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Que savons-nous vraiment des séismes ? Que faire pour nous en protéger ?

Michel Campillo, Université Grenoble Alpes et Rob van der Hilst, Massachusetts Institute of Technology

séisme-Haiti, 2012.
Haiti, 2012. Photo credit: EU Humanitarian Aid and Civil Protection via Visualhunt.com / CC BY-SA

La mobilisation scientifique pour la prédiction des séismes ne date pas d’hier. Après le séisme en Alaska de 1964 et dans le cadre d’un effort international, les chercheurs américains avaient demandé la mise en place d’un grand projet national sur la prévision des séismes.

Le titre du projet contenait bien les termes « prévision des séismes » mais la revue Science (Walsh, 1965) notait alors qu’il s’agissait d’une part de donner, avec une grande chance de succès, l’alerte quelques heures ou quelques jours avant les grands séismes, et d’autre part de développer des techniques qui permettent de limiter les pertes humaines et les dégâts même si le premier objectif n’était pas atteint.

L’opinion publique a été plus sensible aux promesses de la prévision qu’à celle de la mitigation. Malgré les immenses avancées dans la compréhension des séismes et de leurs effets catastrophiques, les annonces optimistes des années soixante ont créé une profonde déception vis-à-vis de l’échec apparent de la prévision des séismes.

Sémantique des séismes

Il faut ici aborder des questions sémantiques et d’objectifs. S’agit-il de la prévision de l’occurrence d’un séisme, de la prévision des mouvements du sol potentiellement dangereux ou de la prévision d’une catastrophe ?

Heureusement, tous les séismes n’amènent pas de destructions, et un des objectifs fondamentaux de la sismologie est de comprendre où et pourquoi les destructions se produisent. Il nous faut aussi préciser l’échelle de temps de la prévision : est-ce qu’un séisme est imminent (c’est à dire une annonce dans les secondes, les heures, ou les jours avant l’évènement) ? Où est-il probable qu’un séisme se produise dans les années ou les décennies à venir ?

Chacune de ces prévisions peut être utile, suivant les conditions géographiques et socio-économiques. Même si nous ne savons pas prévoir les séismes, la possibilité de prévoir les mouvements du sol qui vont se produire et les annoncer juste avant que les vibrations destructrices ne se produisent peut être d’une grande utilité.

Cela permet de mettre en sécurité des installations critiques et surtout alerter les populations. Cette forme d’alerte, après le séisme, mais avant ses effets à distance, est déjà mise en pratique dans des régions à haut risque.

Les vibrations sismiques que nous ressentons pendant les séismes et qui peuvent détruire des bâtiments se sont en fait propagées dans les roches en profondeur parfois sur de grandes distances. Ces ondes sismiques se propagent rapidement, mais les plus destructives d’entre elles (les ondes de cisaillement) ne sont pas les plus rapides des ondes élastiques et se propagent bien moins vite que les signaux électromagnétiques.moins vite que les signaux électromagnétiques.

Alerte par smartphone.
UC Berkeley/YouTube

Quand un séisme se produit, des vibrations sont détectées près de la source et cette information peut être transmise presque instantanément vers des centres où elle sera traitée automatiquement ; ils pourront alors émettre des alertes dans les secondes qui suivent l’émission, donc avant les vibrations destructrices.

Sismologie en temps réel

Ces techniques sont mises en œuvre sous le nom de sismologie en temps réel et de tels systèmes sont opérationnels dans différentes régions du monde (Japon, Italie, Californie, Mexique…). Bien sûr, ces systèmes ne nécessitent pas de prévision.

Sur le long terme, (depuis les années jusqu’aux décades), la géophysique fournit les outils indispensables à un management rationnel des ressources qui doivent potentiellement être affectées à la sûreté sismique. Dans le même temps, les analyses quantitatives des effets des séismes permettent de comprendre les conditions locales qui gouvernent la distribution des dégâts. Ces études offrent des éléments précieux pour adapter les modes de construction et l’aménagement du territoire aux conditions géologiques locales.

En ce sens la sismologie permet d’adopter des politiques de développement orientées vers la sécurité des populations. De grands progrès ont été faits et continuent à s’accomplir, mais il est difficile pour le public d’apprécier l’efficacité d’approches comme l’analyse probabiliste de l’aléa sismique car cette forme de « prévision » s’exprime sous la forme de probabilités à long terme, alors que la vision sensible des séismes est celle des images de destruction qui apparaissent régulièrement dans les médias.

