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La politique étrangère du candidat Trump : vers le principe de réalité ?

Cyrille Bret, Sciences Po – USPC; Florent Parmentier, Sciences Po – USPC et Guillaume Lagane, Sciences Po – USPC

Capture.PNG TRumpLe discours de Donald Trump du 27 avril 2014 marquera-t-il un tournant dans les affaires du monde ? On peut encore en douter. Mais il signale assurément que le milliardaire devenu homme politique commence à se confronter aux réalités et aux dilemmes de la politique étrangère américaine.

C’est en effet la première fois que le désormais très probable candidat Républicain aux élections présidentielles de novembre 2016 expose une vision globale pour la politique étrangère du prochain mandat (2017-2021). L’outsider volontiers provocateur et résolument chauvin a-t-il su dépasser la politique des coups de menton pour articuler les principes d’une véritable politique mondiale ? Le défi est de taille.

Sévèrement critiqué pour ses imprécisions et pour ses contradictions, ce discours marque toutefois le début d’une confrontation avec la réalité de la part de Trump. Les hésitations du discours sont sans doute le symptôme d’une maîtrise encore limitée de la diplomatie. Mais elles reflètent également cinq dilemmes structurant de toute politique extérieure américaine.

1) Repli isolationniste ou influence mondiale ?

Donald Trump veut placer l’Amérique, ses intérêts et sa sécurité au premier rang. « America First ! » est son slogan. Revient-il à l’isolationnisme républicain classique après le « wilsonisme botté » des néo-conservateurs de l’administration Bush ? Ou bien sera-t-il bientôt saisi par la tentation des interventions musclées ?

Le propos de Donald Trump s’inscrit dans une tradition ancienne du Parti républicain : celle du retrait des affaires du monde. Après 1918, les administrations Harding et Coolidge ont refusé de défendre le Traité de Versailles, négocié par Wilson, mais non ratifié par le Congrès américain. Cet isolationnisme a perduré durant toutes les années 1920.

Plus récemment, George W. Bush, lors de sa première campagne présidentielle, a lui aussi été élu sur une plateforme critique de l’interventionnisme clintonien dans les Balkans et en Somalie. Élu du Texas, il voulait faire du Mexique sa priorité. Et lors d’une interview célèbre, il s’était montré incapable de retrouver le nom du président pakistanais, Pervez Musharraf (qu’il appelait « le général »). Le 11 septembre 2001 a changé tout cela.

C’est dire qu’il ne faut pas confondre les propos d’estrade et l’exercice du pouvoir ! Même s’il demeure peu précis, le discours de Trump est d’ailleurs, pour une fois, assez bien construit. Il plaide, de façon inattendue, pour un rapprochement avec la Chine et la Russie. Le président Bush lui aussi affirmait, en 2001, lire « l’âme » de Vladimir Poutine. Cela ne l’a pas empêché de soutenir les révolutions de couleur dans l’espace post-soviétique. On peut donc penser que des évolutions seront nécessaires au nom du réalisme : imposer des droits de douane de 45 % à la Chine, faire payer au Mexique le mur sur la frontière sud et se réconcilier avec Russie ne sont pas, pour le moment, des décisions réalistes.

De même, Trump critique le bilan de l’administration Obama, jugé fragile et confus. Mais a-t-il complètement tort ? Retenons plutôt sa volonté de rendre les États-Unis « imprévisibles », c’est-à-dire menaçants, dans leurs interventions militaires – ce qui trancherait avec l’impression de faiblesse produite aujourd’hui par Obama.

Signe important, son discours a été introduit par Zalmay Khalilzad, qui fut ambassadeur en Afghanistan et en Irak sous la présidence Bush, et qui appartient au camp néoconservateur. Mais Trump ne semble pas avoir encore choisi entre interventionnisme néoconservateur et isolationnisme républicain classique. Un travail de mise en cohérence de ses partisans et un effort de réalisme dicté par les contraintes juridiques et diplomatiques sont à prévoir.

2) Faire payer les alliés ou leur laisser une marge d’action ?

Donald Trump a annoncé qu’il ferait contribuer davantage les alliés des États-Unis au financement du « parapluie sécuritaire américain ». Cela annonce-t-il une recomposition du réseau d’alliances américain ? L’Europe trouvera-t-elle dans cette politique une fenêtre d’opportunité pour augmenter son effort de défense ?

