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L’Europe en 2030 (2) : les trois scénarios

Nicolas Tenzer, Sciences Po – USPC

Nous publions aujourd’hui le second volet d’une série de trois articles signés par Nicolas Tenzer sur la crise multiforme à laquelle doit face l’Europe et les ressources dont elle dispose pour la surmonter. Aujourd’hui, exercice de prospective.

L’Europe, quelle Europe?

Les trois scénarios qui vont être envisagés doivent partir de la conscience dramatique d’un malheur européen qui est tout sauf un risque théorique. Ils doivent, toutefois, faire droit à une transfiguration des sombres temps actuels pour l’Europe. Dans les deux cas, la compréhension des risques comme des opportunités ne pourra venir que d’une réflexion sur la matrice paradoxale qui va été évoquée hier et qui, pour le meilleur et pour le pire, continuera longtemps de mouvoir l’Europe.

Comment penser les scénarios ?

Nul scénario n’indique ce qui va survenir, un mixage des éléments de chacun. L’intermédiaire est le plus probable, mais le plus optimiste doit nous éclairer sur les buts ultimes autant que le plus noir sur ce qu’il faut éviter. Les facteurs, positifs ou négatifs, jouent un rôle cumulatif et entraînant, sans qu’un seul soit déterminant.

Le premier a trait au charisme des dirigeants européens. S’ils s’engagent avec courage dans une réponse commune aux défis géopolitiques de l’Europe conforme à ses valeurs, son destin ne sera pas identique à celui d’une Europe animée par des dirigeants englués dans une vision à court terme, défendant des intérêts contingents et indifférents au jugement de l’histoire.

Le deuxième est la situation économique et ses conséquences sur les mouvements politiques antieuropéens et la légitimité de l’Europe. Même si elle n’est que de manière limitée responsable de la prospérité des économies, elle reste la cible des groupes populistes qui ont tôt fait d’accuser de tous les maux l’euro, le pacte de stabilité, la Banque centrale européenne et les règlements de l’Union.

la grand-messe du Conseil européen, ici en 2011.
Herman Van Rompuy/Flickr, CC BY-NC-ND

Une troisième variable résulte de la qualité de la coopération avec les États-Unis et de leur souci de considérer avec sérieux l’avenir du Vieux Continent, notamment sa sécurité. De manière immédiate, l’évolution des négociations du traité de partenariat et d’investissement transatlantique sera cruciale et il faut espérer que, d’un côté, la volonté de pousser des intérêts purement nationaux, de l’autre, la tentation de sur-réagir pour des raisons de politique intérieure ne l’emporteront pas. Sur le long terme, la capacité des deux partenaires de parler « bien » de l’autre sera déterminante.

Encore plus crucial est le quatrième facteur : l’évolution du voisinage oriental de l’Europe, lié à l’attitude de la Russie à l’endroit de l’intégration européenne, au renforcement ou non de son agressivité, et à la capacité de l’Europe de rester unie et ferme devant la menace russe sur le plan de la sécurité et des valeurs.

La cohésion et l’efficacité des institutions européennes pèsent aussi. Essentielle sera la capacité de la Commission de parvenir à des résultats concrets et jugés positivement par les citoyens. L’évolution propre des États membres joue également un rôle. Il en va ainsi pour plusieurs d’entre eux en matière de droit et de conformité aux principes fondamentaux, de lutte contre la corruption et de modernisation politique et économique et de capacité à contenir les contestations radicales.

On ne prête pas assez attention à la capacité des milieux académiques et intellectuels et des think tanks européens à produire une réflexion éclairante et opérationnelle sur l’avenir de l’Europe, d’influencer ses dirigeants et d’atteindre un plus large public que la communauté des convaincus.

