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La Sicile, un lambeau de terre à la dérive des sentiments 1/5

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Muos, des ondes capables d’espionner la planète entière (DR)

Reportage. La Sicile est une petite île oubliée de la Méditerranée. Et pourtant, il s’y passe beaucoup de choses dont la presse parle peu, sinon pour rappeler récemment qu’un jeune Djihadiste tunisien, Anis Amri, y a séjourné, a mis le feu dans le centre où il était accueilli, a purgé une peine de quatre années de prison avant d’aller semer la mort au volant d’un camion-fou sur un marché de Noël de Berlin.
Un journaliste courageux, lorrain d’origine sicilienne, est allé enquêter sur ce morceau de terre à la dérive. Sur la terre de ses ancêtres, Jean-François Patricola nous fait partager dans une série de cinq grands reportages, les beautés naturelles de l’île, son histoire multiséculaire au carrefour de toutes les routes de la Méditerranée, le métissage de ses populations et de ses cultures à l’origine de l’ouverture d’esprit, de fraternité et de tolérance des Siciliens. Eux aussi ont connu et connaissent encore l’exode comme en témoignent les sept musées de l’île consacrés à l’immigration. Comme au 19ème siècle on vendait « du rêve américain » à de pauvres hères, des réseaux mafieux vendent aujourd’hui « du rêve européen » à des migrants venus du Proche et du Moyen-Orient ou d’Afrique.
Mais Jean-François Patricola a découvert aussi que l’île avait été « vendue » aux Américains qui ont installé sur ces terres magnifiques une base secrète. Un ensemble de satellites de télécommunications militaires dignes de la guerre des étoiles. Ces ondes puissantes capables d’espionner la planète entière, peuvent servir aussi (ou servent peut-être déjà) à faire la guerre. Elles sont capables d’abattre un avion ou un missile en plein vol, à ‘’griller’’ des populations, tel un micro-ondes géant… Cela fait froid dans le dos !

Ces reportages sont présentés en cinq parties:

  • Premier volet : « Un MUOStre à nos portes »
  • Deuxième volet : « Je lui dirai des maux bleus »
  • Troisième volet : « La Sicile terre d’écueil »
  • Quatrième volet : « Un MUOStre venu d’Amérique »
  • Cinquième volet : « Interview d’un journaliste Antonio Mazzeo »

La Rédaction

JEAN-FRANCOIS PATRICOLA

jean-francois-patricolaAncien animateur des Cahiers d’Henri Thomas, cofondateur de la revue et des éditions L’Estocade (Prix Apollinaire 1997) et des éditions d’art L’Abécédaire, Jean-François Patricola est également romancier (Salam Shalom (2004), Les dresseurs d’ombres, (A Contrario, 2005), poète et traducteur d’italien (théâtre, opéra et poésie).
Enseignant chercheur à l’université de Nancy II de 1995-1999, ses travaux ont notamment porté sur René Char et Maurice Blanchot. Il est l’auteur de 400 articles de critique musicale et théâtrale, d’articles politiques et sociologiques sur l’Italie et la Sicile dont il est originaire (collaborateur au Républicain lorrain, Courrier de l’Unesco etc.)
Page de l’auteur sur le site editionsarchipel.com

1- Un MUOStre à nos portes

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A Niscemi, dans la province de Caltanisetta en Sicile (DR)

C’est à Niscemi, dans la province de Caltanisetta en Sicile, que se déroule depuis de nombreuses années une bataille oubliée. Celle-ci, au-delà des luttes intestines locales, agit comme un prisme qui en dit long sur la militarisation européenne accélérée et placée sous tutelle OTAN. L’avenir de notre souveraineté européenne se joue également là, dans cette bataille oubliée et trop encore ignorée du grand public.

