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L’actuelle politique migratoire ne respecte pas le programme d’En marche

Le président Macron lors d'une visite dans un centre d'accueil de migrants, à Croisilles, le 16 janvier 2017 (Euronews)
Le président Macron lors d’une visite dans un centre d’accueil de migrants, à Croisilles, le 16 janvier 2017 (Euronews)

Speranta Dumitru, Université Paris Descartes – USPC

Le projet de loi immigration-asile, tel que présenté le 8 janvier 2017, comprend 35 mesures. Elles sont en profonde rupture avec la lettre et l’esprit du programme d’En marche. Mais en quoi serait-ce si grave ?

Pour répondre à cette question, il convient d’abord de comparer les deux projets. Le programme d’En marche a été présenté pour la première fois le 2 mars 2017. Que contenait-il en matière d’immigration ?

Une politique d’asile digne

Les circonstances de la campagne électorale ont pu être oubliées. Mais lorsqu’Emmanuel Macron présente pour la première fois son programme, le 2 mars 2017 au Pavillon Gabriel, il ne fait aucune référence à l’immigration ou à l’asile. Les journalistes ne posent pas non plus de question à ce sujet. Cette retenue est explicable. Depuis le début de la campagne, Marine Le Pen est favorite des sondages et fait de l’immigration son gagne-pain électoral. Emmanuel Macron aimerait se constituer en contre-candidat au populisme sans braquer son adversaire.

Dans la version papier du programme, diffusée à la même date, seules 2 mesures sur les 100 proposées sont consacrées aux étrangers. Cette version du programme servira aux Marcheurs à faire campagne partout en France.

Le programme d’En marche (version papier).

Ces deux mesures ne concernent pas l’immigration mais la naturalisation et l’asile. Elles sont plutôt bienveillantes : la maîtrise du français deviendrait le « principal critère » pour l’obtention de la nationalité et les demandes d’asile devraient être instruites en moins de 6 mois, recours compris.

En effet, Emmanuel Macron semble être personnellement attaché au droit d’asile. Dans un contexte où les réfugiés risquaient d’être associés au terrorisme, il signe une tribune courageuse pour saluer la réaction digne des Allemands face à l’attentat de Berlin, le 19 décembre 2016. Publiée le 1er janvier 2017, tôt dans la campagne donc, sa tribune était risquée. Il y estimait :

« la chancelière Merkel et la société allemande […] ont été à la hauteur de nos valeurs communes ; elles ont sauvé notre dignité collective en accueillant des réfugiés en détresse, en les logeant, en les formant. En refusant de reconstruire des murs dans une Europe qui en a trop souffert, en évitant les amalgames face aux événements les plus cruels ».

Cette dignité peut, quant à elle, être chiffrée. En 2016, l’Allemagne avait enregistré à elle seule 745 000 premières demandes d’asile, quand la France en avait enregistré 84 000, presque dix fois moins donc. Non seulement la France était peu attractive pour les réfugiés, mais elle avait accepté à peine un tiers de ces demandes.

Pour que la France retrouve sa dignité, il lui faut assumer « sa juste part » dans l’accueil des réfugiés. Et c’est bien l’un des quatre objectifs en matière d’immigration et asile du programme d’En marche, dans sa version la plus complète présentée sur le site de son mouvement. Les trois autres objectifs sont : l’intégration, décrite comme une « priorité absolue », la promotion de l’immigration de connaissance et la protection des frontières de l’Europe dans le respect de ses valeurs.

Immigration et asile (Programme d’En Marche 2017).

Examiné dans le détail, le programme d’En marche contient 12 mesures, presque toutes progressistes. Les mesures répressives sont laissées aux frontières de l’Europe.

N’est-il pas étonnant qu’avec un tel programme Emmanuel Macron ait pu gagner les élections contre Marine Le Pen ? Quoi qu’il en soit, la présentation de ces mesures, le 2 mars, ne l’a pas empêché, la semaine suivante, de se hisser en deuxième position dans les sondages.