Il faut ajouter, même si l’Europe n’a que peu à voir en ce domaine, les menaces sur la sécurité intérieure. De nouvelles vagues d’attentats terroristes, l’intensification induite des débats sur l’islam, la reprise à satiété des accusations contre une « Europe passoire », sans parler de la pression accrue des opinions contre l’accueil des réfugiés et en faveur de mesures « autoritaires », ne favoriseraient pas un nouvel élan européen.

Le scénario noir : retour vers les temps sombres de l’histoire

Il est la résultante de facteurs – géopolitiques, économiques, politiques, institutionnels, sociaux, etc. – tant intérieurs aux pays européens que propres aux institutions. Leur enchaînement désastreux tient à leur concomitance et à l’incapacité des pro-Européens de faire jouer des forces de rappel suffisamment puissantes. La faiblesse des anticorps européens devant les virus anti-européens est un symptôme du mal.

Le premier facteur est une montée de l’euroscepticisme lourde de conséquences : d’abord, plusieurs gouvernements européens en viennent à contester les valeurs de l’Europe. Après la Hongrie et la Pologne, on verrait ainsi plusieurs pays mettre en place des législations contraires aux principes libéraux. Devant une Commission et un Conseil paralysés, plusieurs États demanderaient à bénéficier d’exemptions par rapport à la norme commune. Dans ce contexte, comme obéissant à une prophétie auto-réalisatrice, l’Europe ne parviendrait pas à augmenter son budget d’intervention, ni à orienter ses priorités, et apparaîtrait de plus en plus comme une machine bureaucratique incapable de prendre en compte les besoins prioritaires.

Le deuxième facteur serait la crise finale de la zone euro. Non seulement la situation économique et budgétaire deviendrait pire dans plusieurs pays du sud ou incapables de se réformer, mais le contexte politique ne permettrait aucunement d’envisager des mesures de solidarité. Ainsi, après de nombreux plans de sauvetage coûteux, mais aux effets réduits et brefs, les pays plus forts ou rigoureux – notamment l’Allemagne, le Luxembourg, la Suède, la Finlande – refuseraient de continuer à payer pour les « mauvais élèves ». L’éclatement de la zone euro deviendrait inévitable, avec la sortie de plusieurs pays. Les conséquences de l’échec de la politique commune la plus symbolique en termes d’intégration ne pourront rester limitées au champ économique et financier.

L’hémicycle du Parlement européen.
Michael Sauers/Flickr, CC BY-NC

De surcroît, au-delà de désaccords géostratégiques et axiologiques, les dissensions s’accentuent entre les gouvernements, comme au sein du Parlement européen, sur les sujets centraux pour la vie européenne : politiques agricole commune, de développement (y compris de voisinage à l’Est et au Sud), industrielle et de concurrence et, plus encore car compétence propre de la Commission, commerciale. Les institutions de l’Union deviendraient paralysées dans leur fonctionnement.

Quatrième facteur, plus préoccupant encore, les conflits entre les États membres sur la politique européenne de sécurité et de défense connaîtraient un nouveau pic. Déjà, en juin 2016, les pays ne parviendraient pas à trouver un consensus fort sur une stratégie cohérente de sécurité censée remplacer celle de 2003, faute d’identification convergente de la menace, et le document produit, comme cela a pu être prédit, exprimerait une position faible et sans impact.

En même temps, le sommet de l’OTAN de Varsovie, différant à nouveau l’adhésion de nouveaux membres, ne parviendrait à formuler qu’une réponse a minima et rhétorique devant la politique d’agression de la Russie, qui continuerait de n’y voir qu’un « tigre de papier ». L’espace Schengen, devant l’accentuation des menaces terroristes et de la demande de sécurité, finirait par se déliter, entraînant des coûts élevés pour les pays eux-mêmes. L’impossibilité de trouver une réponse coordonnée pour l’accueil des réfugiés conduirait à la répétition de nouveaux drames en Méditerranée et à une concentration des difficultés dans des pays limitrophes, dès lors déstabilisés (Turquie, Jordanie, Liban, etc.), sans parler des ravages pour l’image de l’Europe.

