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La transition Macron : où en est le renseignement territorial français ?

File 20170517 24315 efdj12Inspection sur le marché de Langon (Gironde), en juillet 2011.
Ludovic Sarrazin/Flickr, CC BY

Ludovic Jeanne, École de Management de Normandie

Le rapport 2016 de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) a été rendu il y a quelques semaines. Secret, ce rapport est destiné au Président de la République, au premier ministre et aux présidents des deux assemblées. C’est donc à partir de ce document que les quatre nouveaux plus hauts responsables de l’État (ils changeront tous entre mai et septembre 2017) devront décider de l’avenir et des orientations de nos moyens et de notre politique de renseignement. À n’en pas douter l’importance de ces enjeux n’a pas échappé au nouveau président de la République, Emmanuel Macron : fait inhabituel et peut-être significatif, il a mentionné (à 4’) « le renseignement » dans son récent discours d’investiture. The Conversation

Il est peut-être utile de rappeler les grandes lignes de la structure du renseignement en France. Les six principaux services sont ceux du « premier cercle » : Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Direction du renseignement militaire (DRM), Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), Direction nationale de recherche et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.

Ils sont complétés et épaulés par les services du « second cercle » : le Service central du renseignement territorial (SCRT, Direction générale de la police nationale, incluant des gendarmes), la Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO, Direction générale de la Gendarmerie nationale), le Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP). Il faut y ajouter la Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPPP) ainsi que le Coordonnateur national du renseignement qui, depuis 2008, assure la remontée du renseignement à l’Élysée et à Matignon.

Ce sont les services de ce second cercle qui vont nous intéresser ici car ils sont le vecteur principal du renseignement territorial en lien avec la DGSI.

L’activité des services en 2015-2016

Quelques éléments permettent de mieux appréhender la nature et l’intensité de l’activité récente de ces services. Ainsi il y a eu deux sujets de mobilisation sur 2015 et 2016 : la lutte antiterroriste ; l’espionnage et l’ingérence économiques.

Côté antiterrorisme, l’accent a été mis sur les vecteurs de coordination avec la création de la cellule INTERSERVICES (créée en 2015 avec un pilotage DGSI) et le renforcement de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste. La cellule INTERSERVICES intègre le renseignement en provenance de tous les services, y compris SCRT et DRPPP, sur les organisations terroristes sunnites qui ciblent la France. Elle travaille ensuite au bénéfice des enquêteurs de tous les services intégrés. Ainsi la circulation horizontale et verticale du renseignement est beaucoup mieux assurée.

Le rapport de la DPR commence, d’ailleurs, par une évocation du contexte lié au terrorisme islamiste et confirme qu’en 2016, ce sont une vingtaine de tentatives d’attentats qui ont été déjouées. Cela permet de remettre en perspective les attentats commis et ceux empêchés (6 contre 20) et ainsi de prendre la mesure de l’activité des services et de son efficacité.

Côté espionnage et ingérence économiques, l’année 2016 a vu la création du Commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques (CISSE) à Bercy. Ce nouveau service a une fonction stratégique et opérationnelle nationale sans plus se préoccuper outre mesure de la propagation de la culture de l’intelligence économique dans les services de l’État, les territoires et les entreprises. Il faut peut-être y voir l’effet du poste précédent du CISSE, Jean‑Baptiste Carpentier : la direction de Tracfin.

Mais il semble, d’après nos propres observations sur le terrain, que sur certains territoires cette création ait nettement freiné les efforts de mobilisation des acteurs économiques et institutionnels. Cet aspect est dommageable car les TPE-PME restent pour les territoires le composant essentiel de leur tissu économique. Or les efforts pour diffuser dans leur direction et à leur bénéfice les pratiques d’intelligence économique (IE) ne font que des progrès lents dont les bénéfices refluent à chaque soubresaut de la politique nationale en la matière.

La création du CISSE n’est pas seule responsable de ces effets. La réforme territoriale est aussi passée par là en provoquant des réorganisations importantes et parfois soudaines des compétences et des effectifs préfectoraux. Cela a parfois stoppé des dynamiques ou des processus régionaux associant aux services de l’État d’autres acteurs territoriaux (collectivités, établissements d’enseignement supérieur, Chambres, etc.).

