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La spiruline sera-t-elle l’aliment miracle du XXᵉ siècle ?

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De la spiruline.
Nouchkac/Pixabay

Gérard Tremblin, Le Mans Université et Brigitte MOREAU, Le Mans Université

Une prise de conscience a beau se développer en Occident sur la surconsommation de viande, l’agro-industrie n’en met pas moins en place des fermes de mille vaches : il serait ainsi opportun de penser à diversifier nos sources de protéines.

Au début du XXe siècle, des scientifiques avaient déjà tenté de produire de façon industrielle des protéines à partir de micro-organismes. Deux candidats furent retenus : une levure et une micro-algue verte, la chlorelle. Si les essais sur la levure ont été rapidement abandonnés, les chlorelles, dont l’avantage principal est de n’avoir besoin pour se développer que d’un peu d’air, d’eau, de soleil et de quelques minéraux, sont toujours produites industriellement. Mais, c’est un autre micro-organisme, la spiruline, qui domine actuellement le marché.

Consommée depuis des millénaires

Traditionnellement consommée depuis des millénaires en Afrique, la spiruline fait toujours partie de l’alimentation des peuplades présentes autour du lac Tchad qui l’utilisent sous forme de « Dihé » (une sauce à la spiruline). En Amérique du Sud, des recherches bibliographiques ont montré que les Aztèques consommaient du « Tecuitlal » ou galette de spiruline dans les environs du lac Texcoco, près de Mexico.

En milieu naturel, sa croissance est rapide grâce à son activité photosynthétique intense qui lui permet de coloniser les mares salées et alcalines et, ainsi, d’éliminer les espèces concurrentes. On rencontre naturellement de la spiruline dans tous les sites lacustres peu profonds des régions tropicales ou subtropicales où vivent des flamants roses : ces derniers sont à la fois des fertilisateurs (leurs excréments apportent de l’azote dans les bassins naturels qu’ils colonisent) et des vecteurs (ils transportent la spiruline lors de leurs migrations).

Plusieurs espèces

Filament de spiruline ou trichome.
B. Moreau, CC BY

Sous le microscope, la spiruline apparaît sous forme de petits filaments pluricellulaires de couleur bleu vert et plus ou moins spiralés (d’où son nom). Avec le développement des connaissances, la dénomination plutôt commerciale de spiruline a été remplacée par le nom de genre Arthrospira avec deux espèces principales : Arthrospira platensis, originaire d’Afrique et Arthrospira maxima originaire Amérique centrale et de nombreuses variétés.

Abusivement classées parmi les microalgues, les spirulines sont en fait des cyanobactéries.

Dès les années 1970, la culture de la spiruline s’est développée avec un objectif humanitaire : produire des protéines de façon non conventionnelle afin de lutter contre la malnutrition. La spiruline, par sa richesse en protéines, sa forte teneur en vitamine B12 et la présence d’un précurseur de la vitamine A permet de lutter en Afrique contre la xérophtalmie (cécité infantile). Mais, rapidement, les industries agro-alimentaires et cosmétiques ont été très intéressées par l’un de ses composés, la phycocyanine. Cette protéine pigmentaire est abondante dans les cellules de spiruline et c’est l’unique colorant bleu intense qui soit naturel et comestible. Il est commercialisé sous l’appellation « Linablue ». Ainsi, la plus grande part de la production actuelle de spiruline est destinée au marché de la diététique des nations les plus riches. Sa richesse en protéines (plus de 60 %), en acides aminés essentiels, en vitamines (en particulier, le complexe des vitamines B), en acides gras poly-insaturés, en minéraux, en oligo-éléments, et en phycocyanine en fait un complément alimentaire remarquable par ses propriétés anti-inflammatoires, anti-oxydantes, anti-tumorales et immuno-protectrices.

Comment la cultiver et à quel prix ?

La spiruline se cultive facilement au laboratoire dans un photobioréacteur (ci-dessous), et se développe rapidement car ses performances photosynthétiques (qui ont été mesurées et comparées à celles d’autres espèces, il y a quelques années dans notre laboratoire) sont nettement plus élevées que celles des autres microalgues.

Dispositif automatisé de culture en continu de spirulines. Sur l’image, la source de lumière (des leds blanches) et le cryothermostat permettant de réguler la température ne sont pas présentés.
B. Moreau, CC BY

En conditions industrielles, la spiruline est cultivée le plus souvent dans des bassins de type race way ou piste de course dans lesquels une circulation du milieu est assurée par des roues à aube.

