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L’Union européenne à l’épreuve du Brexit : la voie indécise

Yves Petit, Université de Lorraine

La sortie du Royaume-Uni est une déchirure pour l'Europe
La sortie du Royaume-Uni est une déchirure pour l’Europe

À l’heure où 27 États membres célèbrent les 60 ans des traités CEE (Communauté économique européenne) et CEEA (Communauté européenne de l’énergie atomique) signés à Rome le 25 mars 1957, l’avenir de l’Union européenne demeure toujours préoccupant. Les conceptions nationales de la future Europe paraissent, à de nombreux égards, difficilement conciliables. L’Europe continue à traverser une période de crise, qui est sans doute de nature moins existentielle qu’il y a quelques mois, même si elle taraude toujours le projet européen. The Conversation

« Notre chance, c’est d’être unis… »

Si en 1957, les dirigeants européens de l’époque ont recouru à des idées novatrices tout en étant en proie au doute, ceux de 2017 le sont également. Les imperfections, l’inachèvement de l’UE impliquent que la construction européenne soit constamment remise sur le métier, comme peuvent en témoigner la conjonction sans précédent de défis de nature tant internationale qu’européenne identifiés dans la Déclaration de Rome du 25 mars 2017 : conflits régionaux, terrorisme, pressions migratoires croissantes, protectionnisme, inégalités sociales et économiques. De surcroît, la Déclaration ne fait pas expressément référence au défi le plus important des prochaines années : le Brexit avec le premier départ d’un État membre désireux de se retirer de l’Union.

En dépit de cette forte inquiétude envers l’avenir, la Déclaration des dirigeants des 27 États membres ainsi que du Conseil européen, du Parlement européen et de la Commission européenne, la Déclaration de Rome du 25 mars 2017 se termine de la manière suivante :

« Notre chance, c’est d’être unis. L’Europe est notre avenir commun ».

Cette Déclaration, dont le contenu demeure flou réaffirme tout de même de grandes idées indispensables, et propose un certain nombre de pistes pour engager une réflexion. La Commission a déjà formulé cinq scénarios pour l’UE à 27 à l’horizon 2025 dans son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe du 1ᵉʳ mars 2017, et elle va continuer à alimenter le débat. Deux réponses semblent se dessiner : plus d’Europe ou moins d’Europe ; une Europe des avant-gardes. Parviendront-elles à faire en sorte que l’Europe soit mieux incarnée et retrouve grâce auprès des peuples ?

Plus d’Europe ou moins d’Europe ?

Les cinq options suggérées par la Commission dans son Livre blanc sont les suivantes :

  • Le statu quo et l’inscription dans la continuité ;
  • Rien d’autre que le marché intérieur ;
  • Ceux qui veulent plus font plus ;
  • Faire moins de manière plus efficace ;
  • Faire beaucoup plus ensemble et poursuivre l’intégration européenne.

Pour la première fois, deux des cinq options évoquent clairement la possibilité que l’Europe fasse du surplace, ou pire puisse être détricotée. Il est vrai que l’actuel Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a recentré l’action de la Commission sur un nombre restreint de priorités : l’investissement, la sécurité, la défense, la migration ou encore la transition digitale. En phase avec cette vision, plusieurs États membres de l’Est – Pologne et Hongrie en tête – souhaitent restreindre les prérogatives de la Commission européenne, afin soi-disant de redonner des marges de manœuvre aux États membres.

Le plus grave est que ces deux scénarios de la Commission rappellent les mânes du « nouvel arrangement pour le Royaume-Uni dans l’Union européenne », adopté lors du Conseil européen des 18-19 février 2016. L’idée conceptuelle de l’Union sans cesse plus étroite, présente dès le préambule du traité CEE de 1957, semble remisée aux oubliettes, et en contradiction avec le destin commun évoqué dans la Déclaration de Rome du 25 mars 2017.

Plus dirimant, était-il opportun d’envisager une option se limitant exclusivement à un grand marché sans frontières axé sur le principe actif de la libre circulation au moment où le Royaume-Uni se retire de l’Union. Pourquoi retenir un scénario « britannique » accroissant les risques de vulnérabilité de la construction européenne, et écarter toute intégration politique supplémentaire dont l’Europe a tant besoin ?

Vers une Europe des avant-gardes ?

La Déclaration de Rome admet que les 27 « agiront de concert, si nécessaire à des rythmes différents et avec une intensité différente, tout en avançant dans la même direction, comme nous l’avons fait par le passé, conformément aux traités, et en laissant la porte ouverte à ceux qui souhaitent se joindre à nous plus tard ». Bien que les traités contiennent de tels mécanismes (articles 326 à 334 du TFUE et article 42 TUE), le principe de l’intégration à plusieurs vitesses semble marquer des points. Il est d’ailleurs déjà une réalité avec l’Union économique et monétaire, laquelle demeure cependant fragile en raison de l’inachèvement de la zone euro, ou avec l’espace Schengen.

