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Le Parti socialiste entre la tentation de Corbyn et la victoire à la Pyrrhus

Arnaud Mercier, Université Paris II Panthéon-Assas

Benoît Hamon
Benoît Hamon 17 août 2014 (Photo by Jonathan Galmiche/Flickr)

Après une refondation idéologique conséquente induite par Tony Blair, manifestée par le changement d’appellation du Parti travailliste, devenu New Labour, et par une politique gouvernementale faisant la part belle à la triangulation (prendre des idées dans le programme de ses adversaires pour brouiller les lignes et pour mieux les déstabiliser), les militants et sympathisants travaillistes britanniques ont souhaité revenir à une orthodoxie idéologique plus forte.

Convaincus que leur parti avait perdu son âme à s’arranger ainsi avec son corps de doctrine historique pour pouvoir gouverner, les militants – singulièrement les jeunes – ont choisi, en 2015, pour diriger le parti un candidat qui incarnait un discours marqué très à gauche : Jeremy Corbyn. Et tant pis si cette offre ne trouve pas de majorité électorale au niveau du pays.

Être gouvernant ou être opposant, telle est la question

Les électeurs de la primaire de la gauche semblent rejouer le même scénario. Et c’est un cadrage historique classique en France, entre une gauche qui aspire à gouverner (quitte à laisser de côté certaines espérances irréalisables dans le temps court d’un mandat politique) et une gauche plus idéaliste et plus protestataire qui se ressource dans la lutte contre ceux qu’elle laisse de facto gouverner.

Le désarroi d’une partie de l’électorat de la gauche socialiste et social-démocrate tient à ce dilemme entre une aspiration à gouverner qui contraint à se heurter durement aux principes de réalité et un désir d’avenir idéaliste (voire utopique) qui contraint à se heurter durement au principe de défaite électorale, surtout dans un univers où la protestation trouve des débouchés politiques ailleurs (aux extrêmes de l’échiquier politique).

Face à cela, les animateurs de cette primaire à gauche se rassurent par une rhétorique de la « clarification » idéologique de la ligne du parti. La primaire serait, selon eux, l’occasion de trancher la querelle des aspirants à gouverner versus les bienheureux à rester dans l’opposition. Vincent Peillon, candidat pour rien – il a osé justifier sa candidature par une logique boutiquière d’appareil, arguant que la motion majoritaire du PS au dernier congrès n’aurait pas eu de candidat sans lui –, a senti qu’il fallait essayer de garder un point d’équilibre au sein du PS pour éviter la fracture.

Hélas il a aussi réussi à se convaincre (et des « amis » à lui l’y ont aidé) que c’était sa candidature personnelle qui réglerait le dilemme, qu’il était le seul à incarner le « rassemblement » (moins de 7 % des voix, voilà un beau rassemblement en effet). C’est donc un échec total !

Le mal est profond

Échec car la tentation de Corbyn est forte chez une partie des militants et sympathisants. Certains conceptualisent le vote Hamon/Montebourg en se disant qu’il faut accepter de se laisser glisser au fond de la piscine, lesté par des propositions lourdement de gauche, pour toucher le fond et mieux rebondir ensuite, dans cinq voire dix ans, une fois une refondation idéologique aboutie et une « cure d’opposition » qui redonnera de la virginité au parti.

Jeremy Corbyn (ici en 2014), leader du Parti travailliste britannique.
Gary Knight/Flickr, CC BY

D’autres semblent se satisfaire pleinement de ne plus aspirer à gouverner autrement que sur des bases idéologiques pures et sans compromis. Or Charles Péguy rappelait, fort à propos, que « le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

Manuel Valls s’inscrit en faux contre cette tentation. Il reste au fond blairiste, acceptant l’épreuve de gouverner. Il est prêt aux aggiornamentos idéologiques et programmatiques que les défis du temps présent imposent pour convaincre une majorité du corps électoral. Mais plombé par le bilan de la présidence sortante, il peine à incarner un nouvel élan, comme n’importe quel sortant impopulaire, du reste.

La faille tectonique sous le PS

Là où le drame se noue pour le PS, c’est que ce dilemme se dédouble car ce jeu de position s’inscrit dans une tectonique électorale qui fait du PS la ligne de fracture où les séismes naissent.