Les pressions de la Russie parviendraient à diviser des États européens incapables de répondre de façon coordonnée à sa guerre de l’information et à une stratégie d’influence qui va au-delà des groupes extrêmes. La sortie du Royaume-Uni faciliterait ce travail de sape des agents d’influence de Poutine. Plusieurs pays entraveraient la politique de sanction à son encontre et feraient droit aux groupes de pression demandant leur levée en raison des conséquences sur leur industrie, leur agriculture et leurs services, ou d’intérêts directs de personnes proches des milieux politiques.

En raison de l’accentuation de la crise économique et du départ du Royaume-Uni, les groupes d’extrême droite et eurosceptiques verraient leur position renforcée tant sur le plan interne que lors des élections européennes de 2019. La tendance à la disparition des groupes les plus libéraux et internationalistes, tant au centre-gauche qu’au centre droit, marginaliserait le camp européen au profit de groupes de droite nationaliste ou populiste ou de gauche radicalisée et antilibérale voyant en Bruxelles l’incarnation d’un « capitalisme néolibéral ».

Une septième évolution verrait alors le jour : au-delà de l’incapacité à parvenir à un accord avec les États-Unis sur le traité de partenariat transatlantique, la guerre commerciale s’accentuerait, offrant un nouveau prétexte à une Maison-Blanche plus isolationniste pour prendre ses distances avec l’Europe. Son engagement au sein de l’OTAN et de l’OSCE diminuerait et l’Amérique, agacée par la nouvelle réduction de l’effort des Européens en matière de défense, abaisserait son engagement militaire en Europe.

À Kiev, en juin 2014.
Jordan Busson/Flickr, CC BY-NC

Faute de réponse adéquate, la Russie gagnerait des points dans une vaste Europe. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine finirait par aboutir, sans réaction européenne et américaine autre que verbale, à une mainmise de facto de Moscou sur le Donbass où tout mouvement s’opposant au gouvernement séparatiste issu d’élections non contrôlées serait réprimé. Kiev ne parviendrait pas à se reformer et à lutter contre la corruption, décourageant ainsi tant les organisations internationales et les investisseurs étrangers que les libéraux de Maidan.

Le nouveau gouvernement serbe serait tenté de regarder davantage vers Moscou que vers l’Europe. Une nouvelle intervention militaire limitée de Moscou en Géorgie aurait lieu sans réaction adéquate des Européens et de l’OTAN, tandis que le soutien plus marqué de la Russie envers l’Arménie dans le conflit du Haut-Karabakh ferait ressortir l’impuissance de l’Europe. La Moldavie, de son côté, intégrerait clairement l’orbite de Moscou. Le régime de Poutine continuerait à conduire des actions de déstabilisation dans les Pays baltes, en Roumanie, en Bulgarie et dans d’autres pays de l’Est européen.

Une neuvième tendance verrait compromis les acquis européens en termes de mise à niveau de l’État de droit et de la sécurité, avec la montée de la corruption en Roumanie, en Bulgarie et dans d’autres pays de l’Est, accompagnée ailleurs d’une atteinte aux droits fondamentaux.

Dans ce contexte, la Turquie, lasse des promesses non tenues et renforçant un modèle autoritaire, renoncerait officiellement à tout rapprochement avec l’Europe et, symboliquement, retirerait sa candidature. Parallèlement, elle annoncerait sa décision de quitter le commandement intégré de l’OTAN, anticipant d’ailleurs une décision de l’Alliance. Celle-ci avait, en effet, plusieurs fois averti Ankara que son comportement contrevenait à ses règles et à ses valeurs.

Pendant ce temps, l’Europe apparaîtrait de plus en plus sous la dépendance de groupes étrangers, les entreprises et les fonds souverains chinois, des pays du Golfe et russes prenant le contrôle d’entreprises européennes de premier plan.

