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Le magnétisme, les « magnétiseurs » et la science : cherchez l’intrus

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Les mains des « magnétiseurs », comme celles des autres humains, ne génèrent pas de champs magnétiques.
Pixabay

Théo Mathurin, École Centrale de Lille

De nos jours, la question de la perception des concepts et de la pratique scientifiques par le grand public revêt une importance certaine. Pour un chercheur, s’intéresser à cette question est une expérience enrichissante qui pourra réserver quelques surprises. Pour ma part, ayant travaillé dans le domaine du magnétisme lors de mon doctorat, j’ai été plus d’une fois interpellé par le fait que pour certaines personnes, la première chose qu’évoque le mot magnétisme est la pratique des « magnétiseurs ».

Vous avez dit magnétisme ?

De fait, si on considère que les requêtes Google reflètent bien l’image que le grand public se fait du concept de magnétisme, il semble effectivement que la physique soit sérieusement concurrencée par ce que l’on appelle la pseudo-science.

La moitié des requêtes Google autour du magnétisme sont liées à des notions pseudo-scientifiques, ou du moins qui n’ont rien à voir avec le magnétisme physique.

Les pages web les plus visibles regorgent de contenus qui laisseront un magnéticien perplexe. Du côté des médias audiovisuels publics, on trouvera également des émissions radio (ici, sur France Inter) et télévisées (par exemple sur France 2 et France 3) qui reprennent à leur compte l’appellation de « magnétiseurs » et présentent ces pratiques sous un jour favorable.

En dépit de son aura de mystère, le champ magnétique est une grandeur physique parfaitement comprise, que l’on sait créer et mesurer depuis bien longtemps. Conséquence directe de la relativité, les champs magnétiques peuvent être produits par la matière aimantée ou par les courants électriques… mais certainement pas par nos mains. Ainsi, on sait de longue date que les magnétiseurs ne travaillent pas avec des champs magnétiques. Dès lors, on peut se poser la question suivante : pourquoi parle-t-on encore de « magnétiseurs » aujourd’hui ?

La pratique des magnétiseurs est certes étrangère au magnétisme décrit par la physique, mais c’est bien un autre « type » de magnétisme qu’ils entendent manipuler : le magnétisme animal. Pour comprendre ce dont il s’agit, il faut remonter au XVIIIᵉ siècle – époque où les phénomènes électromagnétiques intriguaient profondément l’Europe – et s’intéresser à un certain Mesmer.

Le magnétisme selon Mesmer

Franz-Anton Mesmer était un médecin ayant étudié à Vienne, où il obtint son doctorat intitulé De l’influence des planètes sur le corps humain… C’était bien un autre temps pour la médecine qui n’avait pas encore complètement intégré la méthode scientifique. Il développa par la suite une technique thérapeutique de manipulation du « fluide magnétique » (y compris sans l’aide d’aimants) en considérant la maladie comme un déséquilibre de ce fluide qui serait à l’origine de tous les mouvements de la nature. Mesmer émigre alors à Paris en 1778, où il rencontre rapidement du succès jusqu’aux plus hautes sphères de la société. Il met en place des séances collectives autour de baquets en bois contenant de l’eau « magnétisée », où les sujets expérimentaient des « crises magnétiques » contagieuses, associées au processus de guérison.

Les pratiques de Mesmer sont accueillies avec beaucoup de scepticisme par l’Académie des sciences et la Société royale de médecine qui rejettent ses sollicitations. Troublé par le phénomène Mesmer, Louis XVI ordonne en 1784 deux commissions – auxquelles participeront Antoine Lavoisier et Benjamin Franklin – pour enquêter sur ces étranges séances magnétiques. Étudiant la pratique de Deslon, disciple de Mesmer, les enquêteurs mettent en place des essais en aveugle dont les résultats s’avèrent négatifs. Ils concluent alors à l’absence de fondements du magnétisme animal, puisque « l’imagination sans magnétisme produit des convulsions… le magnétisme sans imagination ne produit rien ». Cela pourra évoquer un concept précurseur de ce qu’on appelle couramment aujourd’hui l’effet placebo, qui reste d’ailleurs souvent mal interprété. Plus tard, suite à des conflits avec ses disciples et une réputation ternie, Mesmer quitte Paris pour retourner à Vienne.

Un magnétiseur avec une patiente.
Wikimédia

Aujourd’hui figure emblématique du charlatan, Mesmer a toutefois eu une influence considérable. Si la pratique des magnétiseurs a beaucoup évolué depuis son temps, c’est bien lui qui a contribué à diffuser le concept de magnétisme animal, ou mesmérisme. On parle bien d’ailleurs du magnétisme d’un orateur, et l’anglais a même verbalisé son nom : to mesmerise signifie fasciner ou hypnotiser.

Des ondes guérisseuses ?

Mettant de côté la question de l’efficacité de la pratique des magnétiseurs, on peut légitimement se poser des questions sur ce « magnétisme animal » qu’ils entendent manipuler. Car cette grandeur s’est avérée insaisissable : il demeure aujourd’hui indétectable pour tous nos appareils de mesure et… pour les magnétiseurs eux-mêmes ! C’est du moins ce que suggèrent les expérimentations effectuées en double-aveugle en suivant les protocoles établis par l’Observatoire Zététique.

À ce stade, notons qu’une véritable mise en évidence d’une nouvelle force produite par le corps humain constituerait un bouleversement scientifique considérable, bien au-delà de la médecine. Étant donnés la cohérence et le succès de nos théories physiques actuelles, il convient de disposer de fortes motivations – c’est-à-dire de preuves solides de l’existence du phénomène nouveau – avant de tout remettre en cause. Face à l’absence de telles preuves, il n’y a tout simplement pas de raison de croire en l’existence du magnétisme animal. De fait, ce concept est complètement absent de la physique, la biologie et la médecine contemporaines, à l’instar de toutes les variantes de « force universelle » ou « vitale », comme le qi (ou chi) chinois.

BD inspirée d’une discussion réelle.
Fournie par l’auteur.

La confusion dans l’esprit du public non averti est entretenue par ceux qui détournent la terminologie scientifique et parlent de flux, de forces, d’ondes ou d’énergies afin de donner une caution à leur pratique. Contrairement à l’astrologue qui malgré son approche pseudo-scientifique s’intéresse vraiment aux astres, le magnétiseur ne travaille pas avec les champs magnétiques. Que penserait-on d’un « électriseur » qui n’utiliserait même pas l’électricité ?

Par souci d’honnêteté intellectuelle et dans le but de favoriser la culture scientifique, on peut considérer qu’il serait souhaitable que les magnétiseurs cessent de revendiquer la notion de magnétisme. Ainsi, plusieurs appellations déjà usitées remplaceront avantageusement celle de « magnétiseur » : selon les cas, les termes de guérisseur, rebouteux ou même sorcier pourraient convenir.

The ConversationEnfin, même en présence de vrais champs magnétiques, les applications thérapeutiques demeurent limitées, quoi qu’en disent les partisans de la magnétothérapie. Pour la réduction de la douleur par exemple, les champs magnétiques statiques ne font pas mieux que le placebo.

Théo Mathurin, Doctorant en physique des matériaux et nanotechnologie, École Centrale de Lille

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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