Renforcer la dimension territoriale du renseignement en France

Dès les premières pages du rapport, la DPR insiste sur la question territoriale en en faisant l’un des six principes directeurs de la politique du renseignement. La Délégation insiste notamment sur le renforcement des échelons régionaux et départementaux de la DGSI en terme de personnel, sur la coordination des services territoriaux, mais aussi sur le renseignement pénitentiaire.

La circulation du renseignement est une préoccupation centrale. La DPR propose donc une réforme assez radicale de l’outil assurant le renseignement dit de proximité en fusionnant SCRT et SDAO en un seul service qui deviendrait le septième service de renseignement du premier cercle. Les effets de coordination, tant entre les deux services territoriaux existant déjà qu’entre ces mêmes services et ceux du premier cercle, semblent séduisants quoiqu’ils soient déjà aujourd’hui significatifs. Ainsi le SCRT produit des analyses pour la police comme pour la gendarmerie, par exemple. Mais la proposition de la DPR tait les différences de culture et d’identité professionnelle, sans compter les nombreuses différences organisationnelles.

Policiers en observation.
Sophie/Flickr, CC BY

Cela ne doit pas empêcher d’étudier cette option, mais l’anticipation des conséquences des fusions reste un facteur majeur de leur réussite comme de leur échec ou des difficultés rencontrées.

Au-delà, la criminalité organisée a une forte territorialité qui impose le principe défendu par la DPR. À défaut de fusion, il sera nécessaire de rechercher la plus forte intégration possible des ressources de chaque service.

Par ailleurs, il y a une question de rythme : à trop réformer, on risque de déstabiliser. Les services ont vécu de nombreuses et très importantes refontes ou évolutions en moins de dix ans. Une certaine stabilisation doit être recherchée, à la fois pour orienter les capacités vers les missions et pour avoir le temps de réellement évaluer le nouveau dispositif.

Un lieu stratégique : la prison

La dimension territoriale du renseignement pénitentiaire doit également être soulignée.

De nombreuses analyses suggèrent que le lieu « prison » a joué et joue un rôle significatif dans le processus de dissémination du terrorisme islamiste. C’est sans doute utile de travailler sur les méthodes de déradicalisation. Mais il faut concentrer autant d’efforts sur la non-radicalisation, autrement dit sur tous les dispositifs, y compris spatiaux, permettant dans les prisons d’entraver les processus et les actions par lesquelles se diffusent et s’acquièrent les dispositions favorables à un avenir de terroriste islamiste.

La première des luttes du contre-terrorisme doit être d’entraver les cheminements qui y mènent, des cheminements à la fois sociologiques et géographiques qui passent souvent par le lieu carcéral. C’est d’autant plus essentiel qu’une portion importante de la population carcérale est de confession musulmane. Les chercheurs spécialistes du sujet comme Farhad Khosrokhavar l’évaluent entre 40 % et 60 %, hors conversions.

Cette donnée a été reprise par le député Guillaume Larrivé dans son rapport de 2014. En tout état de cause, les détenus de « culture » ou de confession musulmane sont vraisemblablement sur-représentés dans bien des lieux d’incarcération. Or la composition sociale du lieu, quelles qu’en soient les causes, a un effet facilitant sur la diffusion des dispositions (idéologiques et pratiques) pouvant mener à la radicalisation puis à un passage à l’acte.

Par ailleurs le nombre de personnes condamnées et écrouées chaque année pour des faits liés au terrorisme islamiste a cru de 322 % entre 2012 et 2015, en passant de 18 à 76 selon les données de la Direction de l’administration pénitentiaire.

Face à ces phénomènes, le nouveau Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) a un rôle de premier plan à jouer. Celui-ci ne comporte pourtant que 17 agents qui passeront à 40 d’ici fin 2017. Ils s’appuient sur 177 délégués locaux pour 188 établissements pénitentiaires. La DPR estime, à raison, que ce réseau lui aussi territorial reste très insuffisant et qu’il devra être renforcé « sans délai », indiquant ainsi l’urgence de la situation.

