albert alors que la voix rauque, le même jour, harcèle Monique. Le 17 février 83, à nouveau une voix de femme fait déplacer sans raison deux médecins chez Jean-Marie. Le 3 mars, les pompes funèbres alertées par le même corbeau en jupon arrivent chez Albert avec une plaque funéraire.

Le corbeau s’amuse

Des centaines d’appels dont quelques uns seulement ont été enregistrés et soumis à analyse. Les premiers experts affirment dans leur rapport du 28 novembre 1984 (annulé ensuite pour vice de forme) que la voix de l’homme peut correspondre à celle de Bernard Laroche ou de cinq autres personnes. Un an plus tard, d’autres experts concluent à l’impossibilité de savoir si la voix est celle d’un homme ou d’une femme. En janvier 1986 il s’agit d’une femme qui déguise sa voix. En 1989 et 1993 l’expert penche pour la voix d’un homme âgé de 45 à 55 ans. Le corbeau a dû bien s’amuser en apprenant les résultats de ces expertises.
Quant aux lettres anonymes, elles sont beaucoup moins nombreuses. La première, postée de Bruyères le 27 avril 1983 est adressée à « M. et Mme Albert Villemin. » Elle est brève : « Je vous ferai votre peau à la famille Villemin. ». La seconde lettre, le 17 mai 1983 est plus longue : « Si vous voulez que je m’arrête, je vous propose une solution : vous ne devez plus fréquenter le chef. Vous devez le considérer, lui aussi, comme un bâtard… »

« Ma dernière lettre »

Une troisième lettre, très longue, est écrite d’une écriture presque normale et non plus en lettres capitales. « Il n’y a que votre salope de fille et son vieux qui ont le droit de salir vos assiettes le dimanche. Il n’y en a que pour le gendre, il compte plus que vos fils… Ceci est ma dernière lettre. »

Une partie de la lettre du corbeau du 17 mai 1983
Une partie de la lettre du corbeau du 17 mai 1983

On sait qu’il y en aura deux autres : l’une postée de Docelles le 16 octobre 1984, le jour de l’assassinat de Grégory, est adressée à Jean-Marie Villemin : « J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te rendre son fils. Voilà ma vengeance, pauvre con. » Une toute dernière lettre anonyme envoyée le 24 juillet 1985, soit quatre mois après l’assassinat de Bernard Laroche, est envoyée à Albert et Monique. Le corbeau écrit :« La famille Villemin, je vous ferai la peau et la prochaine est Monique. »

Échec des expertises

Là encore, les experts judiciaires ont été mis en échec. Plusieurs dizaines de suspects ont dû faire des dictées. Résultat ? Le corbeau n’a pas été identifié. Mais les contours de son profil apparaissent. A vu des quatre lettres analysées, les experts concluent qu’il s’agit d’un individu d’un bon niveau intellectuel. Les fautes d’orthographes ont été commises volontairement pour égarer les soupçons car elles sont trop grossières pour une personne qui écrit des phrases entières sans faute comme celle-ci : « Je te hais au point d’aller cracher sur ta tombe le jour où tu crèveras. »

Affaire Grégory. (Capture Non Elucidé)
Affaire Grégory. (Capture Non Elucidé)

Le corbeau a donc longuement prémédité l’assassinat du petit Grégory et il a tenu à le signer. C’est un proche de la famille Villemin. Pourtant, ni les appels téléphoniques, ni les lettres anonymes n’ont pas permis jusqu’ici de remonter jusqu’à lui. Ou jusqu’à eux.
De nouvelles expertisent confiées à Christine Navarro désignent Jacqueline Jacob, la grand-tante de Grégory, d’être l’auteur de plusieurs lettres anonymes mais pas celle de la revendication de l’assassinat de l’enfant. Ses avocats, Mes Frédéric Berna et Alexandre Bouthier crient au scandale. « On reprend les mêmes vieilles recettes qui ont échoué il y a trente ans » confient-ils à nos confrères de l’Est Républicain. « Considérer qu’une expertise en écriture peut être accablante c’est n’avoir rien compris à l’histoire judiciaire française en général et à l’affaire Grégory en particulier ».
Les deux avocats nancéiens rappellent qu’en 1985 sept experts en écriture avaient formellement désigné Christine Villemin, la mère de l’enfant, comme étant l’auteur de la lettre de revendication de l’assassinat de son fils ! Elle a finalement été mise hors de cause.
La chasse aux corbeaux continue au-dessus de la Vologne.

Marcel GAY

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