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Autriche : le retour de l’extrême droite au pouvoir dans un silence assourdissant

Conférence de presse de Sébastian Kurtz, nouveau Chancelier d'Autriche et Hans-Christian Strache vice-chancelier issus de l'extrême-droite (capture Hello World)
Conférence de presse de Sébastian Kurtz, nouveau Chancelier d’Autriche et Hans-Christian Strache vice-chancelier issus de l’extrême-droite (capture Hello World)

Benjamin Rojtman-Guiraud, Université de Lorraine

Pendant qu’en Allemagne la chancelière Merkel peine à former une nouvelle coalition, son voisin autrichien a vu, ce lundi 18 décembre, son nouveau gouvernement prêter serment.

Après 1983 et 1999, il aura donc fallu attendre 2017 pour voir l’extrême droite retrouver des ministères avec le retour au pouvoir du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs). Le leader du parti de droite, l’ÖVP (Österreichische Volkspartei), Sebastian Kurz, avait annoncé peu après les élections entamer des négociations avec le FPÖ d’Heinz-Christian Strache. Et à l’issue de sept semaines d’âpres négociations entre les deux formations politiques, un accord de gouvernement a finalement été trouvé pour la période 2017-2022 – accord qui laisse la part belle au FPÖ.

Celui-ci obtient pas moins de six ministères, dont celui de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères. Dès le début des négociations, le leader populiste Heinz-Christian Strache avait demandé des postes clés dans le gouvernement pour exercer un réel pouvoir au sein de cette coalition. En outre, Heinz-Christian Strache deviendra le nouveau vice-chancelier autrichien. Pour rappel, l’ÖVP de Sebastian Kurz était arrivé en tête des élections nationales avec 31,47 % des suffrages devançant le SPÖ avec 26,86 % et l’extrême droite autrichienne du FPÖ avec 25,97 %.

Le gouvernement autrichien dirigé par Sebastian Kurz, qui, soulignons-le, âgé seulement de 31 ans, sera le plus jeune dirigeant européen (devant Macron), a vocation à défendre avant tout les intérêts des Autrichiens, comme en atteste le titre du programme de gouvernement « Zusammen. Für unser Österreich ». (« Ensemble. Pour notre Autriche »). Les axes majeurs de ce programme gouvernemental sont les suivants : la sécurité des Autrichiens, la refondation de l’Europe et la lutte contre l’immigration illégale. Durant la campagne, le candidat Kurz avait axé son programme sur des thématiques proches de celles du FPÖ ; il n’est donc pas illogique de voir ressurgir ses propositions dans l’accord de gouvernement.

L’irrésistible ascension du FPÖ

Procédons à un bref retour en arrière pour tenter de comprendre comment cette nouvelle coalition ÖVP-FPÖ a pu voir le jour.

Lorsque Jörg Haider quitte le FPÖ en 2005 pour fonder son propre parti, le BZÖ (Bündnis Zukunft Österreich), beaucoup d’observateurs voient son ancien mouvement comme un parti amené à mourir puisqu’il devient orphelin de son leader charismatique. Celui-ci avait en effet nettement contribué, pendant plus de vingt ans, à redorer l’image du parti d’extrême droite autrichien. Refusant toutefois d’évoquer publiquement la « dédiabolisation » du FPÖ, il avait permis à ce parti d’obtenir des résultats encourageants qui allaient même le propulser jusqu’au gouvernement, au début des années 2000.

Alors que, durant de nombreuses années, les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux démocrates du SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs) avaient dominé les débats, le FPÖ de Jörg Haider a réussi à mettre fin à cette bipolarisation de la vie politique autrichienne. L’un de ses successeurs, Heinz-Christian Strache, s’est appuyé sur ce travail pour faire du FPÖ une machine de guerre électorale.

Année après année et élection après élection, les candidats du FPÖ n’ont cessé d’obtenir des résultats encourageants, allant même jusqu’à atteindre le second tour de l’élection présidentielle de 2016, avec leur candidat Norbert Hofer. De plus, le FPÖ a longtemps fait la course en tête dans cette élection avant d’être rattrapé par l’ÖVP. De plus en plus d’Autrichiens se retrouvent dans les idées défendues par le FPÖ.

