France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Bygmalion provoque un tsunami à l’UMP (2)

Le parquet de Paris a requis le 5 septembre 2016 le renvoi de Nicolas Sarkozy, ancien chef de l’Etat et candidat à la présidentielle de 2017devant le tribunal correctionnel en même temps que 13 autres prévenus. Ils doivent y répondre d’une fraude à grande échelle lors de la campagne des élections de 2012. Les juges d’instruction ont un mois pour se prononcer. Leur décision pourrait intervenir avant les primaires à droite des 20 et 27 Novembre 2016.
Retour sur cette incroyable saga digne des films hollywoodiens qui en dit long sur les pratiques de l’ex-UMP et de ses dirigeants. Hier, nous avons longuement évoqué les étapes de cette fraude et ses principaux instigateurs. Aujourd’hui, nous revenons sur la guerre des chefs qui a suivi le grand déballage médiatique.

Guerre des chefs et boules puantes

Jean-François Copé à Nancy en 2012
Jean-François Copé à Nancy en 2012 (DR)

Au lendemain des révélations de l’affaire Bygmalion, se tient, mardi 27 mai 2014, à l’Assemblée nationale, un bureau politique de l’UMP prévu de longue date. La réunion est houleuse. On s’insulte. On tire à vue.
François Fillon sort l’artillerie lourde : « L’honneur de notre famille politique est mis en cause. Les militants ont été trompés. Des millions d’euros auraient été détournés alors même que les sympathisants sont sans cesse sollicités pour redresser les comptes du parti… Nous t’avons écouté avec attention, Jean-François, mais comment avoir confiance ? (…) On apprend que l’UMP aurait violé gravement la loi pour couvrir un dépassement astronomique des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Qui est responsable de cet incroyable gâchis ? Où est la vérité ? (…) Le temps est désormais celui de la justice. L’UMP va vivre au rythme des auditions, des policiers et des magistrats, des révélations de la presse, des perquisitions, des mises en examen et des accusations… »
Face à la charge, Copé accepte de démissionner à compter du 15 juin. D’ici-là, l’UMP sera chapeauté provisoirement par une direction collégiale composée de trois anciens Premiers ministres : Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon. Le soir même, Jean-François Copé s’exprime à TF1. Le visage grave, il demande aux Français de « ne pas douter de son intégrité et de son honnêteté. » L’ex-président du parti néogaulliste prétend qu’il a « découvert tout cela quand ça a été publié par Libération (…). J’ai fait confiance aux personnes dont c’était le métier… Je suis bouleversé de tout cela, d’autant que ce sont des collaborateurs, des gens qui ont abusé de ma confiance. »
Personne ne peut croire qu’un ancien ministre du Budget n’ait rien vu et rien su de la fausse comptabilité de l’UMP et du financement de la campagne électorale de 2012. Le patron de l’UMP pouvait-il ignorer qu’en 2012, les seules dépenses de « communication » se sont élevées à 33,33 M€[1] soit 124% de plus que pour la campagne électorale précédente de 2007 (14,8 M€) ? Les seuls meetings pris en charge par l’UMP pour le candidat Sarkozy ont coûté 23,3 M€ contre 7,1 M€ en 2007 (+228%).
Les prétentions élyséennes pour 2017 s’éloignent donc pour cet homme habile et ambitieux. Le maire de Meaux, 50 ans, est avocat. Mais il n’a jamais fait mystère de son unique objectif politique : l’Elysée. « En 2017, la présidentielle se jouera entre Valls et moi » confiait-il il y a peu.
Pour y parvenir, il est prêt à tout. A tout ! On se souvient du duel sanglant qui l’a opposé à François Fillon en 2012 lorsqu’il s’est agi de prendre la direction du parti. Ce fan de Zorro s’est autoproclamé président à l’issue d’un scrutin particulièrement serré sinon truqué. De sorte qu’il n’a jamais été considéré comme un chef légitime. « Il voulait contrôler le magot du parti » croit savoir l’un de ses proches. « Un parti politique, ce n’est pas une mafia » s’indigne François Fillon.
Aujourd’hui désarçonné par l’affaire Bygmalion, Jean-François Copé parviendra-t-il à « remonter à cheval » pour repartir à l’assaut de ses ambitions présidentielles.
Rappelons qu’il a été entendu le 8 février 2016 par les juges d’instruction sous le statut de témoin assisté à la fois concernant l’affaire Bygmalion et l’affaire des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Il n’a été mis en examen dans aucun de ces deux dossiers.
Le bureau politique extraordinaire du 10 juin confirme le triumvirat pour assurer l’intérim à la tête de l’UMP jusqu’au congrès de l’automne qui doit remettre de l’ordre dans la maison. Un sarkoziste du second cercle, Luc Chatel, est nommé secrétaire général du parti. « Une façon de donner le double des clés à Sarkozy » sourit un militant.
Alors que les politiques s’étripent, les enquêteurs poursuivent leurs investigations pour mesurer l’ampleur des malversations. Les trois juges d’instruction ne chôment pas. Plusieurs députés, parmi lesquels Dominique Dord, ancien trésorier de l’UMP, sont entendus par les policiers sur les fameuses « conventions » facturées au prix fort par Bygmalion. Plus question de raconter des salades. Les enquêteurs détiennent désormais toutes les factures, les vraies et les fausses.

