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Lorraine Airport : un procès juridico-linguistique

Peu à peu, les expressions anglaises envahissent notre univers familier et relèguent la belle langue de Molière au rayon des vieilleries. Il en est ainsi de la nouvelle dénomination de Lorraine Airport qu’une association baptisée Francophonie Avenir a décidé d’attaquer en justice. Audience devant le TGI de Metz, mardi 29 novembre.

lorraine-airportCela devient insupportable. On ne dit plus : « réservez la date… » mais « save the date » ; on ne dit plus « morceaux choisis » mais « best of » ; on ne dit plus « c’est sympathique » mais « c’est cool », on ne dit plus « au revoir » mais « bye ». Sans parler des « What else ? » des « come back », des « burn out » des « team » et de tous ces titres de films qui saturent nos petits et grands écrans : Star Wars, évidemment, mais aussi Scarface, Interstellar, Imitation Game, The Normal Heart, Desperate Housewives, Game of Thrones,   Mentalist etc. etc. Sans oublier les jouets des enfants, les « Transformers », les « Cars » et autres « toys ».
Mais c’est évidemment dans les nouvelles technologies que l’anglo-américain s’impose à nous, via les geek : cookies, blacklist, farewall, hacker, newsletter, spam, streaming….font partie du langage quotidien.
Un peu too much, non ?

Une association de défense de la langue française

Désormais, ce sont les administrations qui se mettent à l’anglo-saxon pourtant prohibé depuis 1994 par une loi de Jacques Toubon faisant interdiction à toute personne morale de droit public d’utiliser une expression ou un terme étranger dès lors qu’il existe un mot en français pour désigner le même objet ou le même concept.
C’est sur le fondement de ce texte que l’association Francophonie Avenir a décidé d’engager le bras de fer avec l’aéroport de Metz-Nancy-Lorraine (MNL) qui a changé de nom, en début d’année 2015, pour s’appeler Lorraine Airport. Changement de nom et de signalétique qui ont coûté 90.000 € à la collectivité puisque MNL est géré par le conseil régional.

La langue officielle

Inacceptable pour cette association de défense de la langue française présidée par un nîmois, Régis Ravat mais aussi pour l’association Anticor 54 dont Marcel Claude est administrateur.
Le 2 août 2015, ils ont conjointement adressé un courrier au président de l’aéroport, Roger Tirlicien, qui jusqu’aux dernières élections régionales, était le 5ème vice-président du Conseil régional de Lorraine. Pour lui dire que « la langue officielle de la République c’est le français et non l’anglais » et donc que « Lorraine Airport est illicite. »

Ils rappellent les articles 1, 2, 14, et 15 de la loi n° 94-665, dite loi Toubon qui disposent :

Article 1 : Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics. Elle est le lien privilégié des États constituant la communauté de la Francophonie.

Article 2 : Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, ou dans un lieu ouvert au public, et destinée à l’information du public, doit être formulée en langue française.

Article 14 : L’emploi d’une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d’une expression ou d’un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française.

Ils rappellent encore que « le français est aussi une langue internationale, une langue parlée sur les 5 continents, une langue qui, selon une enquête de l’UNESCO, pourrait atteindre les 800 millions de locuteurs d’ici 2050 grâce, notamment, à la Francophonie africaine, une langue donc qui n’a pas à s’effacer face à l’impérialisme hégémonique de la langue du dollar, de la NSA, d’Hollywood, de Goldman Sachs, Morgan et Cie. »

Tribunal administratif

Dans un post-scriptum qui se veut ironique, les signataires écrivent encore : « Au sujet du bulletin de l’aéroport, merci de noter également que les mots anglais « mail » et « e-mail » ont un équivalent français qui est COURRIEL ; que « newsletter » se dit INFOLETTRE en français, que le bilinguisme « Boîte à idées/suggestion box » est illicite (art. 4 de la loi 94-665) et que le Fly Bar de votre aérogare, s’il a des subventions publiques devra les rembourser (art. 15 de la loi 94-665) ! » Enfin : « êtes-vous sûr d’aimer le peuple, vous qui avez tant l’air de détester sa langue ? »

Comme ils n’ont pas obtenu de réponse, les représentants des deux associations sont passés à la vitesse supérieure. Ils ont déposé une requête devant le tribunal administratif. Comme ils l’ont fait ailleurs, à Nîmes notamment, où l’association Francophonie Avenir a gagné son procès contre la mairie à propos de panneaux publicitaires, a gagné son bras de fer contre Lyon Airport (sans aller en justice dans ce cas). Mais le T.A. s’est déclaré incompétent puisque l’aéroport est une structure à vocation commerciale.
Fini ? Pas encore. L’association Francophonie Avenir a décidé d’attaquer devant le tribunal de grande instance de Metz. L’affaire est audiencée pour le mardi 29 novembre. Mais il y a fort à parier qu’elle sera renvoyée, à la demande de l’avocat de l’aéroport, pour prendre connaissance du dossier.

I love you

Faut-il quand même préciser que l’anglais est composé, selon les linguistes, à plus de 60% de mots d’origine française ? Cela remonte au moyen-âge quand Guillaume le Conquérant a envahi l’Angleterre et imposé sa langue, franco-normande. En Normandie, on ne prononçait pas le « che », on disait « que ». On ne disait pas un « chat » mais « un cat » d’où le nom anglais « cat », on ne disait pas « charrier » mais « carrier » d’où « to carry ». Et s’aimer ? Il love you. Du vrai français du moyen-âge qui vient de « se lover ». Et flirter ? Encore du français d’antan : « conter fleurette… ».
Voilà de quoi nous réconcilier avec la langue de Shakespeare… Airport, finalement, ce n’est qu’un mot français remasterisé à la sauce anglaise.

Marcel GAY

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