 

A Sughereta di Niscemi, dans une réserve naturelle vitale pour certaines espèces végétales et animales, notamment d’oiseaux migrateurs, la soldatesque américaine a construit l’une des plus puissantes bases militaires de télécommunications au monde, capable de relier au réseau de commandement du Pentagone des sous-marins et navires de guerre, drones et aéronefs à longue portée, troupes terrestres et véhicules en mouvement, où qu’ils se trouvent dans n’importe quelle partie du monde désormais. L’entrée en fonction de la station MUOS été annoncée officiellement à grands renforts de moulinets le 2 novembre 2016 par le vice-amiral Christian Becker de l’U.S Navy : « La station terrestre de Muos à Niscemi, qui couvre une grande partie de l’Europe et de l’Afrique, est opérationnelle. [1]». Le Programme Executive Officer, Command Control, Communications, Computers et Intelligence, PEO Space Systems, d’ajouter, en substance orgueilleux : « nous œuvrons pour notre futur ». Mais de quel futur parle-t-on ici ? Réalisée par General Dynamics, Lockheed Martin and Huntington Ingalls Industries notamment[2], et ce pour un chiffre d’affaires annuel avoisinant les 30 milliards de dollars, la base MUOS en Sicile contribue, à n’en pas douter, au futur économique américain. Le futur des Siciliens, quant à lui, plutôt éloigné de la valse des chiffres du PIB, est davantage synonyme de leucémies, cancers multiples à cause des ondes électromagnétiques, divisions sociales entre les pro et les anti-américains,  déchirements éthiques et existences placées sous la menace directe de terroristes (voir par ailleurs mon reportage dans la rubrique Grand Reportages) la région devenant une cible privilégiée et prioritaire en cas de conflit.

 

Revenons toutefois à ce monstre qui, tapi dans une vallée oubliée, irradie le monde d’une chape de plomb. Le MUOS est l’acronyme pour Mobile User Objetive System ; autrement dit : c’est un système de communications satellitaire à haute fréquence. Le dispositif est principalement composé de quatre satellites (plus un en réserve) et de quatre stations terrestres dont la dernière née est sise à Niscemi justement. Les trois autres bases sont installées à Hawaï (île Wahiawa), à Norfolk en Virginie et à Geraldton-Kojarena (Australie). Les satellites sont en orbite géostationnaire et sont dotés de Code Division Multiple Access à bandes larges (WCDMA) avec une vitesse de transmission 16 fois supérieure à celle que nous connaissons dans les systèmes satellitaires Ultra High Frequency (UHF) classiques. Les satellites, au moins deux à chaque fois, se connectent aux bases terrestres du MUOS et quadrillent ainsi toutes les zones d’activités humaines. Ce dispositif observe, écoute et donne des ordres partout dans le monde : la toile  est désormais complètent tissée et active. Selon la Navy, le satellite MUOS 5 a été lancé depuis Canaveral le 24 juin 2016 [3] et il s’est synchronisé en orbite à 35000 km d’Hawaï le 3 juillet 2016 ; veille de l’independance day. Big brother n’est plus un mythe ! Il est là qui dirige et épie chacun d’entre nous  désormais.

 

MUOS donc enveloppe l’Europe d’une cape protectrice façon super héros estampillés Marvel : à la fois cage de Faraday inversée et bouclier de la guerre des étoiles [4]. Dans un discours ambiant toujours plus viril et militaire que les récents carnages de Berlin et d’Istanbul viennent logiquement légitimer, MUOS ne semble déranger aucune nation européenne ; l’Italie la première qui se réjouit d’être selon les termes de l’OTAN « une nation guide ». Ainsi elle – tout comme l’Allemagne en définitive – devient une base arrière américaine active et hors de contrôle de sa souveraineté ; mais il est vrai que l’Italie paye là toujours son statut de vaincue de la Seconde Guerre mondiale. En conséquence de quoi, marquée encore l’infamie de la défaite, l’Italie n’a absolument rien à dire et, contrairement à l’Australie qui bénéficie d’un Memorandum of Agreement (MOA) pour la base MUOS installée sur son territoire, elle ne peut qu’obéir et subir. Quant à la Sicile, malgré son statut d’indépendance relative et son gouvernement autonome, impuissante également, elle ne peut que constater l’évolution du renforcement militaire à Sigonella et à Niscemi. Sebastiano Musumeci, ancien conseiller de la ville de Catane, appartenant à la droite nationaliste abonde forcément en ce sens : « Siamo in guerra ed esattamente come i droni da Sigonella, che partono senza che il Parlamento sia mai stato investito della scelta di partecipare ad operazioni militari, si accende anche il Muos per erigere un monumento alla nostra sovranità violata. Che senso ha progettare il futuro di un territorio e di un popolo se non siamo neppure capaci di salvaguardare la salute dei nostri concittadini ? [5] » Derrière l’existence et la légitimité de cette base secrète, se pose déjà, en filigrane, la souveraineté d’un pays, puis de l’Europe face aux Etats-Unis d’Amérique hégémonistes et dont la seule politique cultuelle et culturelle semble désormais la guerre ; la guerre comme marché économique suprême. Ensuite, se pose la question d’une armée européenne dont personne ne souhaite entendre parler dans les faits ; ce qui renforce la politique américaine qui se présente alors comme la seule alternative face au terrorisme et aux ennemis traditionnels que sont les Russes et leurs alliés.