Vision déterministe

La vision publique de la prévision sismique est typiquement déterministe, une réponse binaire à la question de l’occurrence d’un séisme dans un délai de quelques heures à quelques jours, précisément l’échelle de temps pour laquelle aucune réelle avance opérationnelle n’a été faite. Les raisons en tiennent à la complexité des processus physiques à la source des séismes.

Les séismes sont des instabilités de glissements qui se produisent dans la situation critique où la résistance au glissement de la faille – la friction – est proche des forces élastiques résultant de la déformation lente des roches. Bien que nous ne le percevions pas dans notre expérience quotidienne, la Terre est en évolution permanente. Les couches profondes subissent de lents mouvements de convection où les matériaux chauds remontent vers la surface, se refroidissent en plaques rigides puis replongent, donnant naissance en surface à la tectonique des plaques.

Les plaques tectoniques.
USGS/Wikipédia

Les vitesses des plaques sont de l’ordre du centimètre par an. Lorsqu’un séisme se produit, les deux faces de la faille glissent localement à une vitesse relative de l’ordre d’un mètre par seconde, ce qui représente plus d’un milliard de fois la vitesse constante du mouvement des plaques.

En d’autres termes, les séismes destructeurs se produisent en quelques secondes, mais sont le résultat d’une lente évolution qui s’est étendue sur des dizaines, des centaines ou des milliers d’années. Le temps pendant lequel les mouvements de la Terre ont été mesurés est si court que nous n’avons pas d’espoir de savoir avec précision quand un état critique résultant d’une longue évolution sera atteint.

Phase préparatoire

Néanmoins, des études expérimentales et théoriques suggèrent que la rupture pourrait être précédée par une évolution rapide qui se développerait dans un laps de temps beaucoup plus court que celle de la préparation tectonique. Cette phase préparatoire, souvent appelée initiation, n’est pas observée systématiquement avec les méthodes géophysiques actuelles et on pourrait raisonnablement craindre que cette recherche de signaux précurseurs soit sans espoir considérant la méconnaissance de l’amplitude et de la durée de ces phénomènes. Pourtant des découvertes récentes ouvrent des perspectives plus positives.

Géosenseur EarthScope.
Bdelisle/Wikipédia, CC BY

La géodésie et la sismologie ont fait de grands progrès dans leur capacité à détecter de faibles changements dans les roches en profondeur. Les stations GPS en continu et les techniques de traitement récentes détectent des mouvements de plus en plus petits. Les stations GPS et sismologiques sont installées progressivement en d’importants réseaux denses, sous la forme de grandes antennes aux capacités de détection sans précédent.

Séismes lents

Ces dernières années, ces efforts ont été couronnés par la découverte de nouveaux processus de déformation. Le plus spectaculaire a été celui de l’existence de séismes lents. Ces séismes lents sont des épisodes de glissement en profondeur avec des vitesses de glissement intermédiaires entre celles des plaques et celles des séismes normaux. Les séismes lents les plus grands ont une magnitude supérieure à 7.5 (mesurée de manière équivalente à celle des séismes) pour des durées de plusieurs mois et on assiste à de plus en plus d’observations indiquant l’existence de séismes lents avec une diversité de magnitudes.

Cette découverte indique que la Terre se déforme avec des processus d’échelles de temps entre les extrêmes représentées par celle de la tectonique des plaques et celle des séismes. Les déformations transitoires récemment découvertes sous la forme de séismes lents peuvent être étudiées avec les méthodes de la géodésie spatiale (GPS, INSAR…).

Une analyse détaillée des enregistrements sismiques a montré que ces déformations sont aussi associées à une forme de faible grincement consistant en une superposition de micro-évènements sismiques. Ces observations suggèrent que nous pourrons dans le futur détecter et caractériser les faibles déformations en profondeur indiquant la préparation des grands séismes.

Il restera, on le sait, un long chemin avant de parler de prévision, mais les géophysiciens persévèrent dans leurs avancées pour comprendre notre Terre en évolution permanente. Aujourd’hui, bien comprendre les séismes est certainement la meilleure manière de vivre avec eux, de se préparer, de connaître notre vulnérabilité et d’adopter des politiques de prévention qui permettent de vivre dans des environnements garantissant la sécurité optimale de tous.

The Conversation

Michel Campillo, Sismologue, professeur à l’Université Grenoble-Alpes, Institut universitaire de France, Université Grenoble Alpes et Rob van der Hilst, Sismologue, professeur au Massachusetts Institute of Technology, Massachusetts Institute of Technology

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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