Une politique migratoire malveillante

S’il est étonnant qu’Emmanuel Macron ait pu gagner contre Marine Le Pen avec un programme progressiste en matière d’immigration, il est encore plus étonnant qu’arrivé au pouvoir, ce programme soit devenu répressif.

D’abord, l’ordre des priorités a progressivement été renversé. Le 12 juillet 2017, un plan gouvernemental – « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires » – est présenté par un premier ministre visiblement embarrassé.

Il présente cinq axes. Les priorités « absolues » du programme En marche – l’intégration et l’immigration de la connaissance – ont été remplacées par la maîtrise des flux migratoires, le traitement administratif des demandes d’asile et la lutte contre l’immigration irrégulière.

Comparaison entre programme EM et plan gouvernement.

Ensuite, en décembre 2017, Gérard Colomb a diffusé à ses services deux circulaires, toutes deux centrées sur les expulsions. Pour accueillir plus de réfugiés, le seul moyen que le ministre de l’Intérieur a trouvé est l’expulsion massive. Il n’est pas indiqué combien de réfugiés seront acceptés pour combien d’expulsions, mais c’est ainsi qu’il oriente son action.

La circulaire du 12 décembre 2017 tente de contourner la loi qui prévoit que l’hébergement d’urgence n’est soumis à aucune autre condition que celle de la « détresse médicale, psychique ou sociale ». Le ministre demande que l’on identifie le statut migratoire des personnes, y compris pour notifier des mesures d’éloignement.

L’instruction du 20 décembre 2017, moins relayée par la presse, rappelle aux préfets que la lutte contre l’immigration irrégulière doit être l’une de leurs « premières priorités ». Elle vise toute catégorie d’étranger en situation irrégulière, y compris les travailleurs sans autorisation de travail ; elle indique que l’assignation à résidence, la biométrie et le système informatique doivent être utilisés à des fins d’expulsion.

Présentation le la loi asile (janvier 2018).
DR

Le déséquilibre de la prochaine loi immigration et asile est encore plus étonnant. Sur 35 mesures annoncées, seules 8 sont progressistes.

Peu nombreuses, les mesures progressistes visent un tout petit nombre d’étrangers : les apatrides et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les victimes d’excision et de violence conjugale, de nouvelles catégories (non spécifiées) du « passeport-talent », des malades solvables.

Loi asile (page 2).
DR

Le reste des 27 mesures visent à diminuer des droits : division par deux de la période pour déposer un recours, doublement de la durée de la rétention, absence de délai pour le départ volontaire, assignation à résidence…

Le projet est si déséquilibré que, pour « améliorer les conditions d’intégration et d’accueil », il envisage de lutter contre… la reconnaissance frauduleuse de paternité ou de renvoyer des étrangers malades dans d’autres pays européens.

La bienveillance s’est donc transformée en son contraire et aucune mesure du programme En marche n’est reprise dans ce projet de loi, tel qu’il est présenté.

En marche, vers quelles conséquences ?

Cette distance entre le programme annoncé et la politique effective risque d’affecter la capacité de résistance de la France à la future montée de l’extrême droite. Car à chaque concession que les précédents gouvernements ont faite à l’extrême droite, celle-ci s’est renforcée.

En 2017, cette capacité de résistance s’est appelée « En marche ». Des sensibilités de droite et de gauche se sont engagées ensemble pour trouver une solution contre le populisme et la xénophobie, alors aux portes du pouvoir.

Aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur tente de les convaincre que la répression est le vrai visage de la bienveillance. Que pour accepter de nouveaux étrangers, il faut d’abord expulser les anciens. Que pour donner généreusement des cours de français, il faut pouvoir assigner à résidence. Que le monde est simple et les migrants sont soit économiques, soit politiques. Que la police est exemplaire et la société civile, importune. Et que pour les migrants, même les repas doivent être contrôlés par l’État.

The ConversationSi le ministère de l’Intérieur finit par mettre au pas En marche, la France aura perdu une réserve de tolérance.

Speranta Dumitru, Maîtresse de Conférences en Science Politique, Université Paris Descartes – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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