 

L’aspect opérationnel de MUOS renforce la fonction de l’Italie comme tremplin de lancements des opérations militaires et civiles américaines, puis de l’OTAN éventuellement. La Sicile devient la terre d’où partent les drones en direction du Moyen-Orient, demain vers le Proche-Orient, puis plus tard en direction de l’Afrique. Sans parler de la carte géopolitique de l’Europe de l’Est que Poutine et Donald Trump vont redessiner à grands coups de menaces, de défis de coqs, de sourires entendus, de retour aux nationalismes et de courses au réarmement dont on a vu la première clef de voûte : l’Ukraine. Et qui se joue ces jours derniers avec le renvoi de quelques espions diplomates de part et d’autre de l’Atlantique. Le mur est tombé : on le reconstruit sous nos yeux non plus des briques et des barbelés ou des miradors mais bel et bien avec des ondes tueuses et ordonnatrices de mort.

 

La Sicile prise en otage

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« No war, no Nuke ! » (DR)

L’Italie n’a pas son mot à dire ni sur le « prêt forcé » de son sol ou de son occupation, encore moins sur sa mise en demeure de fournir en sa qualité de nation guide des troupes toujours plus importantes pour préparer les opérations futures comme ce fut le cas pour European Wind 2016 dans la province de Udine, dans le Frioul. On peut également évoquer ici le hub aéroportuaire de Pise d’où décollent quotidiennement les C-130 de l’US Air Force bourrés de matériels et d’armements en direction de la Libye. C’est Silvio Berlusconi qui a signé le premier des accords [6] avec les Etats-Unis en 2001 intéressé par l’activité liée au BTP (cf lire article par ailleurs) ; accords ratifiés et portés ensuite par le socialiste Romano Prodi, ancien président de la commission européenne et président du Conseil italien alors, faisant de la Sicile une otage. Dans quelques temps, pour conforter cet état de fait que nul ne veut considérer, les Américains installeront dans la Péninsule italienne les bombes nucléaires de nouvelle génération B61-12. Aujourd’hui, l’Italie, littéralement saignée comme toutes les nations majeures européennes par l’obligation de juguler ses déficits publics au nom des critères de convergence doit, dans le même temps, augmenter ses dépenses militaires qui sont actuellement de l’ordre de 55 millions d’euros par jour [7] (chiffres OTAN minorés selon les opposants politiques italiens).

 

D’ailleurs, l’actuel président du Conseil italien, Paolo Gentiloni, était en août dernier à Washington pour réaffirmer la primauté de la base de Sigonella d’où partent les drones chaque jour pour bombarder la Libye. Il est loin le temps où ce dernier, journaliste engagé et pacifiste alors, participait au sit-in gigantesque contre l’implantation des missiles américains en Sicile. C’était en 1983 et plus d’un million de personnes manifestaient à Rome au cri de : « No war, no Nuke ! »

Dans ce contexte fragile et de duplicité extrême, de défaite de Matteo Renzi lors du référendum du 4 décembre 2016, la Sicile, éternel parent pauvre d’une Italie morcelée, poursuit sa lente dérive du continent. Sous la cendre du volcan Etna, couve une colère légitime à laquelle viennent se mêler dorénavant toutes les colères et injustices insulaires ; notamment celles de la problématique des migrants (rappelons ici qu’Anis Amri, le dernier suicidé de la société qui a perpétré une tragédie à Berlin a séjourné de nombreuses années en Sicile via Lampedusa, entre centre de rétention de Belpasso à Catane et prison à Palerme, cf voir mes articles par ailleurs). Qu’importe, le 26 et 27 mai 2017 aura lieu le sommet du G7 à Taormine pour évoquer ces problèmes. Et les puissants, entre cassates et visites de l’amphithéâtre grec, ne manqueront pas de les résoudre…