On a plaisamment dit de Trump que le catalogue de ce qu’il ignorait pouvait constituer un livre, et qu’il s’agissait d’une encyclopédie ! Ses adversaires ont – avec raison – rappelé que, contrairement à ses propos de campagne, les alliés des États-Unis contribuaient au financement du parapluie américain. Le Japon paye ainsi 70 % du stationnement des forces américaines dans l’archipel. Tokyo a financé le déploiement des troupes américaines au Koweït en 1991.

Il s’agit donc bien d’une two-way street, comme le demande Trump. Dans le cas du Japon, la limitation de son effort de défense (à 1 % du PIB depuis 1976) est aussi un effet de sa rupture avec le passé militariste, rupture encouragée par l’occupant américain après 1945. Les positions de Trump en la matière n’iront pas au-delà de vagues propos de campagne. Il en ira sans doute de même avec la Corée du Sud, pointée du doigt par Donald Trump : celle-ci ferait payer sa défense contre le voisin du nord et la Chine au contribuable américain. C’est oublier que les États-Unis utilisent activement la Corée pour contrer l’influence chinoise en Asie du Nord.

S’agissant de l’Europe et de l’OTAN, il est possible que la position de Trump soit, en revanche, davantage suivie d’effets. Il est peu probable qu’il revienne sur le mouvement de pivot vers l’Asie imprimé par Obama aux forces américaines. Il sera donc fondé à demander aux Européens de cesser de jouer aux « passagers clandestins » en profitant de la protection américaine sans payer pour cela. Les États-Unis consacrent presque 4 % de leur PIB à la défense, alors que seuls cinq pays de l’OTAN sur 28 atteignent le niveau de 2 % souhaité par l’Alliance.

Par la force des choses, au vu de la situation du Moyen-Orient et le revanchisme russe, l’Europe pourrait donc être contrainte d’augmenter son effort de défense. Trump viendrait ainsi, paradoxalement, au secours des pays, telle la France, dont c’est depuis deux décennies le leitmotiv ! De façon inattendue, l’élection de Trump pourrait donc être une bonne nouvelle pour la défense de l’Europe par les Européens !

Toutefois, dans ce domaine encore, l’attitude déclarée de Donald Trump reprend les ambiguïtés américaines depuis la fin de l’URSS : d’un côté, les États-Unis veulent eux aussi toucher les dividendes de la paix et ne pas payer la sécurité du monde ; mais d’un autre côté, ils répugnent à laisser leurs alliés développer une politique étrangère autonome afin de garder le contrôle sur leurs stratégies respectives et influencer leurs achats de matériels militaires.

3) La politique étrangère : thème secondaire ou enjeu majeur pour la campagne électorale ?

Donald Trump a vivement critiqué le bilan international de Barack Obama en pointant l’absence de cap. S’agit-il d’une manœuvre purement tactique pour décrédibiliser sa probable rivale, Hillary Clinton, ancienne Secrétaire d’État du président actuellement en fin de mandat ? Ou bien le futur candidat républicain propose-t-il une véritable rupture dans l’action extérieure américaine ? De manière générale, les questions internationales (Chine, Corée du Nord, Syrie, etc.) seront-elles un game changer dans la campagne électorale ?

Donald Trump s’est effectivement montré très critique de la politique de l’actuel Président, notamment de sa politique étrangère. D’une part, d’un point de vue rhétorique, il entend incarner une véritable rupture avec Barack Obama, notamment en rejetant toute forme de « politiquement correct », y compris en matière de relations internationales. À ses yeux, l’impérialisme démocratique peut engendrer le chaos, et il faut donc défendre les intérêts de l’Amérique avant tout.

« America first », le slogan de Donald Trump en politique étrangère.
Gage Skidmore/Flickr, CC BY-SA

Cette logique tranche avec le néo-conservatisme si présent sous George W. Bush.

D’autre part, au-delà du ton, il est obligé de critiquer durement la politique de sa probable rivale pour les raisons politiciennes mentionnées ; il le fait précisément parce qu’on ne lui prête guère d’expertise pour les relations internationales, lui-même revendiquant avant tout des « savoir-faire » (la négociation) plutôt que des savoirs. Pour Donald Trump, la meilleure défense reste l’attaque.

Pour le reste, les questions internationales resteront comme souvent un facteur secondaire du vote, qui reste dominé par des enjeux socio-économiques. Les relations avec le Mexique et les Mexicains constitueront toutefois un enjeu important pour l’électorat dans les États du Sud.

4) Pacifier le Moyen-Orient ou lutter contre l’islam ?

Barack Obama a été souvent critiqué pour une des conséquences de son « pivot » vers l’Asie : le désengagement à l’égard du Moyen-Orient. Comment Donald Trump compte-t-il traiter ce dossier ?