Sur la plupart des sujets européens – défense, politique à l’Est, mesures économiques et financières, énergie, etc. – le couple franco-allemand verrait ses divisions renforcées, les coalitions hétérogènes au pouvoir dans chacun des deux pays étant peu homogènes dans leur vision de l’Europe future.

Enfin, faute d’intervention adéquate en Syrie et en Libye, et en raison de l’isolationnisme croissant des États-Unis et des dissensions avec la Turquie, le flux de réfugiés et, globalement, les pressions migratoires s’accentueraient en Europe. Les pays européens ne parviendraient pas à adopter une politique à la fois organisée et orientée par des valeurs d’accueil. L’absence de réponse commune, de discours cohérent et les politiques du chacun pour soi donneraient prise aux discours de rejet.

Le scenario bleu : un miracle européen ?

Le scénario bleu tient du miracle. Il sera aisé de le rejeter comme utopique. Pourtant, considérées les unes après les autres, les tendances qui le charpenteraient ne sont pas impossibles, encore moins impensables. Elles forment le substrat d’une évolution positive vers laquelle pousser.

Le premier facteur permissif résulterait d’une inversion de tendance : l’installation au pouvoir, lors des prochaines élections, de partis pro-européens, convaincus de la nécessité de communiquer sur les avantages apportés par l’Europe et ses valeurs, de mieux coopérer avec les autres États membres en dégageant des compromis positifs et de s’affronter aux dangers, intérieurs et extérieurs, qui la menacent.

La zone Schengen serait confortée et intégrerait, après une mise à niveau, les pays européens qui n’en font pas encore partie. Ceux-ci finiraient par prendre des mesures coordonnées d’accueil et d’intégration des réfugiés, tandis que la progressive résolution des conflits, notamment en Syrie et en Libye, permettrait la réinstallation dans leur pays d’une grande partie d’entre eux.

À la frontière entre la Macédoine et la Grèce, avril 2016.
Daniel Mihailescu/AFP

Les stratégies budgétaires en direction des pays européens les plus faibles ou aux finances publiques déséquilibrées, se révéleraient des succès, et la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et la France sortiraient du rouge. Cela permettrait de continuer l’expansion de la zone euro et même d’imaginer que, le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe étant consacré par un référendum ayant largement rejeté le « Brexit », Londres décide d’abandonner la livre et de rejoindre la zone euro.

Conséquence de cette nouvelle confiance dans l’Union européenne, les gouvernements parviendraient à définir un accord sur une stratégie budgétaire commune et doteraient l’Union d’une fiscalité propre, offrant à l’UE des marges de manœuvre durables, et de donner corps à un gouvernement économique.

Le Conseil européen lancerait dans la foulée un plan pour une nouvelle vague d’élargissements, doté d’un agenda précis. Celui-ci inclurait les Balkans, la Moldavie, l’Ukraine, et ne fermerait pas la porte à la Turquie, pourvu qu’elle se conforme aux règles de l’État de droit. Ces pays, désormais gouvernés par une nouvelle génération de dirigeants partageant les valeurs libérales de l’Europe et conscients de l’unique opportunité qui se présenterait à eux, mettraient tout en œuvre pour remplir les obligations préalables à l’adhésion.

Après une phase dure de tensions avec la Russie pendant laquelle l’Europe aurait démontré son unité et sa résolution, notamment en apportant une aide conséquente et une assistance militaire active à l’Ukraine et en augmentant de manière coordonnée son effort de défense, les relations deviendraient plus pacifiées et confiantes à la faveur de l’arrivée d’un nouveau gouvernement au Kremlin. Celui-ci cesserait de menacer l’Europe sur le plan énergétique et accepterait la perspective d’une intégration de l’Ukraine dans l’Union.

