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L’affaire Bygmalion rattrape Nicolas Sarkozy (1)

Coup de théâtre. L’ancien chef de l’Etat et candidat à la présidentielle de 2017 est renvoyé par le parquet de Paris devant le tribunal en même temps que 13 autres prévenus pour répondre d’une fraude à grande échelle de l’UMP lors de la campagne des élections de 2012. Les juges d’instruction ont un mois pour se prononcer. Leur décision pourrait intervenir avant les primaires à droite des 20 et 27 Novembre 2016.
Retour sur cette incroyable saga digne des films hollywoodiens qui en dit long sur les pratiques de l’ex-UMP et de ses dirigeants.

Bygmalion :
une fraude à grande échelle

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Nicolas Sarkozy mis en difficulté (DR)

Justice et politique n’ont jamais fait bon ménage, on le sait bien. Entre les deux, une lutte de pouvoir. L’exécutif exerce un contrôle sur l’autorité judiciaire via les parquets et les parquets généraux. Mais la justice revendique son indépendance dans l’application de la loi, notamment à l’égard des élus. De là, quelques frictions qui, parfois, tournent à l’affrontement.
Le principal sujet de discorde ? Le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Les premières affaires politico-financières remontent aux années 80 lorsque des juges courageux ont mis leur nez dans la comptabilité des grandes formations politiques. Ils y ont découvert des fausses factures à la pelle. Quelques élus ont même fait un petit tour par la case prison.
Pour moraliser la vie publique, les lois de 1988, 1990, 1995 et de 2003 ont fixé les règles du jeu : désormais, le financement des partis politiques et des dépenses de campagnes électorales se fait sur fonds publics. L’Etat octroie des aides en fonction du nombre d’électeurs. Le contrôle est confié à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Les dons de personnes morales (à l’exception des partis politiques) sont interdits. Le plafonnement des dons de personnes physiques est limité à 7.500 € par an.
Suffisant ? Il faut croire que non tant les élus sont nombreux à transgresser la règle. Il faut beaucoup d’argent pour organiser les campagnes électorales et favoriser les petits-copains. Les partis politiques sont devenus de véritables PME aux besoins financiers toujours plus importants.
Les dons, illégaux donc, proviennent soit de riches particuliers soit de grandes entreprises qui attendent, en retour, des passe-droits, des petits-arrangements administratifs ou de juteux marchés. L’affaire Bygmalion est de ce point vue emblématique.