 

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Manif à Syracuse (DR)

C’est donc une parfaite illusion sinon un mensonge éhonté que de croire comme l’a dit le vice-amiral Becker que les « controverses avec les résidents qui ont bloqué l’activation des trois stations de terre de Niscemi ont été résolues. » Depuis plus de dix ans, les résidents locaux luttent contre cette implantation qu’ils jugent illégale. D’abord dans l’ombre, avec très peu de moyens il est vrai, en petits comités restreints, plus proches de la douce rêverie éthérée et folle des Charlots qui s’en vont en guerre que d’un René Char et de tous les activistes européens pour empêcher l’installation des missiles sol-air sur le plateau d’Albion en 1966.

Les associations d’écolos et de randonneurs amoureux de la vallée, de la réserve naturelle, ne pesaient pas lourds dans le bras de fer initial ; il faut bien le dire sans ambages ici : c’est le Far West. L’Armée américaine plante ses barbelés sur les pâtures qui lui sont chères et éliminent les gêneurs. Ne parlons même pas d’autres associations, apparemment moins dangereuses encore que ces doux écolos à la barbe fleurie : celles estampillées « familiales et citoyennes » comme Mamme no muos (maman contre le Muos) par exemple. Tous ont ri à gorge déployée, les Américains les premiers qui n’avaient jamais rencontré d’oppositions aussi fantaisistes dans leur longue histoire impérialiste, sans parler des entrepreneurs locaux heureux de faire des affaires même si placées sous la houlette de la mafia : béton, grillage, routes d’accès : il y a toujours des miettes qui tombent au sol des grands festins. Ce n’étaient donc pas des bonnes femmes qui allaient leur en compter ! 7 milliards d’euros ont été dépensés pour la construction de la base !

 

La lutte s’est organisée méticuleusement cependant. Et c’est d’ailleurs à cela que l’on mesure la justesse d’un combat. Les réseaux se sont consolidés, les relations tissées d’un bout à l’autre de l’île, les savoir-faire échangés d’Amérique du Sud où l’anti-américanisme reprend du poil de la bête à l’Europe centrale qui tourne le dos à une Europe longtemps idéalisée. Il ne s’agit plus là seulement d’activistes ou de gauchistes locaux se jetant sous les camions acheminant du matériel sur la base en construction ou s’attachant au grillage comme on a pu le voir sur des clichés choc, non, c’est la Sicile entière qui prend à partie les gouvernements successifs et l’Europe sourde et aveugle rappelant qu’il est inscrit dans la constitution italienne : « L’Italie répudie la guerre en tant qu’instrument d’atteinte à la liberté des autres peuples et comme mode de solution des conflits internationaux ; elle consent, dans des conditions de réciprocité avec les autres Etats, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les Nations ; elle aide et favorise les organisations internationales poursuivant ce but. [8]  »

 