Relier renseignement pénitentiaire et renseignement territorial

On le comprend au regard des chiffres que divulgue la DPR : sur les 68 560 détenus en France, 2 811 sont dits « détenus particulièrement signalés » (DPS : la « fiche S » du BCRP, en quelque sorte). Parmi eux sont recensés les nombres de détenus suivants :

  • 390 pour des faits de terrorisme islamiste, dont 79 % de prévenus. Cela montre l’intensité de l’action des services ;
  • 1 329 pour des faits de droit commun, mais exprimant des signes de radicalisation.

Une majorité des DPS le sont donc au titre de la radicalisation et du terrorisme islamistes qui deviennent ainsi les problématiques prioritaires du BCRP. Il faut ajouter à ces effectifs les 412 personnes suivies « en milieu ouvert » pour des comportements indiquant une radicalisation.

Ces détenus sont dispersés dans différents établissements sur le territoire national, ayant eux-mêmes diverses origines géographiques. Mais, curieusement, le rapport de la DPR n’évoque pas la question de la coordination entre le BCRP et les autres services de renseignement territorial.

La prison comme lieu de dissémination de la radicalité islamiste doit en tout cas être à l’agenda de recherche des géographes, sociologues, psychologues sociaux et anthropologues. Ce lieu joue un rôle incontournable dans la production de djihadistes. L’examen des trajectoires socio-spatiales de plusieurs des djihadistes français, impliqués ces dernières années dans les attentats sur notre sol ou dans le djihadisme en zone syro-irakienne, montre que beaucoup d’entre eux sont passés par nos prisons et qu’ils y ont fait des rencontres et des expériences significatives dans leur cheminement vers le terrorisme islamiste : c’est le cas de Chérif Kouachi comme d’Amedy Coulibaly, par exemple. Ce n’est pas le seul lieu où s’opèrent ces processus. Mais ce lieu-là est censé être sous le contrôle de la société.

Le BCRP a d’autant plus besoin de renforts et de coordination avec l’ensemble du renseignement territorial, qu’il doit apprécier le rôle d’autres acteurs : les associations et les imams.

Deux enjeux prioritaires

Le processus de coordination entre services reste donc un enjeu prioritaire, peut-être plus encore pour les services territoriaux malgré d’évidentes améliorations. Elles se sont traduites, notamment, par la multiplication des officiers de liaison entre les différents services ainsi que par celle des structures communes ou de mutualisation. L’enjeu, là aussi, n’est pas mineur. En effet, le ministère de l’Intérieur a créé en 2015 un fichier dédié aux personnes signalées comme radicalisées pour s’assurer du suivi effectif de chaque cas. Ce fichier regroupe environ 15 000 noms. Évidemment, il est peu probable que tous ces noms correspondent à des personnes regroupées sur un même territoire.

Une large place est donc faite au terrorisme dans le rapport de la délégation. Si cela est légitime au regard des perceptions sociales et des risques de décohésion sociale que les attentats véhiculent, il faut toutefois se garder de toute « obsession » et d’une captation excessive des ressources des services. Ils ont d’autres missions d’une égale importance pour la nation et ses territoires.

Or, l’examen du rapport de la DPR est édifiant : on trouve 53 occurrences pour « terrorisme » et 25 pour « radicalisation » et ses variantes, contre 17 pour « espionnage », 21 pour « ingérence », 15 pour « intérêt » ou 5 pour « prolifération ». C’est, au demeurant, un danger que la DPR elle-même semble avoir perçu, de même que le’ex-ministre de la Justice, Jean‑Jacques Urvoas, qui à l’occasion de l’inauguration du BCRP soulignait comme un défi d’« éviter l’écueil qui consiste à être accaparé par la lutte contre le terrorisme ».

La question des criminalités organisées ou celle de la sécurité économique des TPE-PME, aux échelons territoriaux, mériteraient en particulier de ne pas être occultées. On peut ainsi s’étonner de l’absence de prise en compte du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) de la Direction centrale de la police judiciaire. C’est pourtant un service de renseignement… dont on parle peu et que l’on n’a pas intégré au 2e cercle.

Espérons que la nomination d’un élu territorial, Gérard Collomb, au ministère de l’Intérieur facilitera les progrès encore nécessaires.

Ludovic Jeanne, Directeur de l’Institut du Développement Territorial (IDéT), Enseignant-chercheur en Développement Territorial, Laboratoire Métis, École de Management de Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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