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De Gaulle, la révérence obligée ?

Claude Poissenot, Université de Lorraine

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(Photo credit: CHAMPARDENNAISAXONAIS via Visualhunt.com / CC BY-ND)

Que ce soit dans le cadre de la primaire à droite ou pour commenter la présidence Hollande, les hommes politiques sont nombreux à recourir à la figure du Général de Gaulle. C’est une révérence obligée que chacun décline à sa manière dans le cadre d’une compétition politique. Qu’est-ce que cela nous dit de notre époque et que penser d’une telle comparaison ?

Gouverner

Jean-François Copé a affirmé qu’il entendait « gouverner par ordonnances comme de Gaulle en 1958 ». Nicolas Sarkozy essaie de s’inscrire dans les pas du Général en mettant en scène des référendums pour passer outre les blocages supposés des corps intermédiaires. De son côté, François Fillon se réclame du gaullisme en souhaitant que la fonction de premier ministre soit respectée et que le Président ne soit pas dans la gestion quotidienne du pouvoir.

S’il est bien concevable que l’exercice du pouvoir dépend de la capacité personnelle des hommes politiques, cela ne paraît pas suffisant. La dimension charismatique du pouvoir de De Gaulle puisait sa source dans son rôle éminent dans la libération de la France moins de quinze ans avant son retour aux affaires. Force est de constater que notre pays n’a pas connu une telle épreuve au début des années 2000 (et on peut s’en réjouir).

Par ailleurs, qui que soit le Président et son aura personnelle, il doit composer avec un monde d’information et d’expression libre. Tout citoyen peut exprimer son désaccord en tout domaine et s’adresser à un très large auditoire via Internet et les réseaux sociaux. La contestation se banalise et la « sacralité » du Président se trouve affectée par l’horizontalisation des rapports sociaux qu’Internet rend matériellement possible. Alors qu’il était au pouvoir, de Gaulle a été critiqué et contesté, mais il ne devait pas affronter des pages Facebook dédiées à son départ, alimentées et commentées au jour le jour et suivies par des centaines de milliers de citoyens…

L’incarnation du pouvoir

La figure de De Gaulle est fréquemment convoquée de façon comparative avec les plus récents Présidents de la Ve République. Hollande et Sarkozy ont banalisé la posture olympienne du locataire de l’Élysée. Que ce soit par la « normalité » ou par le suractivisme, ils ont rompu avec la réserve et la rareté de la parole qui prévalait chez leurs prédécesseurs.

Le 17 juin 2016, l’ex-premier ministre François Fillon dépose une gerbe à Graye-sur-mer (Normandie).
Charly Triballeau/AFP

Et c’est pour déplorer cette rupture dans la tradition que l’on fait appel à la figure fondatrice de De Gaulle. Ainsi le député frondeur Christian Paul, désemparé par la publication du livre de confidences de François Hollande, déplorait une initiative que jamais un Mitterrand ou de Gaulle n’aurait prise. « Le lent déclin de l’autorité présidentielle », selon Jean Garrigues.

À sa manière, en souhaitant rendre « à la France son statut de puissance d’influence mondiale », Alain Juppé adopte une posture gaullienne. Il entend incarner le pays et il glisse à dessein devant un parterre de diplomates qu’il est « en cela fidèle disciple du général de Gaulle ». Il le fait aussi quand il se présente comme le « président de tous les Français » et quand il fustige le rabaissement de la fonction présidentielle par la publication du livre Un président ne devrait jamais dire ça…

Cette conception rassemble largement et Emmanuel Macron n’a pas été le plus tendre à l’égard de son ancien mentor en déplorant « une présidence de l’anecdote » et d’en appeler à un chef de l’État « jupitérien » bien loin d’un « président normal ».

L’homme, le candidat et le président

Cette unanimité transpartisane signale peut-être un travers des deux derniers présidents, mais l’attribuer à leur seule personnalité paraît incertain. Hollande et Sarkozy ont été élus sans doute en partie sur leur personnalité et pas seulement sur leur programme (ou sur le rejet de l’autre). Ils ont donné à voir une figure personnelle au-delà du rôle présidentiel. On ne peut exclure que les Français reprochent aux Présidents ce qu’ils ont apprécié chez les candidats. La relative popularité dont jouit encore Jacques Chirac repose moins sur son bilan politique que sur son image d’homme capable d’une relation « normale » avec les Français rencontrés au salon de l’agriculture ou dans d’autres lieux ordinaires.