Les Siciliens refusent cette tutelle unilatérale qu’ils considèrent comme un asservissement complet. Sans parler de la mort qui est donnée à partir de leur île via les drones notamment. Ils se rappellent avec lucidité et colère des représailles du dictateur Khadafi au bombardement de son palais par les aéronefs américains le 15 avril 1986. En effet, ce dernier avait envoyé deux scuds en direction des stations de l’us coast guard de Lampedusa ; faute de combustible suffisant les missiles s’étaient abîmés en mer et tous en avaient remercié les saints insulaires. Le peuple sicilien n’est fondamentalement pas un peuple guerrier, mais il est un peuple résistant par essence, les envahisseurs qui se sont succédé en attestent durablement. Le peuple sicilien ne veut pas être la sempiternelle colonie de l’Italie, de l’Europe et encore moins des Américains. Par ailleurs, il se rappelle que tant de ses fils ont essaimé dans le monde entier à la recherche d’eldorado et de fortunes diverses et qu’aujourd’hui, ils sont des millions d’Ulysse à venir s’échouer en retour sur son île via cette même Lampedusa autrefois visée par le dictateur libyen. Alors si l’accent militaire et guerrier ne convainc pas, le peuple sicule va focaliser la lutte autour du pôle de la santé ; une problématique majeure de nos jours partout en Occident. Des études indépendantes démontrent que les taux de leucémies et de cancers ont explosé dans la région : conséquences directe des ondes et des expérimentations militaires ? Les spécialistes de la santé entrent de plain pied dans la bataille : ceux officiels vs ceux officieux, les agences d’Etat et les officines payées par les opposants : comme dans les films hollywoodiens, tous les coups sont permis, toutes les bottes secrètes mis au jour et tous les bilans suspects. Les rapports sont dûment épluchés devant les tribunaux, validés, invalidés, rejetés, interjetés, en appel ou non, et placés aux oubliettes de l’histoire car viciés sous leur forme. Pendant ce temps-là, les maladies augmentent dangereusement. Sûrement à cause de la malbouffe. C’est qu’en Sicile on mange également des Pizzas aux frites ! Et l’on voudrait faire croire que les vessies sont devenues lanternes quand il ne s’agit ici que de se remémorer des Catilinaires de Cicéron ; répétitive Histoire pleine de hoquets.

 

Le Sicilien refuse de s’étrangler lui-même !

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De possibles effets négatifs sur la santé des hommes (DR)

La liste des arguments et des alertes diverses ne cesse de croître : ainsi, si le critère écologique d’une réserve naturelle menacée, avec des conséquences directes sur les espèces végétales et animales avérées ne suffisent pas, le caractère militaire est mis en avant ! Ce dernier  ne suffit-il pas à alerter l’opinion nationale et mondiale ? Voici que celui de la santé s’avance alors mis en exergue ici et là. C’est donc pêle-mêle, d’autres activistes, d’autres citoyens responsables, des militants de tous bords, de simples résidents, qui vont, avec leurs armes, leurs spécificités juridiques, leurs connaissances des méandres administratives locales, régionales et européennes, entrer dans la bataille. Signalons les associations anti-mafia dont Rita Atria est le fer de lance fiché dans le flanc de Cosa Nostra qui va notamment poursuivre les entrepreneurs à la solde des Américains. Le béton a désormais un goût amer. Ce ne sont pas les opposants inquiétés par le passé qui le crient la bouche tordue de colère sourde dorénavant. En effet, en janvier 2017, ils seront plusieurs prévenus à être jugés pour collusion mafieuse et détournements fiscaux, puis infractions à l’environnement ; voir crimes écologiques. Evoquons encore cette association des mères siciliennes, mamma/e no muos, qui prêtait à sourire à ses débuts dans l’arène. Pensez donc ! Des mamma(n)s sicules, façon Mamma Lucia de Roberto Puzo, fichus noirs sur la tête, rouleau à pâtisserie dans la main, pirates bottant le cul des GI’s en hystériques insulaires… Les topoï ont la vie dure… Ces mères, modernes, responsables, ont dit non à un avenir plein de menaces pour les enfants qu’elles portaient en leur sein. Les voir s’époumoner, affirmer la société matriarcale sicule, a attiré l’attention de tous sur leur combat. Le caractère sacré ici plus qu’ailleurs de la femme, de la mère et de l’enfant, a fait le reste immanquablement ; les phallocrates en furent quittes pour un haut-le-cœur en bonne et due forme. Tout compte impérieusement dans ce combat digne de David et Goliath. Le fait de voir également dans les parties civiles des procès à venir des associations qui touchent tous les secteurs socio-professionnels telles ROMANO ONLUS ou C.I.G.N.O (Comment Imaginer la Gestion d’une Nouvelle Oncologie) ONLUS ajoutent du poids aux dires des opposants, renforcent la justesse d’un combat et achève de faire basculer même les plus sceptiques dans la bataille. Legambiente Sicilia, WWF Italie, Codi Onlus, Arci Sicilia, CODACONS, Italia dei valori, Astra, etc… tous sont partie civile et démontrent que le combat n’est plus cantonné à une idéologie sommaire et futile : pour ou contre les soldats américains sur le sol sicilien.