Un autre scandale

François-Fillon : "un parti politique, ce n'est pas une mafia"
François Fillon : « un parti politique, ce n’est pas une mafia »(DR)

Du coup, la crise financière relance la crise politique. En toile de fond, la guerre des chefs après la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2012. Une guerre d’autant plus dure que l’ex-président n’a pas rendu les armes. Au contraire, il laisse entendre qu’il va bientôt revenir dans l’arène politique. A tel point que les autres leaders de l’UMP doivent se positionner par rapport à lui. Copé a décidé de se mettre « à ses côtés » tandis que Fillon a choisi l’affrontement direct avec l’ancien président de la République. Si Jean-Pierre Raffarin n’a aucune autre ambition que la présidence du sénat, Alain Juppé lui, semble se réserver pour la primaire de 2016, avec l’Elysée en ligne de mire.
Un malheur n’arrive jamais seul. L’état catastrophiques des finances, au lendemain de la présidentielle, a conduit les dirigeants de l’UMP à commettre une grosse maladresse. Elle est révélée par Médiapart, en ce funeste mois de juin 2014. Le journal en ligne affirme que le président du groupe UMP à l’Assemblée, Christian Jacob, a prêté 3 M€ au parti, sans en informer les députés. « C’est gravissime » s’insurge le député de Paris Claude Lellouche. « Je m’interroge sur la légalité d’une telle manœuvre. Je suis inquiet pour la survie de l’UMP. »
L’ambiance est délétère. On retient les petites phrases assassines dans l’attente de l’audit des comptes du parti néogaulliste. Il est dévoilé par la presse le 8 juillet. La dette est abyssale : 74,57 M€ dont 44 M€ de prêts bancaires et 27,45 M€ d’emprunt pour l’achat du siège de la rue Vaugirard (Paris 15ème) et, enfin, 2,42 M€ pour rembourser le prêt à l’Assemblée. A quoi s’ajoute 500.00 € à un généreux particulier qui tient à rester anonyme.
Au-delà de la rigueur des chiffres, ce sont les avantages et les faveurs consentis aux uns et aux autres qui font polémique. On apprend par exemple que les quatre plus proches collaborateurs du président, Jean-François Copé, coûtaient 600.000 € par an en salaires et charges. Une procédure de licenciement a déjà été engagée contre tous les quatre : Eric Cesari, directeur général, Jérôme Lavrilleux,  directeur de cabinet de Copé, Fabienne Liadze directrice administrative et financière, et Pierre Chassat, directeur de la communication et directeur-adjoint de cabinet du président.
L’audit révèle aussi que, dans sa grande générosité,  le parti payait le salaire (8.500 €/mois) de Geoffroy Didier au titre de « collaborateur de Brice Hortefeux ». L’épouse de Jean-François Copé, Nadia, a bénéficié pour 24.000 € de billets d’avion et, comme il n’y a pas de petits bénéfices, elle était aussi rémunérée comme assistante parlementaire de son époux.
Dans sa grande générosité, l’UMP a également payé au Trésor Public l’amende de 363.615 € correspondant au montant du dépassement des frais de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Or la loi interdit de se substituer à une personne pour régler une sanction pénale. Le parquet de Paris a ouvert, le 2 juillet, une enquête préliminaire confiée à l’Office anticorruption de la police judiciaire. Une affaire de plus !
Selon le Canard Enchaîné, l’audit épingle aussi Rachida Dati dont les deux téléphones portables coûteraient 10.000 € par an à l’UMP, sans parler des 9.000 € de billets de train et 4.000 € de billets d’avion.  Sur son compte twitter, l’intéressée s’énerve : « Les délateurs sont dans la place ! Jamais l’UMP n’a pris en charge des frais personnels me concernant ».
Il est encore question de voiture de fonction pour un député, de frais de bouche gargantuesques, de frais de représentation, de billets d’hélicoptère et d’avion… Après les comptes, les règlements de comptes. Les boules puantes sont lâchées. Le linge sale se lave sur la place publique.
Dans ce contexte, on se remémore les propos de Jean-François Copé : « Je suis bouleversé de tout cela, d’autant que ce sont des collaborateurs, des gens qui ont abusé de ma confiance. » Bon, passons!
« Tout cela prêterait à rire si ‘’ces gens-là’’ n’avaient pas pour ambition de gérer les affaires de la France » lâche un militant dégoûté. « Je viens de rendre ma carte. »
La tourmente dans laquelle se trouve l’UMP n’est pas encore terminée. D’autres affaires judiciaires menacent l’avenir de parti néogaulliste.