Un fonds luxembourgeois

Tout a commencé par un papier du Point daté du 27 février intitulé « Affaire Copé : Sarkozy a-t-il été volé ? » En sous-titres : « Enquête sur l’argent de la campagne présidentielle de 2012. Révélations sur la petite entreprise qui a ruiné l’UMP. Le mystère du fonds luxembourgeois ».
L’hebdomadaire explique que le président de l’UMP, Jean-François Copé, aurait fait profiter des largesses de son parti à deux anciens collaborateurs à la mairie de Meaux puis dans différents ministères, tous deux recyclés dans les affaires : Bastien Millot et Guy Alves.
A la tête de la société Bygmalion créée en 2008 et de sa filiale Event & Cie, ces proches de Copé auraient largement surfacturé toutes les prestations effectuées pour le compte de l’UMP. Hors appel d’offres en général. « Universités d’été, journées parlementaires, conseils nationaux, campus et séminaires de réflexion : Bygmalion est à la manœuvre sur tous les grands événements du parti » à partir de 2010 date à laquelle Jean-François Copé devient secrétaire général de l’UMP, écrit l’hebdo. Un véritable « hold-up » pour certains militants. Entre 2010 et 2012 « alors que les finances de l’UMP sombrent dans le rouge, la petite boite de communication connaît, elle, une santé florissante. »
Mieux. Lors de la campagne présidentielle de 2012, la filiale du groupe Bygmalion, Event & Cie aurait « chargé la mule » écrit Le Point. « Lors de certains meetings, les frais de traiteur, de retransmission vidéo et d’éclairage ont atteint le double des tarifs habituellement pratiqués. » Event & Cie aurait ainsi facturé au moins 8 M€ pendant la campagne dont 5 payés par l’UMP. »
Or les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy ont été invalidés par le Conseil constitutionnel, obligeant l’UMP à lancer une vaste souscription publique pour rembourser 11 M€ aux banques créancières. Dès le 4 juillet 2013, Jean-François Copé faisait appel aux militants en lançant ce que l’on a appelé « le Sarkothon ». Deux mois plus tard, les fonds étaient récoltés. « En huit semaines, l’UMP a réalisé la plus importante collecte jamais réalisée par un parti politique de la 5ème République » se félicitait le député-maire de Meaux le 8 septembre 2013 devant l’assemblée du campus des Jeunes Populaires au Touquet (Pas-de-Calais).
En tout cas, on sait qu’un militant au moins n’a pas versé son obole à cette quête à grande échelle. C’est le député UMP de Haute-Savoie, Lionel Tardy qui se lâche dans un tweet retentissant : « Tout le monde savait pour Jean-François Copé. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas participé au Sarkothon ».
Les révélations du Point vont plus loin encore. Le journal met en cause non seulement l’opacité avec laquelle les marchés ont été passés entre l’UMP et le groupe Bygmalion, mais il s’interroge aussi sur l’origine de cette entreprise. « En épluchant les statuts de la société, Le Point a découvert un montage financier particulièrement sophistiqué avec un actionnaire resté caché pendant trois ans : une SARL logée au Luxembourg. »
Il précise : « Derrière cette mystérieuse société se dissimule le holding familial d’Emmanuel Limido, un gestionnaire de fonds très lié au Qatrar. Coïncidence : en 2006 et 2007, Jean-François Copé, alors ministre du Budget, avait donné son feu vert pour la vente au Qatar de deux joyaux immobiliers de l’Etat. Dans ces deux transactions, l’intermédiaire n’était autre que le fonds d’investissement dirigé par Emmanuel Limido. Ce dernier avait, entre les deux transactions, embauché le chef de cabinet de Jean-François Copé, Guy Alvès, devenu depuis patron de Bygmalion… ».
« Un coup monté ! » hurle Copé en demandant à son avocat, Me Hervé Témime, de déposer plainte en diffamation contre l’hebdomadaire. « C’est absolument immonde » !
La société Bygmalion a également déposé une plainte en diffamation. Et, le 5 mars 2014, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire sur les soupçons de surfacturation qui pourrait déboucher sur des infractions de faux et d’abus de confiance.

« Chasse à l’homme »

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Jean-François Copé ancien président de l’UMP (DR)

Face à cette charge brutale, le président de l’UMP ne pouvait pas rester les bras croisés. Il choisit de s’adresser à la presse, lundi 3 mars, au siège du parti. « Une déclaration solennelle » pour se défendre des accusions du Point.
Jean-François Copé apparaît sur les écrans de télévision les traits tirés, le teint blafard. Dans sa « déclaration » monocorde, le patron de l’UMP s’adresse à ses : « chers compatriotes… » (!) Il poursuit : « Depuis quelques jours, ma personne, mes proches sont l’objet d’une véritable chasse à l’homme… J’ai toujours exercé mes fonctions avec droiture et honnêteté… Je ne suis dupe de rien, les Français ne sont dupes de rien, les ficelles sont tellement grosses à quelques semaines de scrutins très importants ! »
Puis, avec des trémolos dans la voix, Copé annonce deux propositions de lois visant à instaurer « une véritable exigence de transparence » dans la vie publique dans le but de « refonder notre République » (!) Le premier texte vise à imposer la publication de tous les documents comptables des partis politiques bénéficiant d’aides de l’Etat. Le second vise à soumettre « les principaux dirigeants et salariés des médias » bénéficiant eux aussi d’aides publiques aux mêmes contrôles que ceux imposés aux parlementaires. Copé demande en outre la mise en place d’une autorité indépendante chargée d’appliquer ces nouvelles règles qu’impose, selon lui, la transparence et la démocratie.
Inutile de dire que « la déclaration solennelle » de Jean-François Copé fait un gros flop. Elle apparaît même comme « pathétiquement maladroite » selon l’expression d’Alain Duhamel, éditorialiste à RTL. Copé reçoit un soutien poli mais mesuré des hiérarques de l’UMP. En revanche, ses propos font l’objet de critiques acerbes de la part de tous les autres partis politiques. Au final, le patron de l’UMP apparaît plus déstabilisé après qu’avant sa « déclaration ».
Heureusement pour lui, une autre affaire va provisoirement remiser les histoires de gros sous de l’UMP au rayon des accessoires : les enregistrements clandestins de Patrick Buisson à l’Elysée vont occuper pendant quelques temps le champ politico-médiatico-judiciaire. Puis, les élections municipales des 23 et 30 mars 2014 et les élections européennes du 25 mai caractérisées par le score historique du Front National, vont mettre « les affaires » de l’UMP en sommeil.  Provisoirement.