 

Rappelons ici quelques faits majeurs qui donnent la dimension d’un combat épique qui se livre à nos portes, qui nous concerne tous et que nul n’évoque dans la presse nationale : le 6 octobre 2012, le Parquet de Caltagirone ordonne la mise sous séquestre de la base MUOS de Niscemi. Mise sous séquestre annulée le 28 octobre 2012. En janvier 2013, le nouveau président de la Région Sicile, Rosario Crocetta demande la suspension des travaux en cours tant que ne sont pas officialisées les études sur la santé des résidents. L’île s’enflamme : le milieu politique entre dans la danse à tous les échelons, la société sicilienne est témoin active et passionnée, la société du spectacle s’empare d’un sujet qu’elle juge éternel : le pot de fer contre le pot de terre. Le 29 mars 2013, la Région Sicile révoque l’autorisation d’implanter la base sur son sol. Le 9 juillet, le tribunal administratif régional de Palerme sous la pression du gouvernement révoque à son tour cette décision. Le 13 février 2015, autorité supérieure, le Tribunal Administratif Régional révoque la sentence du TAR de Palerme retenant de possibles effets négatifs sur la santé des hommes, une menace certaine sur le trafic aérien et réclame des approfondissements en la matière. Le 4 septembre, le Ministère de la Défense pose un recours qui est rejeté le 25 janvier par la cour de Cassation. Le 26 février 2016, un juge ordonne la mise en activité des antennes et paraboles de la base afin de tester à l’échelle leur éventuelle nocivité. Le 6 mai, le CGA (Conseil de Justice Administrative de la Région Sicile) retient le caractère non dangereux des ondes émises sur la santé et ordonne donc logiquement la réouverture de la base. D’aucuns crient à la farce en essayant de démonter que seulement deux paraboles sur trois fonctionnaient et ce de façon minimale au moment des tests. Quant aux antennes, elles n’étaient pas toutes actives en raison de « pépins techniques » ; comme par hasard. Le jeu du chat et de la souris se poursuit dans l’ignorance la plus complète et le mépris des lois Européennes. L’attention  des Européens est attirée par la cavale d’Anis Amri : a-t-il pris un bus, un train ? Est-il passé par la Hollande ? Chambéry ? Il se vend en cette fin d’année plus de jeu Cluedo que de Risk !

 

On le constate sans grande difficulté notoire : « les petits soucis avec les populations locales sont derrière nous » comme l’a dit hypocritement le vice-amiral Becker. Quelques mois auparavant le Time titrait : « Why the U.S Military’s New Global Communications System Has been Held Back by Protesters in Sicily ? [9]» Dans cet article, on refait la genèse de cette lutte exotique et les parties en présence s’affrontent à qui l’on donne volontiers la parole ridiculisant le débat et les enjeux : d’un côté Jeffrey Galvin, porte-parole de l’Ambassade américaine de Rome, rappelle que tous les tests de dangerosité ont déjà été effectués en Virginie, Australie et Hawaï. Il ne rappelle pas en revanche que ces endroits sont pourtant désertiques. Même le professeur Casale Salvatore, de l’Université de Catane, un autochtone, est cité lui qui réaffirme également la non dangerosité des ondes et ramène le problème à un simple conflit entre les Anciens et les Modernes : préfèreriez-vous garder votre portable NOKIA 3310 des années 90 ou celui plus puissant et fonctionnel d’aujourd’hui de type i-phone ou Galaxy Samsung, demande-t-il ? Face à eux, Marianna Garofalo de Mamme no numos et Antonio Mazzeo, journaliste indépendant et porte-parole des opposants ; ce dernier que j’ai rencontré en 2013 et interviewé avant de finir au poste (cf voir article-interview par ailleurs). Il est bien des Samsung Galaxy note 7 qui prennent feu en définitive et menace notre sécurité, pourquoi cette base fourre-tout ne serait-elle pas un poison après tout ? La base est composée de 46 antennes NTRF ; de quoi palabrer à l’infini sur les bienfaits de la communication.