Sarkozy et Hollande savaient ce qu’implique la fonction présidentielle sur leur dimension personnelle. Cela ne les a pas empêchés de succomber à la laisser transparaître. On pense à la séquence du mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni qui illustre ce que Patrick Buisson qualifie de « privatisation du pouvoir ». Le Président d’alors est heureux de se donner à voir comme tel aux Français. C’est plus fort que lui…

Près du Grand-Palais, à Paris.
David Holt/Flickr, CC BY-SA

De son côté, c’est au travers de la rupture avec Valérie Trierweiler que se révèle de façon fracassante « Le Président qui voulait vivre ses vies » pour reprendre le titre du livre d’Élise Karlin. Ce n’est pas un hasard que Hollande et Sarkozy aient le même âge (ils ont moins de six mois d’écart). Ils appartiennent à une génération qui a grandi avec le désir d’affirmation personnelle. Et leurs conjointes (plus jeunes qu’eux) ont en commun cette vision de la personne. Yvonne de Gaulle, Anne-Aymone Giscard d’Estaing, Danièle Mitterrand ou même Bernadette Chirac n’auraient jamais envisagé un divorce.

Le sentiment est devenu le cœur du couple (au détriment du mariage) et, les présidents eux aussi en revendiquent le droit. Il est inévitable que la dimension personnelle trouve une place du seul fait du renouvellement générationnel (pourtant bien lent) des hommes et femmes politiques. Un accommodement doit être trouvé entre les facettes statutaires et personnelles du Président. C’est d’autant plus nécessaire que la situation qui a prévalu antérieurement n’est plus tenable.

Du temps de De Gaulle, les médias étaient tenus par une censure explicite qui interdisait la mise à jour de la facette personnelle. Y compris un geste banal comme celui de se moucher a été retiré d’un reportage sur le Général. La libéralisation de la société a atténué ce réflexe du pouvoir et a laissé place à une certaine transparence. La presse people et l’information continue sont avides de révélations sur la vie privée des responsables politiques.

Cet appétit des citoyens alimente ce qui devient une épreuve impossible. Là encore, le retour en arrière se révèle illusoire (si jamais il était souhaitable) et il s’agit de trouver un arrangement permettant de préserver la fonction présidentielle sans lui faire perdre sa dimension personnelle inévitable. De ce point de vue, le palais de l’Élysée n’est sans doute pas le lieu le plus idoine pour inscrire l’autorité présidentielle dans un cadre ordinaire.

Diriger l’économie ?

Dans le domaine de l’économie, certains évoquent une forme de nostalgie à l’égard d’une situation dans laquelle l’intervention de l’État était à la fois forte et légitime. C’est principalement le cas d’un Henri Guaino qui n’a pas de mots pour les libéraux qu’on retrouve à l’ENA comme à Bruxelles.

Henri Guaino en 2012.
UMP/Flickr, CC BY-NC-ND

Dans les propositions des candidats de la primaire de la droite et du centre, cette référence à l’administration de l’économie est absente. La référence à De Gaulle aussi, ou sur des aspects moins majeur : on pense, par exemple, à François Fillon qui souhaite favoriser la participation à l’intéressement des salariés. Un accord se dégage sur une vision libérale de l’économie et du rôle de l’État.

Il faut dire que l’époque des plans et de l’administration par l’État de l’économie est bien révolue. Et il serait difficile aux ténors de la droite de se retrouver dans les propos du Président de Gaulle qui, lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967 déclarait :

« C’est l’État qui conduit l’évolution [économique et sociale], lui seul le doit puisqu’il est en charge de l’intérêt général et du destin du pays qui sont les enjeux du changement. Et lui seul le peut parce qu’il détient les moyens légaux, financiers, administratifs, tarifaires, diplomatiques, etc. qui sont nécessaires. »

Le fait est que le cadre d’intervention n’est plus réduit à l’échelon national. La construction européenne et la mondialisation de l’économie rendent cette vision non seulement dépassée, mais aussi impraticable. La sortie de l’euro n’est guère portée que par le Front national et encore ne semble-t-il pas totalement sûr de la soutenir dans son programme présidentiel.

63 % des Français n’ont pas connu de Gaulle

La récurrence de la révérence à Charles de Gaulle participe du jeu politique habituel et particulièrement à moins de six mois des élections présidentielles. Il reste qu’elle témoigne de la difficulté de notre société, et particulièrement de son personnel politique, à penser les enjeux d’aujourd’hui et de demain.

Bien sûr les seniors sont aussi plus nombreux à voter et il s’agit de leur envoyer des signaux, mais la figure du Général s’éloigne et la part de ceux qui ne l’ont pas connu personnellement (ceux nés à partir de 1965) représente 63 % de la population. Pour eux, il prend place désormais dans la succession des personnalités du récit national plus qu’il n’en éclaire l’avenir.

The Conversation

Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l’IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de Lorraine

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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