En contrepartie, son partenariat économique et stratégique avec l’Union européenne et l’OTAN se développerait et la Russie comprendrait l’intérêt d’une attitude coopérative avec l’Europe et les puissances libérales sur la scène internationale. Cette évolution lui permettrait de résoudre sa crise économique, l’Union apportant une aide significative à la modernisation de son tissu productif, mais aussi de mieux répondre à ses préoccupations de sécurité intérieure et extérieure.

Revivifié par la plus grande coopération entre les États, le Service européen d’action extérieure prendrait toute sa place et jouerait un rôle déterminant dans le processus de paix dans plusieurs zones de conflit. Un partage plus clair des compétences serait également trouvé entre les actions de l’OTAN et celles liées à la politique européenne de défense et de sécurité.

Ce contexte de confiance permettrait aux chefs d’État et de gouvernement européens de nommer des personnalités charismatiques à la tête des institutions de l’Union, ce qui renforcerait sa visibilité et sa crédibilité à l’extérieur. Comme le permet le Traité, les fonctions de président du Conseil et de la Commission seraient attribuées à la même personne, limitant les numéros de téléphone de l’Europe. Cette situation n’empêcherait aucunement les grands États de l’Union de jouer un rôle diplomatique spécifique en coordination avec l’Union.

Ces évolutions conduiraient à un partenariat mieux structuré entre l’Europe et les États-Unis, ceux-ci ayant compris la nécessité de se réinvestir dans l’Europe : elle serait vue comme un partenaire indispensable dans le cadre d’un jeu mondial que Washington ne peut jouer seul et sans tenir compte de l’avis et de l’expertise des autres. Serait ainsi instituée une réunion à haut niveau biannuelle entre les deux côtés de l’Atlantique, accompagnée d’un comité permanent de liaison entre l’Amérique et l’Europe au niveau des experts et des hauts fonctionnaires afin de déminer malentendus et désaccords au-delà des discussions domaine par domaine. Cette coopération conduirait à un dialogue commun entre l’Europe et la plupart des pays d’Asie.

Le scénario gris, ou la médiocrité durable

Le scénario gris apparaît comme la prolongation de la situation actuelle, forte en incertitudes, mais qui ne conduit pas à un effondrement de l’Europe. Il exclut le triomphe des partisans d’une nouvelle avancée et la victoire des apôtres de son démantèlement. Ce scénario traduit certes une certaine médiocrité, c’est-à-dire une voie moyenne peu propice à l’enthousiasme. Cette situation d’équilibre bancal peut-elle durer ? Ce scénario n’écarte pas les menaces et chacune de ses parties comprend une alternative entre une situation de précarité et une relative stabilisation.

La situation de la zone euro demeurerait instable, certains États restant proches de la banqueroute. Toutefois, elle résisterait aux chocs. Dans un premier cas, certains pays la quitteraient, les autres parvenant à éviter un effet de contagion ; dans un second, elle finirait par attirer quelques nouveaux États, mais sans que soit institué un gouvernement économique de la zone euro, dès lors inachevée.

Recep Tayyip Erdogan à Strasbourg, en octobre 2015.
Vincent Kessler/Reuters

Les pays membres réaffirmeraient que l’élargissement reste un facteur de force et de légitimité du projet européen. En cela, ils ne briseraient pas cette dynamique. Toutefois, peu de pays, au-delà d’un ou deux de la zone balkanique, rejoindraient l’Union. La Turquie, ayant rompu avec les dérives autoritaires actuelles, accepterait un statut à part, à mi-chemin entre l’intégration et un simple partenariat. La question de la Moldavie, en raison du conflit gelé en Transnistrie, ne serait pas réglée, et l’Ukraine, qui n’aurait pas récupéré la Crimée annexée illégalement par la Russie et ferait face à une situation de gel de la situation dans le Donbass, bénéficierait tout au plus d’un partenariat commercial amélioré.

Le budget européen n’augmenterait pas et l’Union ne parviendrait pas à se doter de ressources propres. Toutefois, ses dépenses seraient progressivement davantage orientées vers l’amélioration de la productivité et les investissements structurants. Quoique contestée, la Commission conserverait la crédibilité nécessaire pour poursuivre son travail sans être désavouée par le Parlement européen.