Mensonges et raison d’Etat

Les analyses et études de santé publique l’ont pourtant démontré : les ondes électromagnétiques, tout comme les taux de sécurité prévus et autorisés par la loi italienne, seront dépassés par ce nouveau dispositif aux paraboles géantes (plus de 20m de diamètre). A 135 km de distance, elles sont encore supérieures aux normes européennes et italiennes. Peu importe que quelques populations locales vivent dans un micro ondes. Ensuite, le principe de précaution ne prévaut pas ici ; mais la loi italienne n’est pas la loi française en la matière. Le saut dans l’inconnu est donc entériné ; advienne que pourra. Les recours se poursuivent et 2017 sera encore une année judiciaire autour de MUOS. En attendant, la base américaine sous statut partiel OTAN est opérationnelle, et elle vient, comme Guantanamo, titiller nos consciences. Car qui se souvient qu’un rapport d’Alberto Gonzales le 25 janvier 2002 proposait au président américain le réexamen pur et simple de la convention de Genève ne s’appliquant pas aux talibans ni aux combattants d’Al-Qaida : «  Comme vous le savez la guerre contre le terrorisme est un nouveau type de guerre. Ce n’est pas un affrontement traditionnel entre nations qui adhèrent aux lois de la guerre, sur lesquelles repose la Convention sur les prisonniers. La nature des lieux de cette guerre nouvelle appelle d’autres considérations  importantes, telles que l’aptitude à obtenir des informations rapides des terroristes capturés pour éviter de nouvelles atrocités contre les civils américains, et la nécessité de traiter les terroristes coupables de crimes de guerre comme s’il s’agissait d’assassinats cruels de civils. A mon avis, ce nouveau paradigme rend obsolètes les limites  strictes imposées  par Genève sur les interrogatoires des prisonniers ennemis. [10]» La problématique est absolument la même ; elle en découle même directement. Peu importe les cancers de la peau, les menaces directes sur la population locale d’oiseaux, de la faune et de la flore : ils font immanquablement partis des pertes et profits ou des dommages collatéraux, métaphore militaire oblige. Ce qui compte et légitime aux yeux du monde occidental cette base, c’est la sécurité commune et la lutte contre le terrorisme planétaire. Si demain les ondes présenteront une menace directe pour le trafic aérien entre Catane et Comiso, rappelant ainsi la tragédie toujours inexpliquée à ce jour d’Ustica [11], qui s’en souciera ? On ne fait pas d’omelettes sans casser d’eux non ?!

Selon des études relatives à l’impact des ondes émises effectuées par deux sociétés américaines : Analytical Graphics Inc et Maxim System les émissions électromagnétiques ultra-puissantes peuvent déclencher la mise à feu des systèmes d’armes à bord des avions militaires. Les courriers civils portés disparus ou abîmés en mer ces derniers temps ont peut-être trouvé là une concurrence accrue à leur art de la disparition. De plus, les paraboles du MUOS seraient étroitement liées à un projet ultra secret HAARP (Pour High frequency Active Auroral Research Porgram). Un programme que le parlement européen a de façon euphémistique qualifié de « dangereux » pour l’homme et pour l’environnement en demandant fort civilement aux Etats-Unis de l’interrompre ; une requête toujours ignorée par la plus grande démocratie du monde et la Commission Européenne. Quoi qu’il en soit, suite à la publication d’articles militants sur Alaska Public Media, le programme HAARP en Alaska a été fermé pour des raisons de budgets et de pollution (sic !). Reagan l’avait rêvée cette guerre des étoiles ! Elle est là qui se met en place avec tant d’inconnues qu’on ne peut pas ne pas songer aux apprentis sorciers et à leurs créatures monstrueuses hors de contrôle. Des étoiles à d’autres étoiles, il n’y a également qu’un pas désormais tant le sujet est devenu un enjeu politique majeur : Beppe Grillo, le leader du mouvement populiste 5 étoiles, ne cesse de montrer de l’intérêt pour cette résistance et ce mouvement populaire. No Muos préfigure bien des combats sur la même problématique de mise en danger de l’humanité et la remilitarisation, aussi bien civil que militaire : comment ne pas songer à Bure en Meuse, à toutes ces bases qui ne sont plus sûres en Turquie, à ces autres qu’il faut (re)consolider  en Europe Centrale ? Pourquoi Les Echos[12] relataient hier, le 30 décembre, l’inquiétude de la Suède devant la Russie et son désir de passer commande auprès d’un missilier d’armes air-sols capables de rayer de la carte l’Europe entière ? On le voit avec inquiétude l’effet papillon existe bel et bien : parti d’une minuscule réserve naturelle de Sicile, il se propage au reste du monde. Le friselis sur les ondes du large devient une vague géante arrivée sur les côtes.

