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Le revenu universel comme remède à la crise démocratique

Le revenu universel comme remède à la crise démocratique

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Revenu universel de base.
Mike Ramsey, Scott Santens/Flickr, CC BY-SA

Virginie Vial, Kedge Business School

Le capital social est constitué des liens, réseaux, normes et confiance entre individus. Ils se construisent pour la plupart dans un engagement civique indépendant de l’État, pour être éventuellement institutionnalisés. The Conversation

Aux prises avec les inégalités inhérentes au capitalisme, cet élément essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie – elle-même fondamentalement basée sur l’égalitarisme, s’est définitivement délité.

Des inégalités et un éclatement

Cette crise de confiance est le résultat direct d’une exacerbation des inégalités. Le chômage de masse frôle aujourd’hui les 10%, on observe une ghettoïsation géographique, économique et éducative de la population, et le sentiment d’insécurité s’est renforcé. Ce dernier, causé en partie par les attentats perpétrés depuis 2015, se double d’une crainte de l’imperceptible déplacement de « l’équilibre entre ordre public et libertés publiques » depuis la mise en place de l’état d’urgence.

Le découpage de la population en quelques groupes – ouvriers, cadres et patrons, a un temps permis de camoufler un certain niveau d’inégalités derrière une « cohésion sociale » motivée par un avenir économique commun. Le gouffre des inégalités économiques semble désormais difficilement franchissable, avec une concentration de la plus grande partie des richesses entre les mains d’une faible proportion de la population.

En France, les 10% des plus hauts revenus en reçoivent environ 28% du total, et détiennent 50% du total des actifs nets. Entre 1985 et 2011, dans les pays de l’OCDE, le revenu des 10% les plus riches a augmenté de 50%, celui des classes moyennes entre 25 et 35%, alors que celui des 10% les plus pauvres n’a augmenté que d’environ 12% (OCDE, 2015). Les divisions sont aujourd’hui innombrables (les jeunes, les décrocheurs, les diplômés, les vieux, les femmes, les pauvres, les sans-abris, les chômeurs, les classes moyennes, les riches, les immigrés,…).

La « Lutte des places » et le 1%

Tous sont malgré eux, comme l’expliquent Vincent de Gaulejac et ses co-auteurs, engagés dans cette nouvelle « lutte des places » qui se substitue à l’ancienne lutte des classes. Cette nouvelle forme de lutte est caractérisée à la fois par la destruction des liens sociaux, et la solitude de ces combats individuels contre la société. Elle a pour objectif de trouver ou retrouver une « place » dans un monde ou l’existence ne se mesure plus qu’à l’aune de l’utilité économique.

Certaines de ces divisions peuvent certes se recouper, mais ne permettent pas la formation d’un tissu social dense, solidaire, et puissant. Pourquoi? Parce qu’elles sont éclatées en de multiples territoires (géographiques, démographiques, éducatifs…), et sans aucun lien direct avec la sphère économique. Or, ce sont les acteurs de cette sphère qui gouvernent à tous les débats, et notamment celui du pouvoir.

Ce sont aujourd’hui les grandes entreprises qui bénéficient d’un pouvoir considérable dans le façonnage de la société. Pourtant, elles ne représentent en France que 0,007% de toutes les entreprises, mais 27,3% de l’emploi et 32,3% de la valeur ajoutée produite (INSEE, 2013). Cette concentration de pouvoir est aggravée par le jeu des conseils d’administration interreliés, et a mené à l’émergence d’une « classe capitaliste transnationale ». Au niveau mondial, les 1% les plus nantis détiennent près de 50% des richesses.

Le mythe du plein emploi

Le rapport de l’OCDE dédié aux inégalités publié en 2015, comme de nombreux autres rapports, multiplie les propositions afin que chacun puisse trouver ou retrouver un emploi, comme une solution miracle. Cependant, comme le soulignait si justement Albert Einstein « on ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés ». Le mode de fonctionnement capitaliste actuel et la mondialisation reposent en grande partie sur l’emploi de masse des populations. Il a cependant amené au délitement du capital social, et aux prémices d’une grave crise démocratique. Ce n’est donc certainement pas l’emploi de masse qui soignera nos maux actuels.

Le retour au plein emploi est d’autant plus improbable que les gains de productivité, l’automatisation croissante de l’économie, et la prochaine vague d’implémentation des technologies d’intelligence artificielle ne nécessitent absolument pas le recours à l’emploi de masse. Elon Musk par exemple – et il n’est pas le seul, répète depuis plusieurs mois que l’application généralisée de ces technologies va fortement diminuer les besoins en travail humain (voir par exemple sa dernière participation au World Government Summit en février 2017).

L’anthropologue britannique David Graeber nous rappelle d’ailleurs que John Maynard Keynes fut le premier à prédire dans les années 1930 qu’avant la fin du 20ème siècle, la technologie nous permettrait sans doute le passage à la semaine de 15 heures! Il souligne néanmoins que cela ne s’est toujours pas produit, et ce pour des raisons plus morales et politiques qu’économiques. En effet,

« la classe dirigeante a compris qu’une population heureuse, productive et bénéficiant de temps libre est un danger mortel (pensez à ce qui s’est passé lorsque cela a commencé à se réaliser dans les années 60) ».

De faux emplois ou un revenu de base universel ?

Afin de réconcilier le manque de besoin de travailleurs dans la sphère économique avec le besoin de maintien de l’ordre au niveau politique, nos sociétés sont devenues prolifiques en emplois « inutiles ». Leurs différents travers sont déclinés en « burn-out », « bore-out » et autres « brown-out », et contribuent à la détérioration spirituelle et morale des populations employées. Elle s’ajoute à celle des chômeurs et autres exclus, continuant ainsi de détruire le capital social, mais consolidant ainsi toutes les caractéristiques des consommateurs idéaux.

Le déclin du nombre d’emplois disponibles et la perte de sens croissante du travail donnent à réfléchir à un nouveau modèle de société. Ce nouveau modèle pourrait reposer sur un revenu de base universel, individuel et inconditionnel. Il donnerait accès aux ressources de base nécessaires à l’élargissement du monde des possibles pour chacun. Il faciliterait par exemple l’incubation de start-ups ou les reconversions professionnelles.

Il redonnerait aussi une « place » à toutes celles et ceux qui génèrent une valeur sociale non rémunérée (les parents , les aidants, les volontaires…). Le revenu universel permettrait, selon Guy Standing, de reconstruire confiance et sécurité pour le “précariat” qui tend aujourd’hui plutôt à se tourner vers les promesses populistes. Réintroduisant ainsi un élément essentiel d’égalité, ce revenu permettrait au tissu social de se reformer afin de restaurer des bases démocratiques saines.

Virginie Vial, Professeure d’Economie, Kedge Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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