Barack Obama s’était effectivement fixé pour objectif de réorienter la politique étrangère américaine vers l’Asie, suivant la géographie des échanges ainsi que l’émergence de la puissance chinoise, cette dernière étant bien plus menaçante à terme pour l’hégémonie américaine que la Russie. Par comparaison avec son prédécesseur, le président Obama s’est en effet explicitement abstenu de s’engager fortement dans la région.

L’approche trumpienne du Moyen-Orient est axée d’abord et avant tout sur la critique du bilan Obama et sur la défiance affichée envers l’islam.

En ce qui concerne l’administration Obama, elle est accusée d’avoir favorisé les ennemis d’Israël en concluant un accord sur le nucléaire avec l’Iran et en laissant se développer l’influence politique des Frères musulmans, notamment sous la présidence Morsi. La secrétaire d’État Clinton et le Président en fin de mandat sont également blâmés pour avoir laissé le chaos s’installer en Syrie et en Irak de sorte que Daech a pu se développer.

En ce qui concerne l’islam, le candidat avait proposé auparavant la suspension des autorisations d’entrée sur le territoire américain de nouveaux musulmans. Dans son discours, il a été plus modéré mais a menacé toutes les forces islamistes – Daech en tête – d’éradication militaire. De même, son hostilité au régime chiite de Téhéran s’est manifestée par l’insistance à dénier à l’Iran le droit à la bombe nucléaire. Il a repris la thèse d’un « génocide » des chrétiens au Moyen-Orient et a ainsi tracé les linéaments d’une politique confessionnelle pour les États-Unis, du côté des chrétiens et des juifs en opposition à l’islam radical, qu’il soit sunnite ou chiite.

Là encore, le candidat Trump hésite : d’un côté, il promet la paix à la place du chaos, lie la sécurité des États-Unis à la pacification du Moyen-Orient et entend rassurer les alliés traditionnels (Israël et Arabie saoudite) mais, d’un autre côté, il dessine des initiatives peu propices à l’apaisement, comme la menace d’actions militaires contre Daech, la révision des accords avec Téhéran, une hostilité certaine à l’islam.

En un mot, sa politique moyen-orientale ne parvient pas à choisir entre la ligne Bush Jr. faite d’activisme prophétique, et la ligne Obama, faite de désengagement circonspect.

5) Donald Trump peut-il devenir un leader pour la scène internationale ?

Sera-t-il un nouveau George W. Bush ? Se convertira-t-il à un réalisme pragmatique à l’instar de celui de Richard Nixon et Henry Kissinger ? Que peut attendre le monde de Trump Président ?

Le potentiel international d’un homme politique est toujours incertain au stade de sa candidature. Les campagnes électorales des grandes démocraties libérales, qu’elles soient parlementaires ou présidentielles, sont axées sur les difficultés intérieures.

En outre, aux États-Unis, elles sont depuis plus d’un siècle, polarisées sur les personnalités des candidats en lice, comme l’a souligné Pierre Rosanvallon dans son dernier livre Le bon gouvernement : la révolution jacksonienne, renforcée par les médias et combinée au charisme personnel de présidents comme Kennedy, Reagan et Clinton, font passer les capacités de stratège, de diplomate et de chef de guerre au second rang.

Ainsi, qui aurait pu prédire que l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste français, dépourvu d’exposition internationale forte, François Hollande, serait un chef de guerre reconnu pour l’intervention au Mali et un diplomate co-présidant le « format Normandie » avec Angela Merkel pour sortir de la crise ukrainienne ?

À l’heure actuelle, au vu de la campagne des primaires et du discours du 27 avril, Trump apparaît encore comme un novice un peu brouillon et encore en apprentissage. Mais des effets de structures vont jouer : l’entourage et tout particulièrement le conseiller pour la sécurité nationale jouent un rôle déterminant dans la formation accélérée du président élu.

De plus, les réalités internationales sont de puissantes contraintes pour un candidat quand il se transforme en commandant en chef. Trump ne pourra pas se transformer en W. Bush, ne serait-ce qu’en raison de son hostilité à la dépense publique. Un interventionnisme exportateur de démocratie et des intérêts américains est, pour le moment, peu audible auprès de l’opinion américaine. Trump a encore à définir sa posture internationale en tenant compte des dilemmes structurels de la politique étrangère américaine.

The Conversation

Cyrille Bret, Maître de conférences, Sciences Po – USPC; Florent Parmentier, Enseignant à l’Ecole d’Affaires publiques, Sciences Po – USPC et Guillaume Lagane, Maître de conférences, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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