 

Jean-François Patricola, 31 décembre 2016.

________________________________________

[1] www.csis.org/events/role-space-maritime-operations-rear-admiral-christian-becker
[2] www.lockheedmartin.com/us/products/mobile-user-objective-system–muos-.html
[3] nasatech.net/ntMUOS-5_PAGE.html
[4] www.public.navy.mil/spawar/PEOSpaceSystems/Pages/MUOS.aspx
[5] « Nous sommes en guerre et c’est exactement comme les drones qui décollent de Sigonella, qui partent sans même que le Parlement n’ait été convié à décider de participer ou non aux opérations militaires. On active également le MUOS pour ériger un monument à notre souveraineté violée. Quel sens cela a-t-il de projeter le futur d’un territoire et d’un peuple si nous ne sommes même pas capables de sauvegarder la santé de nos concitoyens ? » (N.B : traduction de l’auteur)
[6] On lira également les articles que j’ai publiés sur l’hypothétique construction d’un pont entre la Sicile et l’Italie voulue par Berlusconi et qui lui a valu des milliers de voix dans une Sicile où le chômage est roi, ainsi que celui dédié à la vente aux pétroliers du canal de Messine pour le sonder.
[7] La dépense militaire en France est estimée à 109 millions d’euros par jour en 2016. Dans le Point.fr en date du 29 décembre 2016, Bernard Cazeneuve, 1er Ministre en visite au Sahel a réitéré sa vision du problème : « Notre pays devra continuer à faire des choix budgétaires ambitieux et lucides au profit de nos armées. Il devra soutenir de façon durable l’effort qui a été engagé sous c quinquennat en faveur de la défense et de la sécurité de la France. Nous devons nous préparer à une guerre longue dans un environnement stratégique profondément modifié et aucun gouvernement ne pourra jamais s’exonérer d’une telle responsabilité. Partout nous devons combattre les groupes terroristes avec obstination jusqu’à leur défaite complète. (…) Le budget de la Défense augmentera de 3,8 milliards pour la période 2015-2019 »
[8] Article 11, Constitution de 1947, promulguée le 1er janvier 1948.
[9] Edition du 17 mars 2016, article signé.
[10] Daniel Bensaïd, Eloge de la politique profane, Albin Michel, collection Bibliothèque Idées, 2008, p. 63.
[11] Le 27 juin 1980, un Douglas DC-9 de la compagnie italienne Itavia s’abîme mystérieusement en mer, entre Ustica et Ponza, après qu’il a décollé de Bologne pour l’aéroport de Palerme faisant 81 victimes. En 2007, alors que la Justice italienne poursuit son travail, l’ancien président de la République italienne Cossiga affirme sous serment qu’il s’agit d’un missile air ar français destiné à abattre l’avion du dictateur libyen Kadhafi. Puis d’autres hypothèses sont révélées lors d’enquêtes contradictoires : il s’agit d’un missile tiré par un aéronef de l’armée américaine, des ondes des différents radars nombreux en Méditerranée qui ont brouillé les appareils de télémétrie du vol, d’un aéronef furtif américain qui a percuté le vol civil italien. Quelle que soit la réalité, les différentes hypothèses ont démontré que l’activité aérienne militaire et civile est trop dense pour ces couloirs civils. Que dire aujourd’hui alors que le Moyen-Orient est à feu et à sang, que la Turquie inquiète l’Europe et les Américains, que des navires patrouillent en sus des aéronefs et des radars pour intercepter les terroristes à bord de chaloupes pleines de migrants ?
[12] www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/0211646660825-le-missilier-mbda-en-lice-pour-un-gros-contrat-en-suede-2053611.php

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