Un réveil brutal

Mais le 25 mai au soir, les leaders de l’UMP ont la gueule de bois. Avec 25% de suffrages aux élections Européennes, Marine Le Pen peut annoncer que le Front National est devenu le premier parti de France. Et donc le premier parti d’opposition puisque l’UMP arrive seulement en deuxième position à quatre points derrière elle.
Sur les plateaux de télévision, les ténors de l’UMP ont la tête des mauvais jours. Ils ont bien conscience que l’affaire Bygmalion va éclater sous peu et que certains d’entre eux n’y résisteront pas. Ils savent en effet que, dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte le 5 mars par le parquet de Paris, les enquêteurs de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la PJ ont procédé à quelques perquisitions et saisi des documents comptables très instructifs sur le « système » frauduleux mis en place à l’UMP.
Dès lors, tout va aller très vite. Dès le lundi matin, 26 mai, le député UMP de Paris, Pierre Lellouche, porte plainte pour « usurpation d’identité ». Il ne sait pas pourquoi son nom a été associé à une « conférence sur le crédit » organisée le 30 mai 2012 et payée par son parti 299.000 € à Event et Cie, filiale de Bygmalion. « On m’a volé mon nom et on l’a accolé à quelque chose de très probablement frauduleux » explique Pierre Lellouche en sortant de l’office anti-corruption où il a été convoqué. « Clairement, la direction de l’UMP doit changer et assainir tout ça. »
Vent de panique à l’UMP. Car ce n’est pas la seule convention « fictive » payée par le parti de Copé. Selon les éléments en possession des enquêteurs, près de 20 M€ ont été réglés à Event et Cie pour l’organisation de divers événements dont 55 conventions thématiques facturées près de 13 M€ entre janvier et juin 2012. C’est-à-dire pendant la campagne présidentielle.
Une nouvelle bombe va exploser ce 26 mai, vers 17 heures, lorsque l’avocat de Bygmalion, Me Patrick Maisonneuve donne une conférence de presse.
D’une voix grave, le célèbre avocat parisien déclare : « La société Bygmalion a été amenée à établir des factures qui ont été imputées à l’UMP alors qu’elles auraient dû l’être à l’association de financement de la campagne du candidat M. Sarkozy en 2012. Il s’agit donc bien de fausses factures. (…) Bygmalion est intervenu dans le cadre de meetings. Elle a donc facturé ces meetings mais avec un habillage qui a été fait à la demande de l’UMP.  C’était ça ou rien. C’est du chantage économique. Soit c’était facturé à l’UMP sous le libellé ‘’convention’’ soit Bygmalion n’était pas payé… On parle de l’affaire Bygmalion, moi je pense que c’est l’affaire des comptes de campagne du candidat Sarkozy. »

