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Déficit de l’Etat : petit cours de compta de Christian Eckert

L’ancien secrétaire d’Etat au budget ne décolère pas après la publication de l’audit de la Cour des comptes et de l’exploitation politique qui est faite des chiffres. Il l’écrit sur son blog dans un article intitulé « Audit de la Cour, quelques réflexions assumées ».

Par Christian Eckert

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget
Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au Budget

« La communication est un art où excellent les équipes du Président. Sans foi ni loi, ils ont fait fuiter dès mardi des chiffres bien choisis du rapport de la Cour [des comptes]. Ils n’ont même pas eu la politesse de donner aux anciens Ministres communication du rapport, même sous embargo. Les journalistes l’avaient pourtant reçu avant sa mise-en-ligne…

Des chiffres bruts lancés pour le « teasing », des propos ministériels indignés, une présentation à charge, un séminaire décentralisé pour convenir de la suite à donner… Le tour est joué, l’opprobre est jeté, et l’opinion – comment ne s’indignerait-elle pas – est préparée à des décisions gouvernementales qui n’auront officiellement pour seule origine que l’inconséquence des prédécesseurs.
Le déficit d’un pays ne se calcule pas comme une simple différence entre les recettes et les dépenses comme le solde d’un compte bancaire. Certaines dépenses ne sont pas prises en compte, certaines recettes non plus. L’INSEE, le comptable national indépendant, EUROSTAT, son équivalent européen, et quelques autres structures techniques mettent plusieurs mois, après la fin d’une année, pour calculer le déficit maastrichtien exprimé en pourcentage du PIB. Ces mêmes organismes recalculent et modifient périodiquement ces résultats, parfois même deux ans plus tard. Personne n’en parle, alors qu’à l’inverse, les prévisions font régulièrement les titres de la presse, autant de fois d’ailleurs qu’elles sont révisées par les nombreux experts existants.

Humilité…

En mai 2016, on pouvait lire dans Les Echos : « … L’Insee a fortement révisé à la hausse la croissance de l’année 2014. Alors que la première estimation publiée il y a un an donnait une augmentation de seulement 0,2 % de la richesse produite en 2014, le PIB a en fait progressé de 0,6 %. Et il ne s’agit pas des chiffres définitifs. Ces derniers ne seront connus qu’en mai 2017… ». Voilà qui devrait inciter y compris les magistrats de la Cour des Comptes à plus d’humilité. Ils prétendent, alors que l’année n’en est qu’à sa moitié, calculer un résultat qui ne sera définitivement connu que bien plus tard !
C’est une première raison de regarder l’audit de la Cour avec un peu de circonspection. Mais il en existe beaucoup d’autres. Citons-en ici quelques-unes :

  • L’affaire Areva pour laquelle on voudrait faire croire que le duo Sapin-Eckert aurait caché 2.3 Milliards de dépenses certaines. C’est scandaleux et mensonger. Pardon de devoir faire – de façon simplifiée- un peu de pédagogie de comptabilité maastrichtienne : Si un Etat dépense de l’argent pour investir dans une entreprise, ce débours n’est pas comptabilisé comme une dépense au sens de la comptabilité européenne, car les actions reçues en échange augmentent le patrimoine et leur revente peut, à tout moment, annuler la sortie d’argent. Sauf que ceci ne vaut que pour des investissements « avisés », c’est-à-dire dans des sociétés ayant quelques critères de durabilité. Sinon, l’investissement est considéré comme une aide d’Etat, donc une dépense. Nous savions -et l’ex Ministre de l’Industrie Macron plus que d’autres- que les recapitalisations de sociétés issues d’Areva et liées pour certaines à EDF, pourraient être requalifiées, en partie sûrement, par Bruxelles en « vraies » dépenses. Nous l’avons écrit dans nos documents budgétaires, en avons informé le Parlement comme la Commission. Les recapitalisations complexes en cause faisant aussi l’objet de partenariats privés et de négociations confidentielles, la proportion prise en compte comme une dépense par la commission ne nous étant pas connue, nous n’avons pas mis de chiffrage. Mais rien n’a été dissimulé.

Réserve de précaution

 

  • La Cour des comptes et le Gouvernement n’évoquent quasiment pas l’existence de la « réserve de précaution ». Là encore, un peu de pédagogie s’impose : tous les ans, une partie des crédits votés fait l’objet d’un « gel ». Ils ne peuvent être dépensés par les Ministères sauf autorisation de Bercy. Les gels de crédits sont répartis entre les Ministères en tenant compte de la nature de leurs dépenses. La masse salariale en est exemptée. Seuls les dépenses « pilotables » sont concernées. Cette procédure est habituelle, connue du Parlement qui en est informé. Au fil de l’année, les crédits gelés peuvent être dégelés en cas de besoin, annulés parfois pour réduire le déficit, et servent à assurer la fin de gestion pour couvrir les dépassements. Par exemple, les dépenses liées aux opérations extérieures conduites par le Ministère de La Défense, fluctuantes et volontairement peu détaillées pour raison de confidentialité, sont largement prises en compte par la réserve de précaution. Il en va régulièrement de même sur des dépenses décidées en cours d’années, pour répondre à des situations peu prévisibles. On peut citer par exemple les calamités agricoles, les créations d’emplois aidés, le plan de lutte contre le terrorisme, les 500 000 formations mises en œuvre avec les Régions… Cette année 2017, la réserve de précaution s’élève à plus de 13 Milliards, un montant inégalé. Elle servira comme d’habitude à couvrir les dépassements.

    Sous tension

     

  • Le Gouvernement estime que 8 Milliards vont manquer pour atteindre l’objectif du PLF 2017 qui visait un déficit de 2.8% du PIB. Le premier Ministre et le Ministre des comptes publics n’étant jamais intervenus dans un débat budgétaire au Parlement, ils peuvent jouer les vierges effarouchées. Chacun avait compris que l’objectif affiché à 2.8% avait comme but principal de mettre tout le monde sous tension pour assurer les 3% qui correspondent à notre engagement international. Ce n’est donc en fait qu’autour de 4 Milliards de mesures qui sont nécessaires pour contenir à 3% le déficit public. C’est en fait la même situation que ces trois dernières années. Ni plus, ni moins. Et nous l’avions clairement indiqué à la commission lors de l’envoi du Programme de Stabilité. Et en 2014, 2015 et 2016, à mi-année, nous avions mis en œuvre ce volume de mesures qui nous a permis peu ou prou, d’atteindre nos objectifs.

Les impasses

Je maintiens donc que l’objectif du Gouvernement est politique et ne vise qu’à masquer l’absence de financement de son programme : 10 Milliards de recettes en moins sur la taxe d’habitation, quelques Milliards sur l’ouverture à l’indemnisation de nouvelles catégories pour l’UNEDIC, plusieurs Milliards pour exonérer d’ISF les détenteurs de valeurs mobilières, plus de 20 Milliards pour transformer le CICE en allègements de cotisations… Ceci financé par la hausse de CSG ? Ce n’est pas à l’échelle ! Le discours du Premier Ministre ce mardi prendra surement l’audit comme prétexte pour corriger les impasses du programme présidentiel. Il est vrai que répéter en boucle « il manque 8 Milliards !» est plus facile que de rentrer dans la vraie réalité budgétaire.

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