Bassin de type race way sous serre permettant de cultiver des spirulines en Anjou.
B. Moreau, CC BY

Dans les pays en voie de développement, le coût de la spiruline utilisée par les ONG pour lutter contre la malnutrition de la population locale est minime. Par contre, dans les pays économiquement développés, le prix de la spiruline est bien plus élevé car la demande est forte, ce qui en fait une culture très rentable pour les industriels. Elle est commercialisée comme complément alimentaire sous différentes formes : paillettes, poudre, comprimés ou gélules.

La spiruline à l’état naturel après séchage est commercialisée sous différentes formes.
B. Moreau, CC BY

À l’échelle mondiale, la spiruline est essentiellement produite par des grosses compagnies (Siam Algae Company à Bangkok, Earthrise Farm aux États-Unis ou Cyanotech Corporation à Hawaï). Cependant, la production la plus importante est chinoise et fournit plus de 50 % de la spiruline commercialisée. Pourtant, les conditions de production ne sont pas toujours satisfaisantes et le produit fini est souvent de qualité nutritionnelle médiocre et présentant parfois une contamination aux métaux lourds.

La production mondiale est actuellement estimée à un peu plus de 5 000 tonnes par an. Cependant, le marché est loin d’être saturé et elle devrait encore s’intensifier et atteindre le million de tonnes dans les années à venir. En Europe, et plus particulièrement en France, plus de 150 sociétés produisent et/ou commercialisent de la spiruline : Alpha-biotech, Algosud, Spiruline de Provence, Spiruline d’Anjou, Algocorp, etc. La Fédération des Spiruliniers de France forme et aide les producteurs à valoriser leurs produits dans le respect d’une charte commune de bonnes pratiques culturales.

Ses utilisations

Les applications de la spiruline en Europe sont nombreuses :

  • Dans le domaine de la diététique : La spiruline est utilisée comme complément protéique bénéfique pour la santé, comme coupe-faim lors des régimes. Grâce à son effet revitalisant, elle aide à surmonter la fatigue après une convalescence. Appréciée des sportifs de haut niveau qui l’utilisent comme aliment ergogénique, elle améliore les performances et réduit la fatigue musculaire.
  • En alimentation humaine : Pour la FAO et L’Unesco comme pour la Chine, la spiruline serait l’aliment miracle du XXIe siècle. En France, ce n’est qu’en 1984 (soit 10 ans après les États-Unis) que le CSHP (Conseil Supérieur Hygiène) a donné un avis favorable à son utilisation en alimentation humaine. Depuis, on trouve de la spiruline incorporée dans un certain nombre de produits alimentaires (des nouilles, des chewing-gums, des glaces, des boissons, des sucreries, etc.).
  • En alimentation animale : On ajoute de la spiruline dans la ration alimentaire des bovins en élevage intensif pour éviter les carences, et on l’utilise aussi pour nourrir les poissons d’aquarium, les oiseaux en cage, etc.
  • En cosmétologie : Sous forme de crème, les extraits de spiruline améliorent la souplesse et l’élasticité de la peau grâce à son action stimulante et régénérante sur le collagène et l’élastine et limite de ce fait l’apparition des rides. De plus, elle freine le vieillissement de la peau grâce à ses propriétés antioxydantes dues à la présence de vitamines A et E.

Cultiver sa propre spiruline dans sa cuisine ?

Un dispositif en cours de réalisation (développé par la société Alg&You) consiste à cultiver la spiruline dans sa cuisine dans une « phytotière », l’équivalent d’une yaourtière, mais à la lumière, et ainsi de pouvoir consommer sa propre production.

En attendant d’en produire chez vous, il est maintenant facile de s’en procurer dans les commerces bio ou sur Internet. Toutefois, dans la mesure où, pour les cultiver, il faut leur fournir de l’azote sous forme de nitrates ou d’urée, la spiruline ne répond pas, pour le moment, aux normes des produits issus de l’agriculture biologique. Aussi la présence du logo sur certains flacons est usurpée.

Il est navrant de constater tout le travail de mise au point des cultures, effectué dans les années 1970 par l’humanitaire et scientifique américain Ripley Fox et ses collègues, profite davantage aux producteurs occidentaux qu’aux populations mal nourries auxquelles il était initialement destiné. Heureusement, quelques ONG comme Antenna Technologies, Technap, Targuinca, Unis vers la vie Spirumann, Les carrefours de la spiruline, etc., ont pris le relais.

The ConversationLa spiruline reste la meilleure source de protéines au monde. Avec une concentration en protéines trois fois supérieure à celle de la viande de bœuf, un taux de digestibilité exceptionnel et la présence des huit acides aminés essentiels, elle prendra sa part parmi d’autres sources non conventionnelles de protéines afin de nourrir la population de la planète dans les années à venir.

Gérard Tremblin, Professeur de biologie végétale émérite, Le Mans Université et Brigitte MOREAU, assistant ingénieur biologie, Le Mans Université

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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