La folle journée du 26 mai

Deux heures plus tard, ce même 26 mai, Jérôme Lavrilleux, 44 ans, directeur de cabinet de Jean-François Copé et directeur-adjoint de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 se confesse publiquement sur le plateau de BFM-TV. Ce bon soldat, décoré en 2010 par Nicolas Sarkozy de l’Ordre national du Mérite, a des révélations à faire.
Raide comme la justice sur sa chaise, le visage de circonstance, les yeux humides, l’émotion retenue dans la voix, le proche collaborateur de Jean-François Copé, fraîchement élu député européen, reconnaît qu’il y a eu « des factures présentées à l’UMP qui correspondaient à des dépenses faites pour la campagne » de Sarkozy. Il parle de « dérapages » qui porteraient sur environ 11 M€. Mais il précise qu’il n’y a « pas eu d’enrichissement personnel. »
Jérôme Lavrilleux évoque « l’engrenage irrésistible d’un train qui file à grande vitesse où les personnes qui devaient tirer sur la sonnette d’alarme ne l’ont pas fait. » Il ne cite aucun nom, prend « sa part de responsabilité » et précise enfin qu’il n’a fait part de tout cela « ni à Copé ni à Sarkozy. » Tiens, donc !
On comprend mieux les soudaines confidences publiques de Jérôme Lavrilleux. « Il a allumé un contre-feu juste avant le bureau politique » croit savoir le député PS Olivier Faure. En effet, il s’agissait de dédouaner Jean-François Copé avant la réunion de l’instance dirigeante du parti prévue le lendemain. Militant exemplaire, Jérôme Lavrilleux apparaît aux yeux de tous comme un « fusible » destiné à protéger d’autres personnes.
Alors que les enquêteurs perquisitionnent le siège de l’UMP ainsi que les locaux de Bygmalion et de Génération France, le parti politique de Copé, cette folle journée du 26 mai s’achève dans la confusion.
La guerre des chefs reprend de plus belle. Les noms d’oiseaux volent bas sur les réseaux sociaux. Des voix s’élèvent pour demander la démission de Jean-François Copé.
Le trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, Philippe Briand, maire UMP de Saint-Cyr-sur-Loire réfute les allégations de Me Patrick Maisonneuve et de Jérôme Lavrilleux. Il précise dans un communiqué que la campagne de Sarkozy a été financée sur un budget de 21,4 M€ provenant d’un emprunt à la Société Générale (10,7 M€) de dons (5,8 M€), de contributions de l’UMP (4,9 M€) et de l’apport personnel du candidat.
Mais alors, où est allé l’argent des fausses factures ?
Au cours de leur nouvelle perquisition au siège de la société de communication, les enquêteurs découvrent une double comptabilité. « Le coût réel des 42 meetings de Nicolas Sarkozy s’élève à 19 M€ sur un total autorisé de 22,509 M€ pour l’ensemble de la campagne. »[1]
On se souvient que les comptes du candidat Sarkozy avaient été rejetés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) pour un dépassement d’environ 400.000 €. En juillet 2013, le Conseil constitutionnel avait confirmé ce rejet, privant ainsi l’UMP du remboursement par l’Etat de 11 M€. Comme nous l’avons dit, le « Sarkothon » avait permis de renflouer rapidement les finances du parti.
On se demande cependant comment la Commission des comptes de campagne a pu passer à côté de 11 M€ de fausses factures de Bygmalion ?
François Logerot, président de ladite Commission explique[2] qu’il ne dispose pas « de suffisamment de prérogatives » pour empêcher de telles affaires. « La CNCCFP instruit les dépenses dans le cadre de la campagne d’un candidat mais ne dispose pas de véritable pouvoir de contrôle des dépenses courantes d’un parti. Les comptes annuels des partis politiques sont simplement certifiés par des commissaires aux comptes extérieurs… Nous aimerions avoir des dispositions complémentaires à la loi d’octobre 2013 sur la transparence de la vie politique. »
Bel aveux d’impuissance qui laisse la porte ouverte aux abus en tous genres.
Les hommes politiques, c’est bien connu, n’aiment pas que la justice leur demande des comptes. Les lois, pensent-ils, sont faites pour les autres, pas pour eux-mêmes. C’est si vrai que lors de l’examen du projet de loi sur la réforme pénale, deux députés UMP ont déposé un amendement préconisant des peines d’emprisonnement pour les seules infractions « portant atteinte à une personne physique » et pas pour les crimes et les délits financiers !
Heureusement cet amendement a été rejeté.