Tandis que les institutions continueraient à fonctionner, sans être animées par des dirigeants d’envergure, certains groups d’États parviendraient à avancer ensemble sur quelques projets structurants, notamment en matière de défense et de politique étrangère. Par leur entremise, le continent européen continuerait à compter dans les opérations de rétablissement et de maintien de la paix.

L’emblème de l’opération menée en 2008 par l’UE au Tchad et en Centrafrique.
Rock Cohen/Flickr, CC BY-SA

Du côté politique, les tendances extrémistes et eurosceptiques seraient stabilisées sans diminuer drastiquement. Les groupes qui les représentent continueraient d’alimenter une forte contestation interne dans les pays de l’Union, empêchant les partis au pouvoir, toujours sur la défensive, de s’engager dans des projets plus ambitieux.

Si le Royaume-Uni était conforté dans sa vocation européenne par l’échec des partisans du Brexit, le succès des partisans du StayIn resterait trop mesuré pour éviter la multiplication des clauses de sauvegarde dont bénéficie Londres. Certains, en Grande-Bretagne comme dans d’autres pays européens, continueraient d’envisager une « revanche ». Quant à la zone Schengen, elle fonctionnerait a minima, restant valide dans son principe, mais autorisant une multiplication des contrôles.

Les pressions de la Commission et une assistance bien ciblée permettraient d’endiguer la corruption des pays membres qui en souffrent le plus et d’améliorer leur gestion. Il en irait de même pour les pays tentés par des solutions autoritaires, quand bien même les menaces d’un retour en arrière demeureraient.

Du côté des relations transatlantiques, la situation se stabiliserait après l’adoption d’une version peu ambitieuse de partenariat transatlantique. La priorité européenne du nouveau gouvernement américain serait toutefois mesurée et un certain scepticisme, allant parfois jusqu’à la défiance, continuerait de prévaloir devant la puissance américaine, tantôt jugée trop envahissante et peu respectueuse de ses alliés, tantôt considérée comme peu fiable dans la protection de l’Europe. Dès lors, les États-Unis et l’Europe ne parviendraient pas à jouer de manière coordonnée dans la gestion des affaires mondiales, en particulier dans les lieux de conflit.

Dans ce scénario, la relation avec la Russie offre les variantes les plus contrastées. Si l’on écarte les situations opposées de nouveaux conflits à haute intensité à la périphérie de l’Europe ou au sein de l’Union (États baltes) et d’une attitude coopérative permise par l’arrivée d’un nouveau gouvernement à Moscou, il reste des situations en demi-teinte. Dans un cas, on peut imaginer des accords à peu près satisfaisants dans le domaine de l’énergie et une situation de quasi-gel dans le Donbass ; dans l’autre, il peut être envisagé le maintien d’escarmouches régulières, la continuation d’actions de propagande à l’encontre des valeurs et du projet européens et une désunion des États en matière de sanctions. Cela laisserait la porte ouverte à la déstabilisation de l’Europe et des zones où l’Europe et les États-Unis sont impliqués (Moyen-Orient notamment) et à une répression toujours intense à l’encontre des droits fondamentaux dans le pays.

Tels quels ces scénarios appellent une réflexion sur les dangers et le souhaitable, mais ils ne permettent pas de dégager une solution « clé-en-mains » logique. Ce n’est qu’en hiérarchisant les menaces, mais surtout en formulant de manière positive un projet européen de long terme, qu’il deviendra possible de définir des voies d’action.

Nous publierons demain le troisième et dernier volet de la contribution de Nicolas Tenzer consacré à l’agenda qui attend les dirigeants de l’Union européenne s’ils veulent la « sauver ».

The Conversation

Nicolas Tenzer, professeur associé International Public Affairs, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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