Ce succès de l’extrême droite s’explique en grande partie par le fait que, depuis la reprise en main du FPÖ par Heinz-Christian Strache, l’accent est mis sur la « lutte anti-islam » et contre l’immigration illégale. La récente crise migratoire à laquelle a été confrontée l’Union européenne n’a fait que renforcer, aux yeux de nombreux électeurs autrichiens, les arguments du FPÖ.

Par ailleurs, contrairement à la France où des alliances entre le FN et d’autres partis politiques semblent impossibles, il ne fut pas rare, par le passé, de voir en Autriche des alliances au niveau local ou régional entre le SPÖ et le FPÖ et FPÖ et l’ÖVP. Le FPÖ est aujourd’hui perçu comme étant « un parti comme les autres » et sa participation au prochain gouvernement devrait encore renforcer sa légitimité et sa « respectabilité » sur l’échiquier national.

Au début des années 2000, l’Autriche sanctionnée… très brièvement

Au début des années 2000, quand le FPÖ de Jörg Haider s’est trouvé aux portes du pouvoir, les pays européens protestent vivement contre cette entrée au gouvernement. Le 31 janvier 2000, la présidence de l’UE, alors exercée par le Portugal, déclare qu’elle prévoit un certain nombre de sanctions à l’égard de l’Autriche si les négociations pour la formation d’une coalition entre FPÖ et ÖVP vont jusqu’à leur terme. Ces sanctions entrèrent finalement en vigueur une fois le gouvernement officiellement formé, le 4 février 2000. La coalition fut alors condamnée par l’ensemble des quatorze états-membres de l’UE.

Jorg Haider, celui qui a relancé l’extrême droite en Autriche dans les années 1990.
Sugarmeloncom/Wikimedia, CC BY

Parmi les présidents ou chefs de gouvernement qui ont travaillé à l’élaboration de cette déclaration, on retrouve notamment le président français Jacques Chirac, le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, ou encore le chef du gouvernement espagnol, José María Aznar. Dès la formation du gouvernement autrichien, certains pays rompent leurs relations bilatérales avec Vienne, tandis que les candidats autrichiens à des postes dans les organisations internationales sont boudés.

Le 8 septembre 2000, les trois personnalités politiques (l’ancien président de la Finlande, Martti Ahtisaari, le juriste d’origine allemande, Jochen Frowein, et l’ancien ministre des Affaires étrangères espagnol, Marcelino Oreja) mandatées par les états-membres de l’Union, trois mois auparavant, remettent un rapport au président en exercice de l’UE, Jacques Chirac, sur les conséquences d’une participation gouvernementale du FPÖ. Si tous trois pointent du doigt les accents populistes de ce parti, ils constatent aussi que, depuis la formation du gouvernement à Vienne, aucune valeur européenne n’avait été bafouée. Le rapport préconise la levée immédiate des sanctions adoptées à l’encontre de l’Autriche par les quatorze autres états-membres. Ce qui est fait le 12 septembre 2000, l’UE indiquant toutefois qu’elle veillera au respect des valeurs européennes.

En 2017, une Europe atone

Rares ont été, cette fois, les réactions européennes. Ces derniers jours, on note celle de l’ancien premier ministre, Manuel Valls, qui dans un tweet publié le 16 décembre 2017 écrit :

« En #Autriche un accord de gouvernement très inquiétant entre les conservateurs et le FPÖ qui donne des responsabilités majeures à l’extrême-droite : Intérieur, Défense, Affaires étrangères… la plus grande vigilance s’impose une nouvelle fois pour l’Union Européenne. »

C’est donc dans la quasi indifférence de l’Europe que le FPÖ va à nouveau faire son entrée au gouvernement.

The ConversationLa montée des partis d’extrême droite sur le continent observée depuis une décennie se confirme élection après élection et les récents résultats du FN en France, de l’AfD en Allemagne et du FPÖ autrichien le prouvent. Quelle réaction doit adopter l’UE face à ce type de partis ? Faut-il prendre des sanctions, comme ce fut le cas pour l’Autriche en 2000 ? Ou ne rien faire, par peur d’être accusée d’ingérence politique au sein d’un État-membre de l’UE ? Pour l’heure, l’Union semble surtout tétanisée.

Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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