Sarkozy « mécontent »

Tout le monde a compris désormais que Copé et ses amis ne sont plus les seuls concernés par la délicate affaire Bygmalion. En arrière-plan se dessine la silhouette de l’ancien président. « Il est très mécontent de voir son nom associé à cette curieuse actualité » fait savoir Brice Hortefeux. Curieuse actualité, en effet ! « Le président n’avait pas le temps de s’occuper de l’intendance » ajoute le zélé Henri Guaino. « Notre famille politique a besoin d’un chef. Si Nicolas Sarkozy veut revenir c’est maintenant » assurent en chœur Nadine Morano et Christian Estrosi, les fidèles lieutenants.
Pas si vite ! D’abord, l’enquête ne fait que commencer. Il y a fort à parier que les enquêteurs souhaiteront avoir les explications notamment de Guillaume Lambert, actuellement préfet de la Lozère et ex-directeur de campagne du candidat Sarkozy. Lambert, devra répondre aux accusations de Jérôme Lavrilleux qui déclare publiquement : « Beaucoup de gens ont alerté Lambert. Moi-même plein de fois. En 2007, Sarkozy avait fait 25 meetings. En 2012 on en a fait 45 dont trois géants. Personne n’a eu le courage de dire stop à Sarkozy… Je ne voyais Sarkozy que lors des meetings. Le reste du temps c’est Lambert qui passait commande. »
Ils ne manqueront pas d’interroger aussi Philippe Briand, le trésorier de la campagne, aujourd’hui député UMP d’Indre-et-Loire. On sait que Philippe Briand conteste la version de Bygmalion. Ses chiffres ne sont pas compatibles avec d’éventuelles fausses factures surtout dans de telles proportions.
Mais aussi Eric Cesari, directeur général de l’UMP. Cesari, est un proche de l’ancien président de la République, surnommé « l’œil de Moscou ». Son nom apparaît sur les devis des conventions bidon facturées par Bygmalion croit savoir Libération[3]. « Il signait les engagements de dépenses transmis au trésorier au moment de la campagne de 2012. »
Il faudra bien que les uns et les autres donnent des explications crédibles. Leurs déclarations devront coïncider avec celles des autres protagonistes du dossier : Bastien Millot, président de Bygmalion en 2012 et Guy Alvès, président et fondateur de Bygmalion. Ils devront dire qui a payé quoi et avec quel argent. S’il y a bien 11 M€ de fausses factures de Bygmalion pour alimenter la campagne de Sarkozy comme l’a déclaré Me Maisonneuve, confirmé par Jérôme Lavrilleux, les policiers voudront savoir dans quelles poches ils sont allés.
Cela risque d’être de plus en plus chaud à l’UMP au cours des prochains mois. Elus ou cadres du mouvement néogaulliste devront rendre des comptes : Pierre Chassat, directeur adjoint de cabinet de Copé, directeur de la communication événementielle, Philippe Briand, déjà cité, Fabienne Liadzé, directrice des finances, Michèle Tabarot, député des Alpes-Maritimes, numéro 2 de l’UMP, présidente de l’Association nationale pour la démocratie locale (ANDL) chargée de la formation des élus. Et d’autres aussi.
La publication de la comptabilité truquée de Bygmalion dans le Canard Enchaîné et dans Médiapart, le 18 juin, a donné la mesure de la fraude. Il ne serait plus question de 11 mais de 17 M€ de fausses factures qui sont rendues publiques. Et peut-être davantage…
Le député UMP Bernard Debré estime désormais « impossible » le retour de Nicolas Sarkozy. « Si c’est vrai, dit-il sur LCI, Nicolas Sarkozy était nécessairement au courant du dépassement » de ses comptes de campagne. « Il faut couper les branches mortes… ».
Dans la foulée, deux députés, Pierre Morel-A-L’Huissier, député de la Lozère et Etienne Blanc, député de l’Ain déposent plainte contre X au parquet de Paris. Au nom de la transparence. « Les militants veulent savoir. Je veux savoir » explique Pierre More-A-L’Huissier. Certes, Jean-François Copé a déjà porté plainte contre X lorsqu’il était encore président de l’UMP. « Lui, l’a fait au nom du parti, nous au nom des militants » précise Etienne Blanc.
Le parquet de Paris ouvre le 27 juin une information judiciaire contre X pour « faux et usage, abus de confiance, tentative d’escroquerie et complicité et recel de ces délits ». Trois juges vont instruire le dossier : Renaud Van Ruymbeke, Roger Le Loire et Serge Tournaire.
D’ores et déjà l’enquête s’oriente vers des soupçons de financement illégaux de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. En effet, en comparant les vraies factures des meetings aux chiffres déclarés à la Commission des comptes de campagne, la minoration est hallucinante. Par exemple, le meeting de Bordeaux le 3 mars 2012 a coûté la bagatelle de 605.431,15 €. Du grand spectacle ! Mais le candidat n’a déclaré que 100.233,17 €. Une différence de 80% ! Qui a payé ? L’UMP, apparemment. Ainsi, plus de 17 M€ ont été réglés par l’UMP à Bygmalion pour cette campagne digne des plus grandes stars américaines.
Au final, elle aurait coûté plus de 40 M€ quand le plafond autorisé est de 22,5 M€. Qui dit mieux ?