Dans la nasse

henri-Gaino
Henri Gaino, conseiller spécial de Sarkozy (DR)

Car plusieurs personnalités de l’UMP sont dans la nasse judiciaire. Rappelons pour mémoire que le député UMP Henri Guaino, l’un des conseillers de Sarkozy à l’Elysée, doit répondre, le 22 octobre, devant le tribunal correctionnel de Paris du délit d’outrage envers le juge Jean-Michel Gentil. Ce magistrat bordelais avait mis Nicolas Sarkozy en examen dans l’affaire Bettencourt. Henri Guaino, hors de lui devant les caméras de télévision, s’est cru autorisé à dire que le juge Gentil avait « déshonoré la justice ». Finalement, Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu dans l’affaire Bettencourt.

Autre proche de l’ancien président, Claude Guéant sera bientôt jugé en correctionnelle. Il est soupçonné d’avoir détourné de l’argent public provenant des fonds destinés à défrayer les policiers en mission quand il était directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. On lui reproche d’avoir demandé le décaissement d’environ 240.000 € sur les fonds d’enquête spéciaux entre 2002 et 2004. Placé en garde à vue en décembre 2013, Claude Guéant a reconnu avoir perçu des primes « non déclarées de toute éternité » et versées « avec la tolérance des services fiscaux » évoquant un système de gratifications pour les membres de son cabinet.
Le 13 novembre 2015 l’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy a été condamné à deux ans de prison avec sursis, 75.000 € d’amende et à cinq ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique. Il a fait appel. Mais l’information est passée inaperçue. Car, ce vendredi 13 novembre, une autre info a supplanté toutes les autres : les attentats terroristes de Paris feront 130 morts et des centaines de blessés.

Isabelle Balkany, première adjointe et épouse de Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) a été mise en examen le 22 mai 2014 pour « blanchiment de fraude fiscale » par Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon. Les juges financiers voulaient savoir si le couple Balkany n’a pas tenté de dissimuler une partie de son patrimoine au fisc et notamment deux villas dont le couple à l’usage à Saint-Martin et à Marrakech, au Maroc. Au cours de sa garde à vue, le 10 juin, Isabelle Balkany a reconnu être propriétaire de la villa de Saint-Martin depuis 1997. Elle ne l’a pas déclaré au fisc et l’impôt sur la fortune lié à ce patrimoine n’a pas été réglé. En revanche, elle ne reconnaît pas être propriétaire de la villa de Marrakech.
Isabelle Balkany a contesté la saisie pénale de la villa de Saint-Martin ainsi que la caution de 1 million d’euros qu’elle doit verser à la Justice dans le cadre de son contrôle judiciaire.