L’hétérogénéité des préférences des États membres, de même que leurs spécificités ou leurs capacités respectives rendent ce principe inévitable. Il faut, en effet, accepter que certains États membres puissent progresser vers davantage d’intégration plus rapidement que d’autres. Tout comme l’avaient avancé Karl Lamers et Wolfgang Schäuble en 1994, en recourant à l’image du noyau dur articulé autour d’une géométrie variable. Une construction européenne à deux ou plusieurs vitesses semble nettement préférable à un projet au point mort faisant du surplace. Lors d’un mini-Sommet du 7 mars 2017 au Château de Versailles, France, Allemagne, Italie et Espagne ont d’ailleurs plaidé en ce sens pour des « coopérations différenciées ».

La voie de l’Europe des avant-gardes n’est cependant pas sans risque, car elle peut paraître en contradiction avec l’unité européenne rappelée à plusieurs reprises dans la Déclaration de Rome du 25 mars 2017. Le texte réitère d’ailleurs à cet effet que « Notre Union est une et indivisible », bien que le projet européen commun soit désormais appelé à se poursuivre sans le Royaume-Uni. Les États membres du Groupe de Višegrad, qui craignent une évolution subreptice vers une Union européenne de seconde zone, insistent sur l’unité en tant que principe de coopération européenne. Selon eux, l’Union doit rester unie et son fonctionnement n’en sera que meilleur. Ils veulent être absolument certains qu’il y a toujours un seul et même projet européen d’avenir.

Une Europe davantage incarnée

Depuis une période assez longue, en dépit de leur résilience, l’Union européenne et le projet européen commun ne sont pas très populaires et font l’objet de vives critiques de la part des courants populistes et eurosceptiques. Les citoyens européens doivent, en effet, être en mesure d’adhérer à un projet commun incarnant un rêve européen, ce qui est loin d’être le cas. La Déclaration de Rome du 25 mars 2017 ne propose pas un tel projet mobilisateur et porteur d’avenir. Le miracle n’a pas été au rendez-vous, ce qui était prévisible !

Elle paraît, au contraire, ne pas prendre position et se contente de débiter un catalogue de termes certes indispensables, mais devenus tellement banals qu’ils tombent à plat : paix, liberté, démocratie, droits de l’homme, État de droit, tolérance, sécurité, justice, prospérité, solidarité, puissance économique. Sans nier le caractère fondamental de ces valeurs et idéaux européens communs, cette litanie de mots est trop rapidement assimilée à un projet divisant Anciens et Modernes. Si l’Union doit continuer d’incarner l’idéal de paix et de prospérité de 1957, elle doit être impérativement être en mesure de répondre aux préoccupations actuelles des Européens, tout spécialement celles de la jeunesse. Le vote en faveur du Brexit est à cet égard édifiant quant à son attachement à l’UE.

La construction de l’Union européenne est une œuvre au long cours et son achèvement n’est pas pour demain, en raison de son caractère sans précédent et unique, comme l’a affirmé à de nombreuses reprises Jean Monnet. Il devient toutefois impératif de réinitialiser le projet européen et d’asseoir l’UE sur des bases communes rénovées pour un nouveau départ à 27, après le retrait britannique, cela en dépit de nombreuses incertitudes. La Commission européenne s’est d’ailleurs bien gardée de prendre parti en faveur d’un des cinq scénarios évoqués ; elle laisse le soin aux gouvernements des États membres de choisir celui qui aura leur préférence.

Une Europe où le peuple dispose de la place qu’il mérite

L’épisode wallon, relatif à la signature de l’accord de libre-échange avec le Canada, a clairement montré la faible confiance des Européens envers les institutions européennes et leurs dirigeants. Il fait également ressortir la nécessité d’une refondation de l’Union européenne, afin qu’elle retrouve une attractivité auprès des peuples. Comme l’affirme Paul Magnette, il faut certainement « repolitiser les enjeux » et que le peuple « oser désobéir ».

La construction européenne s’en trouvera renforcée au plan européen, perçue comme davantage démocratique, et « plus forte sur la scène mondiale » comme le souhaite la Déclaration de Rome du 25 mars 2017. La nouvelle donne internationale et les menaces géopolitiques (États-Unis, Russie, Ukraine, Syrie, Turquie, Libye…) qui encerclent l’UE exigent à coup sûr une Europe forte, solide et davantage solidaire.

Yves Petit, Professeur de droit public, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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