Jean-François Copé a été entendu le 8 février 2016 par les juges d’instruction sous le statut de témoin assisté à la fois concernant l’affaire Bygmalion et l’affaire des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Il n’est mis en examen dans aucune des 2 affaires. À la suite de cette audition, le 16 février 2016, Nicolas Sarkozy est entendu pour les deux mêmes affaires. Il est mis en examen pour l’affaire des comptes de campagne. « L’affaire Copé est devenue l’affaire Sarkozy.

Victimes collatérales

L’affaire Bygmalion a fait aussi des victimes collatérales.
Dans un autre volet du dossier, instruit par le juge Renaud Van Ruymbeke, Patrick de Carolis, ancien président directeur-général de France Télévisions (2005-2010) a été mis en examen pour « favoritisme ». La justice enquête sur les étranges contrats passés entre le groupe public et la société Bygmalion de Bastien Millot pour un total de 1,3 M€ entre 2008 et 2013. Avant d’être le dirigeant de Bygmalion, Bastien Millot était directeur délégué de la stratégie de France Télévisions auprès de Patrick de Carolis. Sébastien Millot a été mis en examen pour « recel de favoritisme. » Camille Pascal, ancien secrétaire général de France Télévisions et l’une des plumes de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, a également été mis en examen pour favoritisme dans ce même dossier.
Une autre affaire révélée à la suite d’une plainte de l’association Anticor met en cause Bygmalion et la société Com 1+ dirigée par Guillaume Peltier, vice-président démissionnaire de l’UMP. La police judiciaire de Nice enquête sur des contrats passés entre la mairie de Menton et les deux sociétés de communication. Elle soupçonne des ententes afin de ne pas dépasser le seuil au-delà duquel l’appel d’offres est obligatoire. Des perquisitions ont été effectuées au domicile de Guillaume Peltier ainsi qu’au siège de la société de communication.
Décidément, Bygmalion était une entreprise spécialisée essentiellement dans la fraude à grande échelle. Le scandale des fausses factures a provoqué une crise majeure à l’UMP.
Le scandale Bygmalion va déboucher sur une violente guerre des chefs.

Marcel GAY
A suivre : « UMP : guerre des chefs et boules puantes »

[1] Le Journal du Dimanche du 31 mai 2014.

[2] L’Express du 27 mai 2014

[3] Libération du 10 juin 2014.

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