Ce n’est pas tout. Le sénateur UMP Serge Dassault a été mis en examen le 10 avril 2014 par les juges d’instruction du pôle financier de Paris, Serge Tournaire et Guillaume Daïeff pour « achats de votes » présumés dans la ville de Corbeil-Essonnes mais aussi pour « complicité de financement illicite de campagne électorale ». L’industriel et ancien maire de Corbeil âgé de 89 ans a été placé en garde à vue les 19 et 20 février après que son immunité parlementaire a été enfin levée. Si Serge Dassault a toujours reconnu avoir effectué des dons, il nie qu’ils aient un lien avec les élections municipales de 2008, 2009 et 2010, trois scrutins au centre de l’enquête judiciaire. Au total, ce sont près de 7 M€ qui auraient été distribués à différents intermédiaires.
Enfin, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire qui instruisent depuis décembre 2010 le volet financier de l’affaire de Karachi ont décidé, le 12 juin 2014, de renvoyer devant le tribunal correctionnel six proches d’Edouard  Balladur, candidat  malheureux à l’élection présidentielle de 1995 dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole.
Il s’agit de Nicolas Bazire, qui était alors directeur de cabinet de Balladur. Il fut le témoin de mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Il est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « complicité d’abus de biens sociaux ». Thierry Gaubert, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly dont il fut aussi le chef de cabinet- adjoint au Budget a été mis en examen pour « recel d’abus de bien sociaux et blanchiment aggravé ». Son ex-femme, la princesse Hélène de Yougoslavie a confié aux enquêteurs que son mari allait  chercher en 1994-1995 des valises « volumineuses » de billets en Suisse accompagné de l’intermédiaire franco-libanais Takieddine.

Renaud Donnedieu de Vabres, ancien conseiller de François Léotard à la Défense, devenu lui-même ministre de la Culture, est renvoyé pour « complicité d’abus de biens sociaux et recel. »
Ziad Takieddine, homme d’affaires franco-libanais est renvoyé pour « fraude fiscale et « blanchiment de fraude fiscale ».
Sont également renvoyés devant le tribunal correctionnel l’associé de Takieddine, Rahman el-Assir et, enfin, Dominique Castellan, ancien PD-G de la branche internationale de la direction des constructions navales pour abus de biens sociaux et recel.
Edouard Balladur et François Léotard ne peuvent pas être renvoyés devant un tribunal correctionnel mais ils pourraient être amenés à s’expliquer devant la Cour de Justice de la République seule compétente pour juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Les prévenus sont soupçonnés d’avoir participé à la mise en place d’un vaste système de rétro-commissions lié à la vente de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie Saoudite (contrats Agosta et Sawari II).  Selon les enquêteurs, 33 M€ de commissions « indues » auraient été versées à des intermédiaires occultes via des sociétés offshore. Une partie aurait servi au financement de la campagne d’Edouard Balladur.
Lorsque Jacques Chirac arrive aux affaires, il demande au ministre de la Défense d’enquêter sur ces ventes d’armes. L’enquête conclue à l’existence de commissions et de rétro-commissions. En 1996 les commissions ne sont plus versées aux dignitaires pakistanais. Le 8 mai 2002 un attentat à la voiture piégée contre les personnels de la Direction des constructions navales (DCN) à Karachi fait 15 morts dont 11 ingénieurs et techniciens français. Selon un rapport de la DST baptisé Nautilus, l’attentat aurait été commis en représailles à l’arrêt des commissions promises lors de la signature du contrat en 1994. Aucun élément probant n’est cependant venu étayer cette hypothèse.
Le procès des six prévenus « d’abus de biens sociaux » dans le volet financier initialement prévu en 2015 a été reporté à la suite d’un appel de l’ordonnance de renvoi des juges par plusieurs mis en examen.
Créé en 2002, l’Union Pour un mouvement Populaire (UMP) a changé de nom au mois de mai 2015 pour s’appeler Les Républicains.

Marcel GAY

[1] Rapport sur la Publication générale des comptes des partis  et groupements politiques au titre de l’exercice 2012 publié le 22 janvier 2014 au Journal Officiel.  

France