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L’habénula, petit pois dans le cerveau, pèse lourd dans la dépression

Jonathan Roiser, UCL

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Le cerveau et l’habénula (photo wikimedia.org)

Une minuscule zone du cerveau, appelée habénula, pourrait bien être à l’origine des symptômes de la dépression, qui peut avoir des effets dévastateurs sur la vie des gens. Malgré sa petite taille – à peine 3 millimètres de diamètre –, des spécialistes pensent que l’habénula joue un rôle important dans le déroulement d’expériences négatives. Une théorie développée au cours des dernières années donne à penser que l’habénula est hyperactive chez les personnes déprimées.

Notre toute dernière étude est susceptible de remettre cette théorie en question. Non seulement nous avons trouvé que ce n’était pas le cas, mais l’habénula a répondu, chez les personnes déprimées, de façon exactement contraire à ces prédictions.

Les résultats de nos travaux montrent que le rôle de l’habénula est perturbé dans la dépression, mais pas comme on s’y attendait. Si, en fait, l’habénula répond de façon aussi anormale, il faut chercher pourquoi il en est ainsi et comment cela se rapporte à la façon dont se sentent et pensent les personnes déprimées. Voilà qui peut se montrer capital pour la mise au point de nouveaux traitements.

Même les lamproies ont une habénula.
Dave Herasimtschuk/Flickr, CC BY

L’habénula est une structure ancienne (en termes d’évolution) située en profondeur au milieu du cerveau. Elle est intimement connectée à d’autres régions importantes, comme les noyaux contenant les neurones à dopamine et à sérotonine. Et ceux-là influent profondément sur l’émotion et le comportement. Toutes les espèces vertébrées possèdent une habénula, même la lamproie, qui est apparue avant les dinosaures. En conséquence, on a pensé depuis longtemps que l’habénula jouait un rôle fondamental dans les fonctions du cerveau et du comportement.

Lors de la décennie écoulée, les neuroscientifiques se sont montrés de plus en plus intéressés par la fonction de l’habénula, en partie à cause de la publication d’un article fondateur sur les singes. En se focalisant sur une zone particulière de cette structure (l’habénula latérale), les auteurs ont démontré une interaction remarquable entre l’habénula et les neurones dopaminergiques.

Lorsqu’ils stimulèrent les neurones de l’habénula et enregistrèrent en même temps les neurones à dopamine, l’activité de ces derniers chuta de façon importante. On sait que les neurones à dopamine s’excitent quand des choses favorables arrivent de façon inattendue (on appelle cela une « erreur de prédiction positive »). Cela a conduit à l’hypothèse suivante : les neurones de l’habénula pourraient aussi réagir quand de mauvaises choses interviennent sans qu’elles ne soient prévues (soit une « erreur de prédiction négative »). Cette relation yin et yang entre l’habénula et les neurones à dopamine a été confirmée dans un autre article, venant du même groupe, deux ans plus tard.

Impuissance acquise

Séparément, d’autres groupes de chercheurs ont investigé la fonction de l’habénula chez des rats à qui avait été enseigné une « impuissance acquise ». Une recherche conduite dans les années 1960 chez des chiens a montré que ces animaux exposés à des chocs électriques impromptus sur lesquels ils n’avaient aucun contrôle n’essayaient pas de s’enfuir même s’ils en avaient la possibilité. Cependant, des chiens capables de stopper lesdits chocs en pressant un levier avaient bien essayé de s’échapper. Cette impuissance acquise sert de modèle pour la dépression.

Expérimenter sur les rats a montré un lien entre activité de l’habénula et la dépression, mais pas dans tous les cas.
Levorian/Wikimédia, CC BY-SA

Chez certains rats élevés pour être vulnérables à cette impuissance acquise, on a trouvé une activité plus importante dans l’habénula latérale. Inversement, inhiber l’habenula avec des médicaments protégeait de l’impuissance acquise. Une étude plus récente a prouvé que les neurones reliant l’habénula latérale au noyau à dopamine étaient suractivés chez les rats impuissants.

Ces résultats, avec d’autres, ont été synthétisés en une théorie qui a fait école, celle des symptômes dépressifs. Si l’habénula latérale encode des événements négatifs et stoppe les neurones à dopamine, peut-être une habénula perpétuellement hyperactive peut-elle déclencher certains symptômes dépressifs, par exemple l’anhédonie (perte d’intérêt ou de plaisir dans des activités jusqu’alors agréables) ou un état d’esprit pessimiste.

Les recherches sur l’habénula humaine, toutefois, ont été assez en retard sur les études effectuées sur les animaux. En conséquence, jusqu’à une date récente, la théorie de l’habénula hyperactive dans la dépression n’a jamais été expérimentée directement. En partie parce que la mesure de cette minuscule zone chez l’homme est techniquement très difficile et requiert une méthode spéciale d’imagerie du cerveau à haute définition (pour exclure la possibilité que les résultats soient contaminés par l’activité de régions voisines).

Dans un article publié il y a deux ans, nous avons utilisé cette procédure afin de démontrer que l’habénula réagissait chez des volontaires en bonne santé s’attendant à recevoir une décharge électrique douloureuse sur laquelle ils n’avaient aucun contrôle. Et plus ce choc était probable, plus l’habénula réagissait exactement à ce que l’on aurait prévu lors d’une recherche animale. Tel fut l’élément précurseur de notre étude, publiée récemment, qui a expérimenté directement la théorie selon laquelle l’habénula est hyperactive dans la dépression.

Tester la théorie chez les humains

L’imagerie cérébrale a permis de tester la théorie de l’habénula.
Institut Douglas/Flickr, CC BY-NC-ND

Nous avons soumis à nos tests 25 personnes souffrant de dépression dont aucune ne prenait de médicaments, et nous avons comparé avec 25 volontaires en bonne santé et jamais déprimés. Tous ont été confrontés à différents scanners cérébraux à haute définition. En nous basant sur la théorie décrite plus haut, nous avons prédit que les participants déprimés auraient une habénula hyperactive, que ce soit au repos (étendus sous le scanner en ne faisant rien) ou bien dans un état d’anticipation à un choc électrique) ou peut-être bien les deux. Mais nous nous sommes trompés dans nos prédictions.

L’habénula au repos a été très semblable dans les deux groupes. Encore plus surprenant, quand l’habénula était activée en état d’anticipation, son état était radicalement inverse à celui des volontaires en bonne santé. Au fur et à mesure que les chocs électriques devenaient plus probables, l’activation de l’habénula a, en fait, diminué.

Il s’agit là seulement d’une étude réduite mais si nos résultats sont justes, il faudra revoir sérieusement la théorie d’une habénula hyperactive dans la dépression.

Comme beaucoup de recherches, notre étude soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. La fonction de l’habénula revient-elle à la normale quand les personnes guérissent de leur dépression ? Si les participants avaient été capables de réussir à éviter les chocs électriques, les résultats auraient-ils été différents ? Et le facteur le plus important, le fonctionnement anormal de l’habénula peut-il prédire la façon dont une personne va réagir à des antidépresseurs ou à une psychothérapie ?

Compte tenu de l’intérêt théorique, expérimental et clinique de l’habénula, il est probable qu’à l’avenir, nous entendrons encore davantage parler de ce minuscule morceau du cerveau pas plus gros qu’un petit pois.

The Conversation

Jonathan Roiser, Professor of Neuroscience and Mental Health, UCL

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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