La posture contestataire est bien occupée à gauche par Jean-Luc Mélenchon. Une partie des déçus de gauche du PS sont déjà partis chez lui. La posture protestataire sociale-démocrate est séduite par l’offre politique qu’incarne Emmanuel Macron, même si elle semble encore floue et en devenir. Cette posture, c’est celle qui estime que les atermoiements de François Hollande sont coupables, qu’à force de vouloir ménager tout le monde, on n’avance pas et pire, on recule ; celle qui estime que le PS s’est abîmé dans des jeux d’appareil et de préservation de positions entre professionnels de la politique ; celle qui estime que l’aggiornamento idéologique n’est pas assez profond pour s’adapter aux mutations profondes de la société contemporaine (individualisation des comportements au détriment des identités collectives, esprit d’entreprendre et aspiration profonde à la défense de l’initiative individuelle, mondialisation, numérisation…).

Tel le Roi, le PS est nu !

La vérité est là, cruelle, brutale de simplicité. Le Parti socialiste a perdu toutes les élections depuis 2012. Il a perdu de nombreux élus, donc autant de relais et autant de militants qui gravitent autour des élus qui ont des postes à pourvoir. Il n’incarne aucune dynamique électorale qui en ferait la force centripète avec laquelle il faut négocier en faisant allégeance.

Une partie de l’électorat PS est tentée par le vote Macron.
École polytechnique/Flickr, CC BY-SA

Chacun, sur sa droite comme sur sa gauche, joue sa carte personnelle pour l’enfoncer un peu plus et élargir la fracture. Car chacun sait bien que si Benoît Hamon l’emporte, des électeurs, militants, élus ou sympathisants préférerons se rallier à Emmanuel Macron pour ne pas cautionner une politique qu’ils jugent irréaliste, dispendieuse ou que sais je. Et si Manuel Valls gagne cette primaire (pari difficile) au nom du choix de gouverner (et du prix à payer pour cela), chacun sait que des soutiens de Benoît Hamon et Arnaud Montebourg préféreront rallier Jean-Luc Mélenchon pour ne pas cautionner une politique qu’il juge autoritaire, droitière ou que sais je.

Le PS est donc condamné à une victoire à la Pyrrhus.

Cette primaire, machine voulue par les uns pour torpiller une nouvelle candidature Hollande (bingo !) et acceptée par les autres en pensant qu’elle se retournerait en procédure pouvant rafraîchir la légitimité si abîmée du Président sortant, aboutit surtout au résultat d’exposer au grand jour la faille tectonique qui fracture le parti.

Et le plus terrible dans toute cette histoire, c’est de voir les efforts pathétiques des leaders du parti pour exposer sur les tribunes et devant les caméras une satisfaction de façade. Ne manqueraient que les violons et on se croirait à bord du Titanic. Il faut (ré)entendre la langue de bois de ceux qui annonçaient que les électeurs déjoueraient les pronostics en venant trois millions voter, en faisant de Vincent Peillon le champion que les sondages ne savaient pas voir, en faisant d’une diminution de plus d’un tiers du nombre d’électeurs mobilisés par rapport à 2011, un franc succès. Entre méthode Coué usée jusqu’à la corde et autisme politique pathétique, les dirigeants du Parti socialiste ajoutent un à un, consciencieusement, des clous à leur cercueil.

Cela ne veut pas dire que la structure partisane va forcément disparaître, mais elle va connaître des réveils pénibles, écartelée façon puzzle, avec pour juge de paix la Bérézina électorale annoncée des législatives de juin prochain (un peu comme celle de 1993). Mais sans doute le futur vainqueur de la primaire a-t-il de quoi se réjouir, les ruines seront à lui, avec un chantier colossal qui aura de quoi l’occuper longtemps.

Mais pour en faire quoi ? Restaurer des vestiges archéologiques ? Bâtir un bunker électoral juste là où les soutiens persistent ? Ou tenter de reconstruire une maison d’architecte pour les citoyens du XXIe siècle ?

The Conversation

Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris II Panthéon-Assas

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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